Une épouse peut-elle en cacher une autre ?

Après la sortie d’un film traitant de la question, le débat sur la polygamie fait rage entre fondamentalistes musulmans et féministes.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

C’est un peu à cause de la France – ou grâce à elle – qu’a été lancé en Indonésie un débat sur un sujet très délicat, la polygamie. Sorti en mars sur les écrans de l’archipel, Berbagi Suami (« Partage ton mari »), qui met en scène trois hommes de milieux sociaux très différents vivant avec plusieurs épouses, a en effet été coproduit par le Français Claude Kunetz. Certes, le film ne condamne pas de façon explicite une pratique largement répandue – et tout à fait légale – dans ce pays de 220 millions d’habitants à 90 % musulman. Mais la réalisatrice, Nia Dinata, ne cache pas son sentiment sur la question. « Je montre à ma façon que ces femmes ne sont pas heureuses », a-t-elle déclaré à l’Agence France Presse. L’idée de ce long-métrage lui a été inspirée par sa propre expérience familiale. Elle était étudiante dans une université américaine lorsque son père la somma de revenir au pays afin d’assister à son mariage avec une seconde épouse. Sa mère n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter cette union. Dans le film, une scène n’est pas sans rappeler l’épisode. « Qu’est-ce que tu as à me reprocher ? », demande Salma, une gynécologue distinguée, après avoir appris que son mari a décidé de prendre une deuxième femme. « Tu es parfaite, répond ce dernier. Je voulais seulement éviter de commettre l’adultère. »
La polygamie puise ses racines dans les profondeurs de la société indonésienne et n’est pas le seul fait des musulmans. Bouddhistes et hindouistes la pratiquaient eux aussi. En prenant six épouses, Ahmed Soekarno, le premier président du pays, n’a fait que perpétuer la tradition des sultans de Java. Son successeur, en revanche, s’y est montré opposé. Sous la pression de sa propre femme, Siti Hartinah, Mohamed Suharto a fait adopter une loi interdisant aux fonctionnaires de convoler en secondes noces sans l’accord de leur première épouse et de leur supérieur hiérarchique. Le texte est toujours en vigueur.
Huit ans après la destitution de Suharto, l’archipel connaît toutefois un regain de religiosité, et les musulmans fondamentalistes appellent à une plus stricte observance des préceptes de l’islam. Certains parlementaires voudraient même faire passer un projet de loi antipornographie qui interdirait aux Indonésiens de s’embrasser en public et prohiberait les tenues « impudiques ». Mais, en face, un courant féministe se fait entendre aussi. Parmi ses principaux animateurs, on trouve Sinta Nuriyah, l’épouse de l’ancien président Abdurrahman Wahid (1999-2001). En novembre 2004, elle s’est distinguée en prenant la tête d’un groupe qui a bloqué la distribution des produits d’un célèbre restaurateur, Puspo Wardoyo. Cet homme, qui a fait fortune dans la vente du poulet grillé, est aussi un fervent partisan de la polygamie. Il s’affiche avec fierté dans les médias entouré de sa vaste famille, affirmant que tout bon musulman a le devoir de prendre plusieurs femmes, du moins s’il en a les moyens.
Curieusement, le film de Nia Dinata n’a pas choqué le « roi du poulet ». « Si vous vous placez d’un point de vue féminin, la polygamie peut apparaître comme injuste, a-t-il déclaré. Mais dans beaucoup de cas, elle est très bien vécue par les femmes. »

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