La corruption en ligne de mire

Face au développement fulgurant de la délinquance économique, les autorités ont déclenché une vaste opération « mains propres ».

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

« Il est impératif de renforcer la lutte contre la corruption et le népotisme », a lancé, le 25 juin, le président Abdelaziz Bouteflika, devant les walis (préfets) réunis à Alger. Presque au même moment, le procès d’une retentissante affaire de détournement et de blanchiment d’argent s’ouvrait devant le tribunal correctionnel de Bir Mourad Raïs, sur les hauteurs d’Alger.
Aujourd’hui en fuite à l’étranger et cible d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice algérienne, Brahimi el-Mili Anouar, le principal inculpé, n’est pas n’importe qui. Ancien directeur général du Fonds algéro-koweïtien d’investissements (Faki), il est le fils de Mohamed el-Mili Brahimi, un ancien ministre de l’Éducation de Chadli Bendjedid (1989). Son épouse et lui sont accusés d’avoir détourné 8 milliards de dinars (86,5 millions d’euros), puis d’avoir transféré illégalement cette somme sur des comptes au Luxembourg.
Non content de détourner l’argent de ses associés, l’ex-DG octroyait apparemment des crédits de complaisance à des entrepreneurs privés, en violation des statuts de sa société. Avec l’argent du Faki, il aurait également acheté, pour son usage personnel, plusieurs terrains et appartements. « Dans un passé récent, traduire en justice le fils d’un ministre était presque impensable. Ce procès est un signal à l’adresse des voleurs et des corrompus », commente un avocat.
Longtemps accusés de manquer de courage ou de volonté politique dans la lutte anticorruption, les pouvoirs publics ont, il y a quelques mois, lancé une véritable opération « mains propres ». C’est que, dans cette Algérie enrichie par la flambée des cours du pétrole, le phénomène a pris des proportions alarmantes. « L’augmentation du nombre des scandales est proportionnelle à celle des réserves de change », persifle un journaliste.
En moins d’une décennie, la grande délinquance économique est devenue un véritable fléau. Les scandales financiers se multiplient : de la faillite du groupe Khalifa au détournement de plusieurs milliards de dinars à la Banque nationale d’Algérie (BNA), en passant par la vaste escroquerie montée au sein de la Banque commerciale et industrielle d’Algérie (BCIA).
Au mois de janvier dernier, le gouvernement a fait adopter par le Parlement une loi intitulée « Prévention et lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent ». Depuis, il ne se passe pratiquement pas de jour sans qu’on apprenne l’arrestation d’un directeur de banque indélicat, d’un receveur des impôts véreux, d’un flic ripou ou d’un élu corrompu. Même les hauts fonctionnaires ne sont pas à l’abri. En mai 2005, Mohamed Bouricha, pourtant réputé proche de la présidence, a été contraint de démissionner de son poste de wali de Blida. Poursuivi pour corruption, trafic d’influence, détournement de fonds publics, faux et usage de faux, il est dans l’attente de son jugement. Son collègue d’El-Tarf (à 700 km d’Alger) est lui aussi dans le collimateur de la justice, qui le soupçonne d’être impliqué dans diverses affaires de concussion.
Commentaire acide d’un ancien diplomate : « Avant, le bakchich ou la chippa (« commission », en arabe dialectal) étaient circonscrits au personnel politique et au monde des affaires. Aujourd’hui, toutes les couches de la société sont contaminées. La corruption se démocratise. »
Dans son édition du 19 juin, le quotidien gouvernemental El Moudjahid dresse un sombre tableau : « Fausses domiciliations, surfacturations, fraudes au contrôle des changes, sociétés ou employés fictifs, tous les subterfuges sont utilisés pour duper les institutions financières. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2005, 156 affaires de corruption ont été recensées, impliquant 602 personnes, dont 32 femmes. Le montant des sommes détournées avoisine les 2 milliards d’euros. Au cours des cinq premiers mois de cette année, plusieurs enquêtes menées par la direction des affaires économiques et financières de la police judiciaire d’Alger ont permis de découvrir plusieurs scandales impliquant des agences de banques publiques. Montant du préjudice : l’équivalent de 110 millions d’euros.
La dernière affaire qui fait les délices des salons algérois ? La récente incarcération d’Idir Cherfaoui, le directeur de SPA BIT Company, filiale du groupe Blanky, l’une des plus importantes entreprises privées du pays, spécialisée dans l’agroalimentaire et la grande distribution. La justice a ordonné l’ouverture d’une enquête concernant un prêt de 8 milliards de dinars que lui aurait consenti une banque publique. Détournement ? Corruption ? Règlement de comptes ? Quoi qu’il en soit, policiers et magistrats semblent résolus à aller jusqu’au bout. Les consignes de Tayeb Bélaïz, le ministre de la Justice, sont en effet très claires : « Partant du principe que nul n’est au-dessus de la loi, il n’y a pas de limites préétablies aux investigations. »

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