Un petit tour et puis s’en vont

Quatre équipes éliminées au premier tour, la cinquième en huitièmes de finale : bilan globalement négatif pour les Africains.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 7 minutes.

C’était le dimanche 5 juillet 1998. Flanqué de Just Fontaine, le meilleur buteur de la Coupe du monde de tous les temps, le roi Pelé recevait une poignée de journalistes triés sur le volet par ses partenaires commerciaux. À la question : « Que pensez-vous des performances des équipes africaines lors de ce Mondial 98 », il soupira longuement, puis répondit : « J’avais pronostiqué que l’une d’elles remporterait la Coupe du monde avant la fin de ce siècle. Je m’étais trompé. Les Africains ont accompli des progrès, mais ils manquent encore trop d’organisation pour pouvoir s’imposer. »
Dans le remarquable ouvrage intitulé FIFA and the Contest for World Football qu’ils ont publié en mai 1998, les universitaires britanniques John Sugden et Alan Tomlison écrivent, pour leur part : « De temps en temps, l’Afrique parvient à battre des équipes de niveau mondial, comme ce fut le cas du Cameroun lors d’Italia 90, ou du Nigeria, champion olympique en 1996. Alors, oui, bien sûr, l’Afrique peut un jour gagner la Coupe du monde. Mais tant que la politique du ventre prévaudra dans l’administration du football africain – notamment la gestion irresponsable des ressources matérielles au profit exclusif de quelques-uns -, le formidable potentiel indispensable à un véritable développement du continent ne sera jamais réuni. »
Huit ans après, ce double constat reste d’actualité. Si, lors de France 98, le bilan des équipes africaines était pour le moins mitigé, il ne s’est pas amélioré depuis, bien au contraire (voir infographie), même si les Lions du Sénégal ont atteint les quarts de finale en 2002 et le Black Star du Ghana les huitièmes, cette année. Dans ces conditions, réclamer une sixième place pour l’Afrique à la Coupe du monde 2010 relève de la plaisanterie. Avec cinq représentants depuis 1998, l’Afrique n’a pas fait mieux que les deux équipes alignées en 1990.
Pour justifier la maigreur du bilan 2006, on peut certes invoquer les grossières erreurs d’arbitrage commises lors des rencontres Côte d’Ivoire/Pays-Bas, Suisse-Togo, Tunisie-Ukraine et quelques autres. C’est ce que fait, par exemple, notre confrère Gianni Mura, du quotidien italien La Repubblica : « On dit souvent, écrit-il, que les pays africains ont peu d’histoire, peu de tradition, beaucoup d’enthousiasme, mais peu d’astuce, beaucoup de physique mais peu d’expérience. C’est vrai. Mais il est encore plus vrai que, dès qu’ils peuvent acquérir un peu d’expérience, une fois tous les quatre ans, on s’empresse de leur mettre la tête sous l’eau. Ils n’ont ni argent ni pouvoir, leur participation au Mondial ne doit donc pas excéder la durée d’un spot tiers-mondiste. » Tout cela n’est évidemment pas faux – on pourrait ajouter à ce constat les 55 cartons jaunes et 4 cartons rouges distribués aux joueurs africains -, mais n’explique pas tout.
Le technicien français Guy Roux, aujourd’hui consultant d’une chaîne à péage, juge que « les Africains ont progressé dans le jeu ». Il aurait dû préciser : dans le jeu purement défensif. Car à l’exception de la Côte d’Ivoire et, dans une moindre mesure, du Togo, le choix des entraîneurs des équipes d’Angola (Luis De Oliveira Gonçalves), du Ghana (Ratomir Dujkovic) et de la Tunisie (Roger Lemerre) a été sans équivoque. Privilégiant le regroupement défensif, ils ont dressé devant leurs lignes arrière un barrage d’au moins quatre demis dits récupérateurs. Dans le genre, c’est De Oliveira qui est allé le plus loin : ses joueurs ont creusé devant João Ricardo, leur remarquable gardien de but, d’inexpugnables tranchées qu’ils ont défendues à l’arme blanche ! Résultat : ils n’ont concédé que deux buts, mais n’en ont marqué qu’un seul. Et leurs prestations n’ont suscité qu’ennui et exaspération.
Depuis son arrivée à la tête de la sélection tunisienne, en août 2002, Lemerre a, quant à lui, toujours utilisé la même recette. En février 2004, à domicile, son équipe exclusivement composée d’expatriés et de Franco-Tunisiens était parvenue à remporter la Coupe d’Afrique des nations, grâce à un bon équilibre tactique et à une bonne maîtrise collective au service de deux véritables attaquants de pointe, le Brésilo-Tunisien Santos et Ziad Jaziri. Au fil des compétitions, et à force d’utiliser les mêmes ingrédients, la recette a perdu de sa saveur. Sanctionnée par une élimination en quarts de finale, la campagne de la CAN 2006, en Égypte, a marqué le début de la fin d’un cycle.
Les troupes de Lemerre ont abordé le Mondial 2006 sans leur buteur Santos, blessé, et avec des hommes de base manquant terriblement de compétition : tous sont le plus souvent remplaçants dans leurs clubs européens respectifs. Comment, dès lors, s’étonner qu’ils n’aient pas été au top de leur forme et aient accusé de sérieux passages à vide ? D’entrée, face aux riches amateurs saoudiens, ils n’ont jamais trouvé leur rythme et n’ont échappé à la défaite qu’in extremis (2-2). Face à l’Espagne, leur coach a tenté un coup de poker qu’il a cru gagnant pendant plus d’une heure : après avoir marqué un but précieux dès la 8e minute, son équipe a résisté héroïquement, mais a fini par céder devant des adversaires plus talentueux (1-3). Étrangement, plutôt que de jouer son va-tout lors du dernier match face à l’Ukraine, il s’en est tenu à sa stratégie habituelle : tous derrière et un seul devant. Et, lorsqu’à la 45e minute, l’irascible Jaziri a écopé d’un deuxième carton jaune, synonyme d’expulsion, la Tunisie, réduite à dix, a joué pendant trente-cinq minutes sans attaquant et peut s’estimer heureuse de n’avoir succombé qu’à la suite d’un penalty contestable transformé par Andreï Chevtchenko (0-1). Avec un nul et deux défaites, Lemerre n’a donc pas fait mieux qu’Henry Kasperzack en 1998 et qu’Ammar Souayah en 2002. Depuis 1978, la Tunisie court toujours après une deuxième victoire en Coupe du monde.
Polyglotte et communicateur né, Ratomir Dujkovic, l’entraîneur serbe du Black Star du Ghana, a réussi de jolis numéros face aux médias, surtout à la veille du huitième de finale contre le Brésil. Mais sa roublardise n’a eu qu’un effet très relatif sur les stars de la Seleção. À son arrivé au Ghana, en septembre 2004, il ne connaissait que de très loin les « réalités » du football local. Dujkovic a donc choisi la sécurité en s’attachant avant tout à régler l’épineux problème défensif de l’équipe. Avec succès. Constitué de bons joueurs aux ressources physiques peu communes, le Black Star s’est transformé en véritable machine de guerre avec, devant l’excellent gardien Richard Kingson, un double rideau compact de défenseurs solides, hargneux et solidaires.
L’Italie a dû sortir le grand jeu pour ébrécher le « béton » ghanéen (0-2). Les vétérans tchèques n’ont pas eu cette chance, ou ce talent, et provoqué leur propre perte par de grossières erreurs défensives aussitôt exploitées par les baroudeurs Asamoah Gyan et Ali Sulley Muntari, auteurs des deux buts d’une victoire historique. En revanche, face à une équipe des États-Unis limitée sur tous les plans, les Ghanéens se sont montrés fort laborieux et n’ont dû leur salut qu’à un penalty injustement sifflé par l’arbitre allemand Markus Merk et transformé par le capitaine Stephen Appiah (2-1). Au cours des quatre matchs qu’ils ont disputés, les Ghanéens ne se sont pas vraiment illustrés par leur fair-play, commettant 108 fautes – record de la compétition – et récoltant 17 avertissements et 1 carton rouge. Scandalisés par leur brutalité, leurs adversaires brésiliens les ont aimablement qualifiés de « garçons-bouchers » !
Logiquement, leur jeu offensif a été d’une insigne indigence. Leurs mouvements stéréotypés ne sont que rarement parvenus à déséquilibrer leurs adversaires et se sont fréquemment achevés par des tirs non cadrés. À Dortmund, en huitièmes de finale, les champions du monde en titre se sont contentés de laisser venir les taurillons ghanéens avant de porter de meurtrières estocades (0-3). Au total, six buts encaissés pour quatre marqués : pas de quoi justifier les louanges dont le Black Star a été complaisamment couvert dans les médias. Il y a longtemps que le Ghana n’est plus le « Brésil de l’Afrique ».
L’Allemand Otto Pfister, qui a succédé au Nigérian Stephen Keshi à la tête des Éperviers du Togo, n’a pas réussi son coup de bluff. Les péripéties de la « guéguerre des primes » qui a opposé les joueurs aux dirigeants ont certes perturbé la préparation de l’équipe et nui à sa concentration, mais elles ne suffisent pas à expliquer son cinglant échec sportif : zéro point en trois matchs ! Pourtant, les Togolais, pas du tout maladroits techniquement, ne se sont pas contentés de faire de la résistance passive. Ils ont toujours eu le souci de construire leur jeu et de porter le danger dans le camp adverse. Bref, ils ont utilisé au mieux leurs modestes moyens. Ils seront encore compétitifs en Afrique à condition de bénéficier d’un encadrement moins laxiste.
Cela vaut aussi pour les Éléphants de Côte d’Ivoire. La standing ovation que leur ont réservée, le 21 juin, les 66 000 spectateurs de l’Arena de Munich n’était nullement imméritée : des cinq représentants africains dans ce Mondial, ce sont eux qui ont produit le meilleur jeu et assuré le spectacle, que ce soit face à l’Argentine (1-2), aux Pays-Bas (1-2) ou à la Serbie (3-2). Ils ont fait preuve, fût-ce avec parcimonie, d’intelligence, d’esprit créatif et de volonté offensive. Pourquoi ne sont-ils pas parvenus à se qualifier pour le deuxième tour ?
D’abord, parce qu’ils ont eu la malchance de tomber dans un groupe très, très difficile. Ensuite, parce que le Français Henri Michel, leur entraîneur depuis janvier 2004, a multiplié erreurs et concessions. Il n’est jamais parvenu à aligner une équipe type, à titulariser les meilleurs éléments à leurs vrais postes et à tirer parti d’un effectif exceptionnellement riche. Il n’a certes pas bridé le tempérament offensif de ses joueurs, mais ne leur a pas offert l’organisation tactique rationnelle dont ils avaient besoin. Et pourtant, quel talent chez les Kolo et Yaya Touré, Didier Zokora, Aruna Dindane, Baky Koné, Mnu Eboué, Arthur Boka, Gilles Yapi Yapo, Bonaventure Kalou, Aruna Koné et autres Didier Drogba !

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