750 000 Chinois, et nous, et nous ?
L’arrivée massive d’entrepreneurs venus de l’empire du Milieu pour investir sur le continent suscite l’inquiétude des travailleurs locaux.
Selon l’agence de presse chinoise Xinhua, il y aurait actuellement au moins 750 000 Chinois qui vivent ou travaillent de manière durable en Afrique. En 2006, les échanges économiques entre l’empire du Milieu et le continent se sont élevés à 55 milliards de dollars contre 10 millions par an une génération plus tôt.
L’arrivée des Chinois en Afrique date des années 1960 et 1970, à l’époque où les sociétés européennes et américaines avaient la haute main sur la plupart des activités économiques du continent. Les Chinois travaillaient alors en équipes, construisaient des stades, des lignes de chemin de fer et des routes. Aujourd’hui, dans la plupart des pays où ils se sont installés, les immigrants chinois gèrent des pharmacies, des salons de massage et des restaurants. La présence occidentale, elle, se fait plus discrète et se compose essentiellement d’experts travaillant avec des agences internationales ou de techniciens du pétrole, qui résident dans des enclaves étroitement surveillées.
Au début, cette nouvelle vague chinoise s’est essentiellement faite par le bouche à oreille. Les immigrants chinois ont fait connaître chez eux les opportunités qui s’offraient dans une région du monde où certains secteurs n’attendaient plus qu’à être développés. Contrairement aux investisseurs occidentaux, de nombreux jeunes entrepreneurs chinois sont attirés par les économies émergentes d’Afrique parce qu’elles semblent petites ou accessibles. La concurrence est souvent faible, voire inexistante, et pour les clients africains, le bas prix des produits et des services chinois les rend plus abordables que leurs équivalents occidentaux.
You Wianwen, 55 ans, a vendu, cette année, son atelier de plomberie de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, pour s’installer à Addis-Abeba, en Éthiopie, et s’associer avec un compatriote rencontré sur Internet. « D’où je viens, nous sommes plutôt indépendants, raconte-t-il. Ma sur et mes frères ont tous approuvé ma décision d’émigrer en Éthiopie. Ils m’ont même dit que si je réussissais, ils seraient prêts à venir me rejoindre. » Sa nouvelle société, ABC Bioenergy, fabrique du matériel qui permet de produire un gaz combustible à partir d’ordures ménagères. « Une bonne source d’énergie, explique-t-il, dans un pays où le courant électrique coûte cher et où les coupures sont fréquentes. » Son associé, Mei Haijun, est arrivé en Éthiopie il y a une dizaine d’années pour travailler dans un atelier de textile installé par des Chinois. « Au début, se souvient-t-il, je pouvais rester deux mois sans voir un autre Chinois. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Il y a maintenant un vol vers la Chine tous les jours. »
Ce renforcement de la présence chinoise en Afrique a une explication évidente : l’empire du Milieu a le plus grand besoin du pétrole et des ressources minérales du continent pour alimenter son secteur industriel. Mais les grandes entreprises chinoises sont rapidement devenues de redoutables concurrentes dans bien d’autres domaines, notamment les travaux publics. Elles construisent de nouvelles lignes de chemin de fer au Nigeria et en Angola, d’énormes barrages au Soudan, des aéroports dans plusieurs pays et de nouvelles routes, semble-t-il, presque partout. L’un des plus grands entrepreneurs de travaux publics, China Road and Bridge Construction, compte pas moins de vingt-neuf chantiers en Afrique, dont un grand nombre financés par la Banque mondiale ou d’autres bailleurs, et dispose de bureaux dans vingt-deux pays du continent.
Les Africains regardent cette vague chinoise avec un mélange d’espoir et d’appréhension. Au Tchad, pays qui renforce ses liens pétroliers avec la Chine, les responsables économiques se préparent déjà à accueillir une armée d’ouvriers et d’investisseurs. « Nous nous attendons à voir débarquer au moins 40 000 Chinois dans les prochaines années, explique Renaud Dinguemnaial, président de la Chambre de commerce du Tchad. Cette arrivée massive pourrait être un plus pour notre économie, mais nous nous posons aussi des questions. Amèneront-ils avec eux leur personnel ? S’enfermeront-ils chez eux ? Renverront-ils tout leur argent en Chine ? »
En Zambie, les commerçants du marché central de Lusaka considèrent que si les Chinois veulent venir, ce doit être pour investir et pour construire, pas pour faire les boutiquiers. « Ils vont nous faire concurrence, juge Dorothy Mainga, qui vend des tee-shirts Harley-Davidson et des tennis Puma au marché de Kamwala. Ils proposent les mêmes articles que nous, mais à bas prix. Nous, nous payons des taxes et des impôts ; eux, ils profitent de leurs relations pour y échapper. »
Hormis l’enlèvement de techniciens du pétrole chinois au Nigeria et en Éthiopie, où neuf d’entre eux ont été tués par un mouvement séparatiste en mai dernier, les graves accrochages restent peu fréquents. Les points de friction, cependant, ne manquent pas. Dans beaucoup de pays, les Africains se plaignent que des Chinois occupent des emplois pour lesquels il existe des locaux qualifiés. « Nous sommes heureux d’accueillir des Chinois chez nous, au Malawi, affirme Dennis Phiri, un jeune homme de 21 ans qui fait des études d’ingénieur. Mais les entreprises chinoises réservent tous leurs emplois intéressants à des Chinois. Les Africains ne sont engagés que pour des boulots subalternes. »
Autre critique fréquente : les Chinois restent entre eux. De jour comme de nuit. Exemple typique, à Addis-Abeba, les deux cents employés de la China Road and Bridge Construction sont tous regroupés dans un quartier réservé, où ils prennent des repas préparés par des cuisiniers chinois et sont suivis par un médecin chinois. « Après un jour de congé, on se demande ce qu’on fait ici, confie Cheng Qian, le directeur régional pour l’Éthiopie. Nous préférons donc travailler tout le temps. » Depuis plusieurs années qu’il vit en Éthiopie, aucun membre de la famille de Cheng n’est encore venu le voir. « L’Afrique ne les intéresse pas. Si on était en Europe, ce serait différent. »
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