Réformes, mode d’emploi

Outre la concrétisation des engagements sociaux du chef de l’État, le nouveau Premier ministre propose un toilettage en profondeur de la Constitution.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Accaparée par la question de la retransmission des matchs de la Coupe du monde de football et un début d’été caniculaire, l’opinion publique algérienne n’a accordé que peu d’intérêt à la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, qui s’est tenue les 15 et 16 juin, à Bruxelles. Dommage, car le communiqué final du sommet contenait un passage plutôt flatteur pour l’Algérie. « Ce pays offre les meilleures garanties pour la sécurité énergétique du vieux continent », indiquait le texte en substance. Oui, il s’agit bien de ce même pays qui, il y a moins de dix ans, était frappé d’une fièvre islamiste particulièrement meurtrière et dévastatrice Une décennie d’une violence inouïe qui s’est déroulée à huis clos.
Les propos des dirigeants européens comblent d’aise les autorités algériennes. « Même si elle est quelque peu tardive, cette reconnaissance consacre la solidité de nos institutions, la fiabilité de nos entreprises et le savoir-faire de nos ressources humaines, assure un collaborateur du président Abdelaziz Bouteflika. Au plus fort de la menace islamiste, jamais l’Algérie n’a failli à ses engagements en matière de livraison d’hydrocarbures. » Sans se lancer dans de telles analyses, le quidam a appris une chose essentielle : son pays est important, c’est Jacques Chirac, Tony Blair et consorts qui l’ont dit ! À quelques jours du 44e anniversaire de l’indépendance, il s’agit assurément d’une belle surprise. D’autant qu’une autre devrait prochainement l’accompagner : la revalorisation des salaires. Cette revalorisation qui a coûté son poste à Ahmed Ouyahia, l’ex-chef du gouvernement, dont la politique sociale était fondée sur le triptyque salaires-croissance-compétitivité.
L’une des missions dévolues par Abdelaziz Bouteflika à son nouveau Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, a été de mener à bien les négociations sur une hausse de 30 % à 60 % du salaire national minimal garanti (SNMG, d’un montant de 10 000 dinars, soit un peu plus de 112 euros). Elles devraient aboutir d’ici au début de juillet. En deux conseils des ministres, Belkhadem a largement dépoussiéré le dossier, objet de discussions très serrées avec l’Union générale des travailleurs algériens (Ugta). Contrairement à son prédécesseur qui déléguait peu, le nouveau locataire de la primature ne le gère pas directement. Il en a confié la responsabilité à son ministre du Travail et des Affaires sociales, Tayeb Louh. Ancien président du syndicat de la magistrature, ce dernier est également connu pour avoir été l’un des acteurs de l’opération « redressement du Front de libération nationale » (FLN) ayant permis à Belkhadem de prendre les rênes de l’ancien parti unique, la première force politique du pays.
Très vite, Louh a mesuré l’ampleur de la tâche : il ne s’agit pas d’une simple opération de répartition de la richesse nationale, mais d’une équation à plusieurs inconnues. Comment augmenter les revenus des travailleurs sans condamner les petites et moyennes entreprises, qui créent le plus d’emplois ? Comment concilier la légitime exigence sociale d’une hausse du pouvoir d’achat et la rigueur budgétaire, toujours nécessaire ? Comment éliminer les disparités et les anachronismes du barème des salaires ? Autant de questions à régler afin de pouvoir annoncer la bonne nouvelle à la nation. Dans la foulée, il faut aussi faire avancer le dossier qui a empêché Ouyahia de réaliser le « grand chelem » en matière de concrétisation des engagements du programme du chef de l’État : le Pacte social.
Dans son programme électoral pour la présidentielle d’avril 2004, le candidat Bouteflika s’était engagé, en cas de réélection, à établir un pacte avec les partenaires sociaux pour parvenir à une trêve sociale durant la mise en uvre du programme de soutien à la croissance (voir p. 50). Sans cesse annoncé et toujours reporté, il n’en est encore, deux ans après l’investiture du président, qu’au stade de projet. Sa relance occupera sans doute une bonne partie de l’agenda estival de Belkhadem. Mais le chef du gouvernement devrait également profiter des vacances parlementaires pour se consacrer à un autre chantier ouvert par son parti : le projet d’une nouvelle Constitution.
Aux yeux du nouveau Premier ministre, le texte élaboré en 1996 est dépassé. « La situation d’urgence qui avait inspiré la Loi fondamentale n’est plus de mise, assure un membre de la direction du FLN. Notre objectif ne se limite pas à la seule volonté d’offrir au président Bouteflika la possibilité constitutionnelle de briguer un troisième mandat. Il s’agit d’adapter notre système institutionnel aux mutations qu’a connues le pays ces dernières années. » Depuis le 20 juin, une mouture du nouveau projet est sur le bureau du président, seul habilité à décider d’une éventuelle révision de la Constitution
La démarche d’Abdelaziz Belkhadem n’est pas sans conséquences politiques. Au sein de l’Alliance présidentielle d’abord. Composée, en plus du FLN, des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, de Bouguerra Soltani) et du Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre sortant Ahmed Ouyahia), la coalition semble battre de l’aile, malgré les déclarations rassurantes de ses trois dirigeants. Considérant qu’il s’agissait d’une démarche initiée par sa formation, Belkhadem n’a associé ses alliés ni à la réflexion sur la révision constitutionnelle, ni à l’élaboration du document soumis au président de la République. Pour le FLN, « les textes régissant l’Alliance n’interdisent en aucune manière aux partis qui la composent de prendre des initiatives politiques sans en référer aux formations alliées. »
Une partie de l’opposition parlementaire, les islamistes du Mouvement de la renaissance nationale (MRN-el Islah, d’Abdallah Djaballah) et les trotskistes du Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune), attend avec impatience la publication de la proposition de l’ex-parti unique pour s’exprimer. Le reste refuse d’avance le projet d’« une Constitution FLN ». Le Front des forces socialistes (FFS, d’Hocine Aït Ahmed) reste attaché à sa vieille revendication d’une Assemblée constituante pour l’Algérie. Quant au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi), il dénonce « une grossière manuvre qui vise à perpétuer le système ».
L’été sera-t-il chaud pour autant ? A priori, la scène politique ne devrait pas connaître d’agitation particulière. Difficile en effet de passionner l’opinion, qui s’apprête à envahir les plages du pays, avec un débat technique sur les avantages d’un système présidentiel par rapport à un régime parlementaire. En tout cas, ce n’est généralement pas le sujet que l’on aborde sous un parasol.

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