Afrique-France : cachez ces mercenaires que Paris ne saurait voir
Qu’ils soient russes, français ou belges, ces combattants étrangers ont piètre réputation et sont officiellement jugés infréquentables. Pourtant, la plupart des gouvernements font appel à leurs services…
Et si on s’attardait sur la guerre d’influence menée par la France contre le gouvernement malien de transition, qui passe largement inaperçue ? Les sanctions économiques prises par la Cedeao contre Bamako frappent tout de suite les esprits, chacun y voyant un instrument de guerre économique visant à assiéger les nouvelles autorités maliennes de transition afin de les ramener à la raison.
Mais une campagne de délégitimation plus insidieuse est à l’œuvre, qui impose des mots, un récit, un discours sur le Mali. Ces mots, serinés à longueur d’articles, de documents vidéo et audio, et que nous reprenons naturellement, imprègnent nos esprits, façonnent notre lecture des évènements, nous soumettent intellectuellement. Des esprits mal informés, désarmés, sont d’autant plus réceptifs à des options politiques privilégiées par les tenants du discours dominant.
Soldats de fortune
Quand les autorités françaises répètent à l’envi que le gouvernement malien de transition recourt à des « mercenaires », en l’occurrence ceux du groupe russe Wagner, il est difficile de ne pas y voir une tentative de décrédibilisation des autorités de transition. Même au sein d’un public peu au fait de l’histoire des relations internationales, le mot « mercenaires » a une connotation très négative : il évoque des individus sans foi ni loi, prêts à semer chaos, destruction et mort sur commande. Le moins que l’on puisse dire est qu’un gouvernement qui fraye avec des profils pareils mérite au minimum indifférence ou mépris. Et si, par le plus grand des hasards, il venait à être renversé, qui donc le déplorerait ?
Si les mercenaires n’ont pas d’affiliation officielle aux forces armées d’un pays donné, il existe une véritable industrie du mercenariat
Il est regrettable que la crédibilité du gouvernement français lui-même ne soit pas remise en question lorsqu’il dénonce le recours supposé d’un État tiers aux mercenaires. Car si un mercenaire est un soldat de fortune, sans affiliation officielle aux forces armées d’un pays donné, et qui mène des opérations officieuses au bénéfice de commanditaires étatiques ou privés, alors, ce qu’il est convenu d’appeler « la Françafrique », et dans laquelle Paris tient le rôle central, ne se serait vraisemblablement pas développée sous la forme qui lui est connue sans l’industrie du mercenariat.
Par exemple, dans un rapport publié le 1er février 2018 sous le titre « Le Crapuleux Destin de Robert-Bernard Martin » et qui révèle le rôle joué par le fameux mercenaire français Bob Denard au côté du gouvernement génocidaire au Rwanda en 1994, l’association Survie indique : « Ces révélations démontrent une nouvelle fois que l’implication des autorités françaises est multiforme, car elles ne pouvaient ignorer les activités d’un mercenaire resté régulièrement en contact avec les services de renseignement tout au long de sa carrière, y compris en 1994 sur le sujet du Rwanda. » La position de la France est-elle que le recours à des « mercenaires » se justifie lorsqu’il est le fait d’un gouvernement allié et rencontre les intérêts de l’Hexagone ?
Dans un chapitre de son livre L’Enjeu congolais, sorte de chronique des bouleversements qui ont marqué la région des Grands Lacs à partir de la fin des années 1990, la journaliste Colette Braeckman raconte comment la défaite militaire de la coalition mobutiste, constituée de l’armée zaïroise alliée à l’armée rwandaise nouvellement défaite au Rwanda et accueillie sur le sol zaïrois, de miliciens hutu génocidaires, ainsi que d’une multitude de mercenaires, a entraîné la chute de Mobutu. Elle précise : « Tavernier [mercenaire belge] et les siens, lieutenants de Bob Denard, anciens des Comores, du Cambodge, de la Rhodésie, ont été payés directement par Paris et par Mobutu. »
Deux poids, deux mesures
La France officielle a-t-elle l’intention d’ouvrir l’épais dossier de ses propres recours à des mercenaires divers et variés pour accomplir les sales besognes dont l’histoire, peu glorieuse, de la Françafrique est pleine ? Cela est improbable. Par conséquent, Maliens et Africains sont en droit d’appeler à un minimum de cohérence et de retenue des autorités françaises. Car soit le recours à des « mercenaires » est injustifié, et le principe devrait valoir pour tous, soit il est admis, et tous les États sont fondés à solliciter les services de sociétés privées de sécurité. En cette matière, comme en d’autres, la politique du deux poids, deux mesures ne saurait être la règle.
Pourquoi Wagner plutôt que des Maliens, voire des Africains ?
Les autorités maliennes auraient tort de se laisser imposer les termes du débat relatif à la résolution de la question sécuritaire dans leur pays. Après tout, être souverain, c’est aussi choisir ses partenaires, quels qu’ils soient. Mais l’irruption de Wagner dans le débat public pose une question plus fondamentale, quoi que dérangeante : pourquoi ce groupe privé plutôt que des Maliens, voire des Africains ?
Si la souveraineté des États du continent est aussi sacrée que les multiples protestations contre l’intervention militaire française au Mali venues des quatre coins de l’Afrique francophone le suggèrent, alors peut-être faut-il être prêt à en payer soi-même le prix ? Car, comme le disait Chesterton : « Toute pensée qui ne devient parole est une mauvaise pensée. Toute parole qui ne devient acte est une mauvaise parole, et tout acte qui ne devient fruit est une mauvaise action. »
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