Le compte à rebours

À moins d’un mois de la présidentielle du 30 juillet, la tension monte. Chaque candidat cherche à faire le plein de voix dans sa province d’origine. Quel qu’en soit le prix.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 7 minutes.

« Au premier tour, le vote sera assez ethnique. Beaucoup de gens voteront d’abord pour quelqu’un de chez eux. Ce n’est qu’au second tour, s’il y en a un, qu’ils choisiront vraiment un programme », dit José Endundo, l’un des lieutenants du candidat Pierre Pay-Pay. « Au Congo, le sentiment national est bien ancré. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires. Ici, on vote d’abord pour quelqu’un de sa tribu », renchérit François Mwamba, le secrétaire général du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. « La preuve, aux législatives, personne n’est assez fou pour se présenter ailleurs que dans son coin. »
À un mois de la présidentielle et des législatives du 30 juillet, une chose est sûre : le vote régional sera décisif. À la présidentielle, le sortant, Joseph Kabila, veut passer au premier tour. Mais au vu du nombre de candidats – trente-trois – et de leur poids dans leurs fiefs respectifs, ce n’est pas gagné. Réunir au moins neuf millions de voix dès le premier tour sur l’ensemble du pays est un pari difficile. Un second tour avec Bemba, Pay-Pay ou un autre est tout à fait possible. État des lieux, région par région.

L’Est : la Province orientale, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Maniema. Total : 8 016 000 inscrits, soit 31,17 % de l’électorat.
« L’Est est la clé du scrutin », disent beaucoup de Congolais. À cause de son poids démographique. Près d’un tiers des inscrits. C’est aussi la région la plus éprouvée par la guerre civile. « Le couloir de la mort », se désolent nombre de Congolais. Joseph Kabila y bat campagne sur le thème : « C’est moi qui vous ai ramené la paix ». Avec un certain succès, comme à Uvira ou Bukavu, au Sud-Kivu, où il multiplie les meetings. Le président sortant peut aussi s’appuyer sur un enfant du pays, le très actif Vital Kamerhe, secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Mais le candidat Kabila devra compter avec un autre prétendant sérieux, Pierre Pay-Pay. L’ancien gouverneur de la Banque centrale du Zaïre est originaire du Nord-Kivu par son père et du Sud-Kivu par sa mère.
Au Nord-Kivu, l’homme le plus courtisé est l’ancien chef rebelle Mbusa Nyamwisi. Mbusa est un Nande, de l’une des communautés les plus influentes de l’Est. De l’avis général, il est en mesure de faire le plein des voix à Beni et à Butembo. Tout le monde cherche à le débaucher. Le 23 juin dernier, Olivier Kamitatu a passé toute une soirée à essayer de le convaincre d’entrer dans la nouvelle alliance pro-Kabila, l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP). En vain. Du coup, le camp Pay-Pay se prend à rêver de le faire adhérer à sa propre plate-forme, la Coalition des démocrates congolais (Codeco).
Le vice-président Azarias Ruberwa fera-t-il un bon score ? Pas sûr. Certes, il est originaire de l’Est et il peut s’appuyer sur les Banyamulenge de la région de Goma, au Nord-Kivu. Mais il est tutsi, et la majorité de l’électorat est antirwandaise. Reste un candidat qui ne fait pas de bruit mais peut créer la surprise. C’est le général à la retraite Likulia Bolongo. Il a été le dernier Premier ministre de Mobutu. L’homme est respecté. Il peut séduire à la fois les nostalgiques du maréchal et les électeurs de Kisangani et de la Province orientale, sa terre natale.

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Le Sud : le Katanga. 3 518 000 inscrits, soit 13,68 % de l’électorat.
Là aussi, Joseph Kabila compte amasser des voix. Avec un atout majeur. Par son père, il appartient à la communauté des Balubakat, au nord du Katanga. Autre carte dans son jeu, le soutien du régionaliste Kyungu wa Kumwanza de l’Union des nationalistes et des fédéralistes congolais (Unafec). Et le soutien de l’avocat Kisimba Ngoy, l’actuel ministre de la Justice, qui a pris la tête d’une plate-forme destinée à faire gagner le chef de l’État sortant.
Restent deux inconnues. Pour qui voteront les Lunda du sud du Katanga ? Un « sudiste » est en lice. C’est Lunda Bululu, brillant économiste et ancien Premier ministre de Mobutu. Pour l’instant, il reste à équidistance de Kabila, Bemba et Pay-Pay. Et que feront les Kasaïens ? Violemment chassés du Katanga, alors shaba, en 1992, plusieurs centaines de milliers d’entre eux sont revenus. Or, en 1992, le gouverneur du Katanga n’était autre que Kyungu wa Kumwanza. Aujourd’hui, le soutien de Kyungu à Kabila pourrait bien jeter ces Kasaïens dans les bras de l’opposition.

Le Centre : le Kasaï oriental et le Kasaï occidental. 4 060 000 inscrits, soit 15,78 % de l’électorat.
Le « lion du Kasaï » n’est pas engagé dans la bataille. Étienne Tshisekedi boude les élections. En son absence, le Kasaï devient un no man’s land politique. Tout y est possible.
Première hypothèse : Tshisekedi appelle au boycottage des deux scrutins du 30 juillet, et son appel est suivi. C’est le cauchemar des adversaires de Joseph Kabila. En effet, le Kasaï est globalement anti-Kabila. Certes, le camp du président-candidat a bénéficié du ralliement de quelques figures locales, comme l’ex-ministre des finances André-Philipp Futa, nouveau coordonnateur de l’AMP. Mais elles ne suffiront sans doute pas à retourner un électorat acquis depuis plus de vingt ans à l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Si les Kasaïens ne vont pas aux urnes, les opposants de Joseph Kabila perdront un réservoir de quelque quatre millions de voix.
Seconde hypothèse : appel au boycottage ou non, les Tshisekedistes n’écoutent plus leur vieux chef et vont voter. L’hypothèse n’est pas absurde. Après tout, l’an dernier, beaucoup de partisans de l’UDPS se sont inscrits sur les listes électorales malgré les consignes de boycottage du « líder máximo ». Dans ce cas, plusieurs candidats ont leurs chances. Des « nationaux » comme Bemba, Pay-Pay ou Ruberwa. Mais aussi des « locaux ».
Jonas Mukamba a été le patron de la très puissante Miba, la société nationale d’exploitation du diamant. À Mbuji-Mayi, c’est la meilleure des cartes de visite. Or Mukamba vient de rejoindre Bemba dans le Regroupement des nationalistes congolais (Renaco). Si Joseph Kabila est mis en ballottage, Mukamba ne sera peut-être pas de son côté.
Autres Kasaïens en embuscade : Catherine Nzuzi wa Mbombo du MPR/Fait privé, l’ancien parti de Mobutu, et Joseph Olenghankoy, l’enfant terrible de la classe politique congolaise. Il est vrai que tous deux habitent Kinshasa et feront peut-être plus de voix dans la capitale que dans leur région d’origine. Difficile d’évaluer le poids de Guy-Patrice Lumumba, le seul enfant du père de la nation congolaise qui se présente à cette présidentielle. Reste l’ovni Oscar Kashala. Ce brillant médecin de la diaspora – il exerce aux États-Unis – sera-t-il le Boni Yayi du Congo ? Ses adversaires répliquent qu’il est rentré trop tard au pays. En tout cas, Joseph Kabila s’en méfie. En mai dernier, l’entourage du président a même essayé d’impliquer le docteur dans une sombre histoire de mercenaires. En vain.

Le Nord : l’Équateur. 2 974 000 inscrits, soit 11,57 % de l’électorat.
A priori, Jean-Pierre Bemba est le mieux placé. C’est là qu’il est né. C’est là aussi qu’il a monté sa rébellion contre l’ancien chef de l’État, Laurent-Désiré Kabila. Mais les habitants de cette immense région forestière n’ont pas tous gardé un bon souvenir de cette époque où les gens ne mangeaient pas à leur faim et vivaient à demi-nu, faute d’argent pour s’acheter un pagne. Joseph Kabila et Pierre Pay-Pay espèrent donc y faire un score honorable.
Deux candidats « locaux » tentent également leur chance. Nzanga Mobutu pourrait faire une percée à Gbadolite, l’ancien fief de son père. Et peut-être au-delà. Timothée Moleka, un ancien gouverneur des années Mobutu, pourrait aussi glaner des voix. En cas de second tour, Joseph Kabila essaiera d’obtenir leur ralliement.

L’Ouest : le Bandundu, le Bas-Congo et Kinshasa. 7 147 000 inscrits, soit 27,80 % de l’électorat.
Politiquement, c’est la région la plus atomisée du pays. Aucune figure ne s’y détache. Chaque voix sera disputée. Mais il y a tout de même quelques fiefs.
Au Bandundu, le vieux lumumbiste Antoine Gizenga dispose d’un bon socle électoral. Mboso Nkodia, un ancien ministre de Mobutu, va également « fixer » des voix. Comme il est membre du Renaco, il sera un précieux allié pour Bemba si celui-ci parvient à mettre Kabila en ballottage. Côté Kabila, on espère que l’ancien président de l’Assemblée nationale Olivier Kamitatu – un transfuge de chez Bemba – et le ministre de l’Intérieur Théophile Mbemba feront voter pour « Joseph ». Tous deux sont candidats aux législatives.
Au Bas-Congo, un homme dispose d’un capital de voix très convoité. C’est Diomi Ndongala. Héritier de la démocratie chrétienne congolaise et un brin régionaliste, cet ancien ministre des Mines du gouvernement de transition est très sollicité, mais n’a pas encore noué d’alliance. Comme Mbusa Nyamwisi dans l’Est, il se réserve et fait monter les enchères. Justine Kasavubu fera-t-elle beaucoup de voix sur le nom de son père, le premier président du Congo ? Pas sûr. Sa sur aînée, Rose-Marie, appelle à voter Kabila.
Kinshasa fait exception. Dans leur majorité, les quelque trois millions de Kinois inscrits sur les listes ont perdu le réflexe ethnique. Beaucoup d’entre eux voteront d’abord pour un programme. Joseph Kabila est considéré comme le sortant. Dans une ville rongée par la corruption, il n’aura pas la tâche facile. Les Gizenga, Ruberwa, Kashala, Olenghankoy, Nzuzi et autres Pay-Pay ou Bemba pourraient en profiter. Bref, à Kinshasa comme ailleurs, le jeu reste très ouvert. Et la tension monte à un mois de l’échéance.

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