Le blues du ballon rond

Absente des grandes compétitions, l’équipe nationale souffre de la médiocrité de son championnat, discrédité par les affaires.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Stade El Molinón de Gijón (Espagne), mercredi 16 juin 1982, Mondial de football. Quelque 42 000 spectateurs s’installent pour assister au match d’ouverture du groupe B opposant l’Allemagne à l’Algérie. Au pays, ils sont des millions à suivre la retransmission. La gorge sèche, l’estomac noué, les jambes flageolantes, chacun prie pour éviter la déroute.
Pour leur première participation à une phase finale de Coupe du monde, les Verts ne se font guère d’illusions : ils espèrent au mieux obtenir un match nul, au pire éviter la débâcle. À la veille de la rencontre, ils n’en mènent pas large. D’autant que les Allemands ont, eux, promis de les humilier. Le milieu de terrain, Paul Breitner, n’a-t-il pas déclaré vouloir descendre sur le terrain vêtu d’un costume ? L’avant-centre, Horst Rubbesh, n’a-t-il pas prétendu pouvoir inscrire une dizaine de buts ?
Quatre-vingt-dix minutes plus tard, lorsque l’arbitre péruvien siffle la fin de la rencontre, le Onze algérien a fait sensation. Après une rencontre héroïque, il bat l’Allemagne deux buts à un. Les joueurs deviennent des héros. Rabah Madjer et Salah Assad partent exercer leurs talents en Europe, Mustapha Dahleb brille au Paris-Saint-Germain, tandis que Lakhdar Belloumi est sélectionné pour jouer un match de gala rassemblant les meilleurs joueurs de la planète, comme le Brésilien Zico, le Français Michel Platini ou l’Italien Paolo Rossi. L’exploit marque d’autant plus les esprits que la télévision algérienne rediffuse le match à maintes reprises.
Aujourd’hui, cette époque paraît bien lointaine. En 2006, l’Algérie est absente de la Coupe du monde pour la cinquième fois consécutive. Pis, elle n’a pas réussi à se qualifier pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui s’est déroulée en Égypte du 20 janvier au 10 février derniers. Du supporteur inconditionnel au responsable politique en passant par le citoyen lambda, tout le monde vit ces absences comme une gigantesque frustration. Voir un affront. « Le football algérien est malade. Ses dirigeants sont des affairistes. Le championnat national est de piètre qualité, les joueurs sont devenus des marchandises que les présidents de clubs s’échangent contre des milliards. Notre football n’est plus capable de produire des footballeurs de niveau international. Pourtant, l’argent ne manque pas dans les caisses de l’État. Il faut repartir de zéro », déclare Mounir, journaliste sportif dans un quotidien algérois.
Jugement excessif ? Nullement. Même le président Bouteflika partage cet avis lorsqu’il affirme que « le football, dans notre pays, est à la fois une source de richesse et un milieu souillé par les affaires ». Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Yahia Guidoum, chirurgien de formation et grand amateur de football, ne dit pas autre chose. Lui aussi utilise des mots très durs pour qualifier la situation. « Je vous demande de m’aider dans ma guerre contre la mafia du football, contre ceux qui vendent et qui achètent les matchs en fin de championnat, a-t-il déclaré récemment. Tant que ces gens-là séviront, on ne pourra pas construire une grande équipe nationale. »
Assainir le milieu du foot et rebâtir une sélection, telle est donc la mission que s’est assignée le ministère de la Jeunesse et des Sports. Un vrai défi, car le football est une quasi-religion en Algérie. Les matchs de coupes et de championnats drainent des milliers de personnes dans les stades. Les journaux sportifs se comptent par dizaines. La passion des Algériens pour le sport roi est si forte que la non-diffusion des matchs de la Coupe du monde 2006 par la télévision algérienne – en raison du monopole exercé par le bouquet ART du milliardaire saoudien Cheikh Salah Kamel sur les droits de retransmission – a failli tourner au drame. Pour éviter une déprime nationale, le président a ordonné que les cartes d’accès au bouquet ART soient vendues dans tous les bureaux de poste à 2 100 dinars (23 euros) – moyennant une subvention de l’État – alors qu’elles coûtent habituellement cinq fois plus. Pour cette opération, le Trésor public a dû débourser 416 millions de dinars (4,5 millions d’euros)
Mais si les Algériens aiment le foot, leur enthousiasme pour leur équipe nationale est bien moindre. « Ils jouent mal et ne mouillent pas le maillot, affirme Mourad, supporteur de l’USM Alger. Quand on change d’entraîneur tous les six mois, comment voulez-vous construire une équipe capable de rivaliser avec le Maroc, la Tunisie, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire ? »
Pour les responsables de la Fédération algérienne du football (FAF), la solution passe d’abord par le recrutement d’un technicien étranger. Mais dénicher l’oiseau rare n’a pas été facile. Des discussions ont eu lieu avec Giovanni Trappatoni (Italie), Ruud Gullit (Pays-Bas) et Philippe Troussier (France), mais elles n’ont pas abouti, faute d’accord financier. Le salaire mensuel d’un sélectionneur de classe mondiale dépasse aisément la barre des 30 000 euros (2,8 millions de DA), soit environ 280 fois le smic national, plafonné à 10 000 dinars. À ce prix-là, ni le ministère de la Jeunesse et des Sports, ni les responsables de la Fédération n’ont voulu prendre le risque d’engager l’un des trois, sous peine d’être accusés de dilapider l’argent public.
En outre, le principe de recourir aux services d’un entraîneur étranger est diversement apprécié. Si certains professionnels algériens soutiennent que seul un coach néerlandais, français ou italien est capable de bâtir une grande équipe, d’autres préféreraient confier les rênes de la sélection à un compatriote. « L’idée de recruter un entraîneur étranger aurait des conséquences catastrophiques. Il faudrait plutôt recruter seize formateurs, les affecter aux seize clubs de première division et leur fixer des objectifs pour les cinq prochaines années », explique Nouredine Saadi, entraîneur.
Après plusieurs mois de prospections, la FAF a fini par trancher : l’homme qui prendra en charge les Verts, le quatrième en dix ans, est le Français Jean-Michel Cavalli. Engagé pour deux ans, il a reçu pour mission de qualifier l’Algérie pour la XXVIe CAN organisée en 2008 au Ghana. Titulaire d’un diplôme d’entraîneur professionnel, Cavalli a à son palmarès un doublé coupe-championnat avec le club saoudien Al-Nasr, un quart de finale de la Coupe de France avec Lille et une demi-finale de la Coupe de la Ligue avec Ajaccio. Âgé de 54 ans, il ne cache pas son ambition : « J’avais des contacts avec des clubs grecs, turcs et français. Mais j’aime les paris et je crois beaucoup au retour de l’Algérie sur la scène internationale. Si j’avais privilégié l’aspect financier des propositions qu’on m’a faites, je n’aurais pas fait ce choix. » Si Cavalli parvient à ramener la coupe, les Algériens lui promettent gloire et fortune. Sinon

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