La guerre d’Olmert

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

C’est entendu, Israël fait ce qu’il veut. Il peut tout se permettre : envahir Gaza, bombarder des ponts, détruire l’unique centrale électrique, rafler ministres et députés palestiniens. Mais cette offensive furieuse et visiblement disproportionnée ne cesse de surprendre. Que veut au juste Israël ?
L’explication officielle – libérer le soldat Guilad Shavit capturé par les Palestiniens – ne tient pas la route. Les « moyens extrêmes » n’ont aucun rapport avec le but recherché et paraissent même contre-productifs. Ils risquent de mettre en péril la vie de Shavit. Les groupes palestiniens qui l’ont enlevé avaient également kidnappé un jeune colon qui a été exécuté après l’offensive. Un deuxième colon dont on ne parle guère serait entre leurs mains.
La guerre asymétrique déclenchée par le gouvernement israélien répond à d’autres objectifs sur lesquels on ne s’attarde pas pour le moment, mais qui deviennent limpides au fil des jours. Au commencement était l’opération de Karem Shalom lancée le 25 juin contre une base de l’armée israélienne à la lisière de Gaza. Un grave coup porté à l’invulnérabilité légendaire de Tsahal. La Résistance a montré qu’elle pouvait surprendre l’ennemi et lui infliger des pertes : deux morts (autant du côté des assaillants) et un blessé fait prisonnier (Shavit). L’état-major a vécu l’événement comme une humiliation. Il faut dire que le commando a surgi d’un tunnel qui se prolongeait sur 300 mètres à l’intérieur du territoire israélien. De plus, l’opération a été filmée, à la manière d’Abou Moussab Zarqaoui, puis diffusée sur Internet.
L’effet produit par le « coup » de Karem Shalom est d’autant plus fort que les Israéliens ne savaient comment faire cesser les pluies de missiles Qassam qui s’abattent sur leurs agglomérations. Depuis le retrait de Gaza, en septembre 2005, plus de six cents roquettes artisanales sont tombées sur Sdérot, où réside Amir Peretz, le ministre de la Défense. Bilan : cinq morts, des dizaines de blessés et des dégâts importants. La portée des Qassam ayant été accrue, ils menacent désormais des villes comme Ashkélon.
Ce n’est pas tout. Les Qassam mettent également en péril la propre stratégie d’Ehoud Olmert. Entendant poursuivre l’uvre d’Ariel Sharon, le Premier ministre envisage d’évacuer soixante-dix mille colons de Cisjordanie et de les regrouper dans des blocs de colonies destinés à être annexés. Mais comment éviter qu’ils soient à leur tour arrosés par les roquettes ?
Dans ce contexte, Karem Shalom a été la goutte d’eau. Le gouvernement se devait de réagir. Pour le successeur de Sharon, c’était l’épreuve du feu. Le parallèle entre les deux hommes, entre le général et l’avocat, est dans tous les esprits. La personnalité de Peretz n’arrange pas les choses. Dépourvu, lui aussi, de toute expérience militaire, sa nomination avait suscité quolibets et sarcasmes. Bref, aussi bien le chef du gouvernement que le patron de l’armée étaient attendus au tournant. La démesure de la réaction après Karem Shalom trouve ici un début d’explication. Ils en font trop pour ne pas encourir le reproche de ne pas en faire assez.
Au passage, le gouvernement s’est donné un autre objectif d’inspiration plus politique que psychologique. Puisque l’évacuation de Gaza n’a pas tout à fait provoqué le chaos généralisé, avec à la clé la guerre interpalestinienne tant souhaitée, que cette évacuation a même accru les périls en provenance du territoire pourtant assiégé et qu’il va donc falloir y revenir, autant en profiter pour réaliser un objectif, stratégique entre tous : détruire le Hamas.
La victoire électorale du mouvement islamiste posait un redoutable problème au gouvernement israélien. Il avait fait ses preuves sur le terrain (427 morts au cours de 58 attentats) et il bénéficiait d’une réelle légitimité populaire consacrée par les urnes. Certes, on peut traiter avec lui comme l’atteste son respect de la trêve, mais c’est un adversaire exigeant : donnant-donnant. D’emblée, Olmert a préféré une autre voie : diaboliser le Hamas, le déconsidérer, l’isoler, le boycotter. Son irrédentisme rhétorique et son refus de reconnaître Israël rendent la tâche facile. Grâce à la campagne israélienne, le Hamas a été frappé partout d’ostracisme. La suppression de l’aide européenne, à la fois injuste et stupide, a donné des idées au gouvernement Olmert : on va affamer les Palestiniens, qui vont finir par rejeter le gouvernement islamiste. Rien de tout cela ne s’est produit.
De même, les affrontements entre le Hamas et le Fatah, qui faisaient craindre le pire, ont été finalement circonscrits. Mieux, les débats ont débouché sur une entente extrêmement prometteuse. C’est le « document des prisonniers » élaboré à l’initiative de Marwane Barghouti qui sert de base au « nouveau cours ». On sait qu’il se prononce sur des questions cruciales : État palestinien sur les frontières de 1967, limitation de la résistance armée aux Territoires occupés, gouvernement d’union nationale. L’adhésion du Hamas à une telle plateforme est un événement majeur. En faisant preuve, non sans mérites, de pragmatisme, le Premier ministre Ismail Haniyeh renforce la position du président Mahmoud Abbas, et fait de l’Autorité palestinienne un interlocuteur valable.
Or cette évolution n’est pas du goût des Israéliens. Et il faut tout faire pour la tuer dans l’uf. C’est qu’elle risquait de bousculer l’un des dogmes hérités de Sharon – Israël n’a pas d’interlocuteur palestinien – ainsi que la doctrine de l’unilatéralisme qu’il justifie : tracer les frontières du plus grand Israël possible, sans les Palestiniens. Désormais, avec l’arrestation massive des dirigeants du Hamas, on ne risque plus de parler ni de partenaire palestinien ni de processus de paix.
À coup sûr, Olmert marche sur les pas de Sharon. Cette frénésie guerrière et aventureuse est bien dans le style du second, toujours entre la vie et la mort. L’expédition de Gaza de juin 2006 fait penser à l’aventure libanaise de juillet 1982. Parmi leurs traits communs, celui-ci : on sait comment elle commence, on ignore comment elle se terminera. Les Israéliens commencent à se poser des questions. Titre de l’éditorial du Haaretz, le 30 juin : « Le gouvernement a perdu la tête ».

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