Le temps des surenchères

L’ouverture du capital de l’opérateur historique est à l’ordre du jour. Elle devrait intervenir dans un marché en forte croissance.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

La privatisation d’Algérie Télécom (AT) n’en est qu’aux préliminaires. « Le dossier de l’ouverture du capital est entre les mains du gouvernement », répète Boudjemaâ Haïchour, le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication. Mais les Algériens en parlent beaucoup. De commentaires autorisés en propos de comptoirs, le nombre de candidats ne cesse d’enfler. Fin juin, déjà 48 groupes d’envergure internationale auraient fait connaître leur intérêt à devenir le partenaire stratégique de l’opérateur historique algérien et de sa branche de téléphonie mobile, Mobilis. Dernier entré en lice, Etisalat, des Émirats arabes unis. Il faut dire que la mariée est plutôt belle. Au bord du gouffre en 2002, Algérie Télécom a porté son chiffre d’affaires à 126 milliards de DA en 2005 (1,5 milliard d’euros), après deux années de forte croissance : + 56 % sur l’exercice 2004 et + 33 % un an plus tard. La perspective de faire mieux, aux plans médiatique et financier, que les voisins tunisien et marocain ajoute sans doute à l’intérêt populaire pour ce qui pourrait être, le moment venu, le plus important investissement étranger jamais réalisé dans le pays, hors hydrocarbures.
Le virus des télécoms a frappé le pays en février 2002, lors du lancement commercial de Djezzy, le service de téléphonie mobile d’Orascom Télécom Algérie (OTA). La « maladie » s’est durablement installée à partir d’août 2004, avec l’entrée en piste de Nedjma, le troisième réseau du pays, opéré par Wataniya Télécom Algérie (WTA). La concurrence s’est soudain tendue sur le marché grand public, avec trois conséquences dont les effets se mesurent encore aujourd’hui. Mobilis est sorti de sa torpeur et s’est lancé dans la bataille commerciale avec succès, passant de 620 000 utilisateurs en juin à près de 1,2 million six mois plus tard. Ses efforts sur les services et sur les prix, ajoutés à ceux d’un Nedjma en pleine phase de conquête et d’un Djezzy qui ne voulait pas être détrôné, ont créé une vive effervescence hissant du même coup le téléphone au rang de sujet de conversation numéro un des Algériens. Le bouche-à-oreille et les offres promotionnelles ont enfin abouti à un singulier élargissement de la clientèle, qui a triplé en 2005.
À croire les statistiques publiées en avril 2006 par l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), le pays comptait 16,5 millions d’abonnés GSM répartis entre les trois opérateurs (voir infographie), soit un taux de pénétration de 50,3 % de la population. À la froideur des pourcentages, préférons cette approche : un Algérien sur deux est client de l’un des trois réseaux – Djezzy, Mobilis ou Nedjma -, un niveau plus proche des records européens que des standards africains, où seules l’Afrique du Sud et la Tunisie dépassent la barre des 50 %. L’ARPT établissant ses comparatifs à partir des données qui lui sont communiquées par les opérateurs eux-mêmes, il est probable que le résultat soit teinté d’optimisme. Mais pas au point d’être qualifié d’irréaliste, comme le prétendent certains, qui avancent des statistiques des douanes selon lesquelles seulement 5 millions d’appareils auraient été officiellement importés dans le pays. Que l’on se rassure : les chiffres de l’ARPT sont comparables à ceux du cabinet international Informa Telecoms & Medias, qui dispose d’autres moyens de recouper les données. Ses études de marché validaient 13,12 millions d’abonnés en Algérie à la fin de décembre 2005, à comparer aux 13,66 millions annoncés par les opérateurs à l’ARPT à la même date, soit un écart de 4 %.
Revers de la médaille, un tel niveau d’équipement peut constituer un handicap aux yeux du futur, et toujours éventuel, partenaire stratégique d’AT. Sans être encore saturé, le segment du mobile est bien occupé et ce n’est clairement pas là que se trouvent les plus grands gisements de croissance. De fait, les télécoms en Algérie recèlent d’autres richesses potentielles. En moins de deux ans, les autorités ont ouvert plusieurs brèches dans le monopole d’Algérie Télécom. Elles constituent autant de marchés en devenir où l’opérateur historique dispose parfois d’une longueur d’avance sans avoir les moyens financiers de s’y développer. AT gère par exemple 3,2 millions de lignes fixes. C’est bien peu pour un pays de 32 millions d’habitants qui s’est fixé d’ambitieux objectifs de développement économique.
L’ARPT a ouvert le secteur en autorisant la création d’un nouvel opérateur général. Le Consortium algérien de télécommunication (CAT), un joint-venture entre Telecom Egypt et le groupe Orascom Telecom, a obtenu la seconde licence de téléphonie fixe du pays en mars 2005, pour un montant de 65 millions de dollars, et lancé ses premiers produits un an plus tard sous la marque Lacom. D’ici à la fin 2006, il compte lancer une offre « triple-play » (téléphone, Internet à haut débit et télévision sur Internet). Parallèlement, l’ARPT a légalisé la téléphonie sur Internet (VoIP, Voice over Internet Protocole) en Algérie, donnant lieu à la création d’opérateurs de nouvelle génération à la fois fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs téléphoniques. Onze dossiers d’agrément ont été retirés et deux entreprises ont amorcé la commercialisation de leurs services : Wanadoo Algérie et SLC-Télémédia, fruit de l’association des groupes algérien SLC et français Télémédia.
Si tous ces projets sont menés à bien, l’Algérie se retrouvera avec près d’une quinzaine de pourvoyeurs de communications téléphoniques et de liaisons à Internet Il est à craindre qu’une telle surabondance soit de nature à effrayer plus d’un groupe international sur l’intérêt de miser gros sur Algérie Télécom. La décision de l’ARPT, annoncée mi-juin, de suspendre les autorisations d’exercice de la VoIP répond sans doute à cette préoccupation. En fin de compte, le succès éventuel de la privatisation dépendra de la forme de partenariat qui sera définie par les autorités. En attendant la publication de l’appel d’offres, les conversations à son sujet continuent d’entretenir la soif de communiquer des Algériens.

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