Talibans version nomade

Après quinze années sous la coupe des seigneurs de guerre, le pays est promis à l’ordre islamique de nouveaux maîtres.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

« Un début d’organisation vaut mieux que pas d’organisation du tout. » C’est ainsi que les habitants de Mogadiscio ont accueilli, fatalistes, l’entrée victorieuse des milices de l’Union des tribunaux islamiques, le 25 mai 2006. Capitale d’un pays sans État depuis la chute du dictateur Siyad Barré, en 1991, livrée aux seigneurs de guerre, Mogadiscio est tombé, comme un fruit mûr, sous la coupe des fondamentalistes de Hassan Dahir Aweys, chef spirituel de l’Itithad el-Islami, une organisation qui figure en bonne place sur la liste des mouvements terroristes établie par le département d’État américain.
Quinze années de guerre civile, quatorze tentatives vaines de la communauté internationale de doter la Somalie d’institutions viables, des dizaines de milliers de victimes et des centaines de milliers de réfugiés le bilan, non exhaustif, se passe de commentaires. C’est le legs d’une histoire récente faite de chaos et de sang, de miliciens et de day-day, ces brigands de grands chemins qui écument les axes routiers et les pistes poussiéreuses de transhumance. Les échecs récurrents des médiations régionales, continentales ou internationales, les haines accumulées entre les groupes ethniques qui composent la population, mais aussi le jeu trouble de certaines capitales de la sous-région aux intérêts divergents ont fini par désespérer de la Somalie. Et par accélérer les événements depuis février 2006.
Dans sa guerre mondiale contre le terrorisme, Washington avait classé la Corne de l’Afrique parmi les régions susceptibles de représenter une menace pour la sécurité intérieure des États-Unis. La Somalie, souvenir douloureux pour l’armée américaine avec la Bérézina que fut l’opération Restore Hope, en 1993, constitue une base de repli idéale pour al-Qaïda. Les limiers du Pentagone étaient persuadés que les auteurs des attaques, en août 1998, contre les ambassades américaines à Dar es-Salaam (Tanzanie) et à Nairobi (Kenya), avaient organisé leurs forfaits à partir de Mogadiscio.
Pour mieux surveiller ce territoire de près de 1 million de km2, Washington a installé une base militaire à Djibouti appelée à servir de poste de commandement d’une task force chargée de contrôler l’espace maritime et aérien de six pays de la région. L’objectif était de couper toute possibilité de mouvements aux terroristes d’al-Qaïda et de protéger le trafic maritime au large de la Corne de l’Afrique. Cela n’a empêché ni le développement de la piraterie en haute mer, ni la progression de la pensée fondamentaliste au sein de la population somalienne.
La chute de Siyad Barré, en 1991, avait entraîné la déliquescence des institutions. L’absence d’administration et de justice fait rapidement le lit des tribunaux islamiques qui apparaissent dès 1992 et servent, pour certains clans, de structures compétentes pour trancher en matière de conflits entre personnes. Faute de cadre juridique, de magistrats et de textes de loi, les nouvelles juridictions adoptent le Coran comme source unique de droit. C’est ainsi qu’est née Itihad Mahakim Islamiya, l’Union des tribunaux islamiques.
Les seigneurs de guerre, alors tout-puissants, ne s’inquiètent pas du travail de structuration accompli par Hassan Dahir Aweys, ex-colonel de l’armée de Siyad Barré à l’époque de la guerre contre l’Éthiopie, aujourd’hui leader des tribunaux islamiques : création d’espaces carcéraux, formation paramilitaire de miliciens et achats massifs d’armes, neutralité quasi absolue dans les batailles de leadership entre seigneurs de guerre. Seule préoccupation : « dire le droit » dans les affaires civiles et éviter soigneusement tout affrontement direct avec les chefs de clans. Mais au fil des années, leur influence s’accroît considérablement. Leur puissance de feu aussi. La population, de plus en plus fatiguée du racket organisé par les milices, multiplie « les procédures » contre les seigneurs de guerre. Les hommes d’affaires et les grands commerçants se rallient aux tribunaux islamiques pour en faire autant.
Tout reste domestique, si on ose dire, jusqu’en février 2006. À cette date, Washington, convaincu que les magistrats fondamentalistes constituent une menace pour ses intérêts, décide d’apporter un soutien logistique aux seigneurs de guerre pour contrer l’ascension des tribunaux islamiques. Mal lui en prit. La majorité de la population, nourrie de sentiments anti-américains, se range aux côtés des intégristes. La détermination des combattants islamistes fait le reste : après trois mois de combats acharnés et près de 400 morts, c’est la débâcle des seigneurs de guerre et l’installation de milices spéciales chargées de la moralisation des murs, en clair la talibanisation. Désormais, musique, cinéma ou toute autre activité culturelle sont prohibés. Même les matchs de football du Mondial sont interdits de diffusion publique. Et le voile est obligatoire pour les femmes à partir de l’âge de 7 ans.
La nouvelle donne préoccupe les États-Unis, tandis que les pays de la sous-région craignent une contagion fondamentaliste, un réveil des velléités sécessionnistes de l’Ogaden éthiopien et un afflux massif de réfugiés qui compliquerait davantage une situation humanitaire précaire. Avec le soutien de la Commission de l’Union africaine (UA), le gouvernement, dont l’autorité ne dépasse pas les limites territoriales de Baidoa (quelques kilomètres carrés), tente de résister à l’ascension des intégristes en jouant la carte de la légitimité internationale. Mais il suscite le courroux de ces derniers en donnant son accord au déploiement d’une force d’interposition.
Après une médiation de la Ligue arabe (la Somalie est l’un de ses vingt-deux membres) et à l’issue d’un premier round de négociations à Khartoum, gouvernement et fondamentalistes trouvent un terrain d’entente minimum : reconnaissance mutuelle et retrouvailles, le 15 juillet prochain, pour des pourparlers censés déboucher sur une organisation du pouvoir somalien. D’ici là, le sommet de l’UA (les 1er et 2 juillet à Banjul), sur la question de la légitimité des nouveaux maîtres de Mogadiscio qui viennent d’inviter Washington à dépêcher une mission d’enquête pour constater qu’il n’y a ni base ni camps d’entraînement terroristes.

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