Ils ont dit « oui »

Après plus de cinq mois de résistance, le leader européen de l’acier a fini par céder aux avances de son concurrent indien et numéro un mondial du secteur.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Lakshmi Mittal est fort, très fort. Arriver à faire passer sa prise d’assaut réussie du sidérurgiste européen Arcelor pour une victoire de celui-ci qui, sur le papier, absorberait Mittal Steel : il fallait le faire ! Mais c’était le prix à payer pour que le conseil d’administration d’Arcelor se déjuge sans vergogne et invite, le dimanche 25 juin, les actionnaires à apporter leurs actions à ce même Mittal, dont il repoussait avec mépris l’offre de mariage, depuis cinq mois.
Pour parvenir à cette fusion-acquisition, qui devrait donner naissance au champion toutes catégories de l’acier mondial (116 000 tonnes d’acier par an et 320 000 salariés), Lakshmi a su améliorer son offre du mois de janvier par petites touches. Il a promis très vite que le siège du nouvel ensemble serait installé dans l’État du Luxembourg, l’un des actionnaires de référence d’Arcelor. On l’accusait de vouloir sous-payer celui-ci en proposant une valorisation à 18,5 milliards d’euros : par améliorations successives, il est monté à 25,4 milliards. Guy Dollé, le patron d’Arcelor, estimait que payer Arcelor pour 25 % en cash et pour 75 % en actions Mittal était de la « monnaie de singe » : Lakshmi a relevé à 30 % la partie cash. Des actionnaires s’inquiétaient du poids écrasant (64 %) de la famille Mittal dans le futur tour de table : Lakshmi a promis de ne pas monter au-delà de 45 % dans les cinq ans, de ne détenir que six postes sur dix-huit au conseil d’administration et seulement trois postes de directeurs généraux sur sept. Lakshmi, lui-même, se contenterait du poste modeste de vice-président.
Ce profil bas, il l’a maintenu envers et contre toutes les humiliations infligées durant des mois. Guy Dollé avait prétendu : « Arcelor fait du parfum ; Mittal, de l’eau de Cologne ». Thierry Breton, le ministre français des Finances, avait laissé tomber, condescendant : « Lakshmi Mittal ne connaît pas la grammaire des affaires. » François Pinault, fondateur du groupe PPR, s’est indigné de cette attitude et a accepté de devenir administrateur de Mittal Steel, parce que, a-t-il déclaré au Figaro, « je n’ai pas aimé l’accueil qu’il a reçu en France, ni le caractère xénophobe, pour ne pas dire raciste, de certains propos tenus sur l’Indien. Cela est intolérable ».
Tant et si bien que les actionnaires, d’abord réticents, ont fini par trouver à Lakshmi d’autant plus de charme que le cours de l’action Arcelor a doublé grâce à son offre publique d’achat. Quant au « chevalier blanc » déniché par la direction d’Arcelor, le russe Severstal, il est vite apparu insuffisamment transparent et fort peu respectueux des droits des actionnaires.
Outre les Russes humiliés d’être éconduits, les perdants sont au nombre de trois : Guy Dollé, les personnels et les hommes politiques. Le PDG ne voulait pas de ce mariage avec un « inférieur » ne fabriquant que des aciers communs, quand Arcelor brillait dans les aciers spéciaux. Il a reconnu sa défaite en refusant de rester à la tête du nouveau mastodonte qu’il acceptera pourtant de conseiller jusqu’à sa retraite. Les personnels s’étaient portés au secours de la direction d’Arcelor. Leurs syndicats redoutent aujourd’hui que Lakshmi mette en uvre les 40 000 suppressions de poste d’ici à 2010 qu’il avait annoncées en 2005 dans son groupe.
Les hommes politiques ont manger leur chapeau. Le Premier ministre français, Dominique de Villepin, avait brandi l’étendard du « patriotisme économique » et vilipendé l’offre « inamicale » de Mittal. Il a entendu Jacques Chirac déclarer, le 26 juin, que l’offre était devenue « amicale, donc acceptable ». Le gouvernement luxembourgeois, qui était sur la même ligne de résistance, parle désormais de « mariage de raison ». Comme l’a souligné avec délectation le parti socialiste français, il s’agit d’une « capitulation en rase campagne » et « les seuls vainqueurs sont les actionnaires ».
Inutile de dire qu’en Inde la joie est sans mélange. Pensez ! Un Indien né au Rajasthan et élevé à Calcutta, toujours détenteur d’un passeport indien même s’il vit à Londres, est en passe de prendre le contrôle d’un des fleurons de la technologie occidentale. En cela, il fait mieux que les Chinois et confirme qu’il faudra compter avec l’Inde d’ici peu. « C’est une démonstration des capacités intellectuelles et entrepreneuriales de l’Inde et des personnes d’origine indienne », a triomphé Kamal Nath, ministre indien du Commerce. The Economic Times, quotidien indien, a enfoncé le clou : « C’est la victoire de l’eau de Cologne indienne sur le parfum européen », titre-t-il.
Lakshmi ne se laisse pas griser le moins du monde par ces acclamations. Il va poursuivre imperturbablement sa course à la croissance, persuadé qu’il est que la « globalisation » oblige à devenir toujours plus gros dans un secteur où les entreprises demeurent trop atomisées. L’année dernière, il assignait à son entreprise d’atteindre une production de 100 millions de tonnes par an. Avec Arcelor, c’est fait et au-delà. « À terme, a-t-il déclaré, le 26 juin à Luxembourg, il y aura vraisemblablement deux entreprises sidérurgiques pesant plus de 150 millions de tonnes. Arcelor-Mittal se dirige vers cet objectif et d’autres entreprises suivront. »
Car peser lourd est la seule façon de tenir tête aux trois mineurs géants, le brésilien CVRD, les anglo-saxons BHPBilliton et Rio Tinto, qui contrôlent le minerai de fer et qui ont imposé une augmentation de 71 % en 2005. Les « petits » concurrents chinois, Baosteel (24 millions de tonnes) et Tangshan (16 millions de tonnes), n’ont qu’à bien se tenir.

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