Du cash pour un monde meilleur

Le milliardaire Warren Buffett va donner 70 % de sa fortune à la fondation de Bill Gates, qui uvre, de façon très concrète, pour l’amélioration de la santé et de l’accès à la technologie dans les pays pauvres.

Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

« Dieu m’a donné mon argent Je crois qu’il est de mon devoir d’en gagner encore davantage et de l’utiliser pour le bien de mon prochain. » Cette définition de la philanthropie à l’américaine est signée John Rockefeller (1839-1937). Ses contributions diverses ont été estimées à 450 millions de dollars. Quelque temps avant lui, un autre capitaine d’industrie, Andrew Carnegie (1835-1919), avait fait des donations évaluées, elles, à 350 millions de dollars.
Les records sont battus quand les philanthropes sont l’homme le plus riche de notre époque, Bill Gates (fortune : 50 milliards de dollars), et son suivant immédiat, lui aussi américain, Warren Buffett (fortune : 44 milliards de dollars).
Le second vient d’annoncer qu’il avait pris ses dispositions pour que 85 % de ces 44 milliards de dollars (soit 37,5 milliards) soient distribués, dans les années à venir, à cinq fondations caritatives, dont 80 % à celle de Bill et Melinda Gates – soit 30 milliards de dollars. Les autres sont la Susan Thompson Buffett Foundation, la Howard G. Buffett Foundation, la Susan A. Buffett Foundation et la Novo Foundation : la première a été baptisée en 2004 du nom de l’épouse de Warren Buffett, décédée cette année-là ; la deuxième et la troisième portent le nom du fils aîné et de la fille du milliardaire ; la quatrième est dirigée par son plus jeune fils. Un self-made man tel que Warren Buffett ne laisse rien au hasard.
La décision de Warren Buffett était prise depuis longtemps, et c’est par pure coïncidence qu’elle a été rendue publique quelques jours après l’annonce par Bill Gates de sa volonté de consacrer davantage de temps à sa propre fondation. Comme Gates, Buffett est opposé à la « richesse dynastique », autrement dit à l’héritage. Il confiait récemment à son amie Carol Loomis, du bimensuel Fortune : « Une personne très riche doit laisser suffisamment à ses enfants pour qu’ils fassent ce qu’ils veulent, mais pas assez pour qu’ils ne fassent rien. » Voilà quelques années, déjà, il déclarait : « Il n’y a aucune raison pour que les futures générations de Buffett dirigent des sociétés uniquement parce qu’ils sont mes descendants. Où est la justice dans tout cela ? »
À la manière de Rockefeller, Warren Buffett veut « retourner à la société l’argent qu’il a gagné, s’attaquer à des problèmes vraiment graves pour lesquels il n’existe pas de financement suffisant ». Il a vu ce que faisaient Bill Gates – son partenaire de bridge – et sa femme Melinda à la tête de leur fondation, et il a été convaincu : « J’avais avec eux le bon moyen d’atteindre mon objectif, il n’y avait pas de raison d’attendre. Ne seriez-vous pas heureux de vous faire représenter par Tiger Woods dans un grand tournoi de golf ? »
Contrairement au projet visionnaire de Bill Gates, 50 ans aujourd’hui, qui a fondé Microsoft parce qu’il pensait que « la programmation informatique ouvrait des possibilités immenses pour tous les domaines de la vie », Warren Buffett, 75 ans, a bâti sa fortune sur des valeurs classiques, des produits de grande consommation comme le soda (Coca-Cola), les crèmes glacées (Dairy Queen) et les assurances (Geico). Il dirige depuis 1965 le groupe Berkshire Hathaway, une société textile en difficulté qu’il a transformée en une société d’investissement riche de 141,8 milliards de dollars. Sa capacité à prévoir les mouvements des marchés financiers l’a fait surnommer « l’oracle d’Omaha ». C’est dans cette ville de 400 000 habitants située dans le Nebraska, au cur de l’Amérique, qu’il vit discrètement.
Il existe aux États-Unis des dizaines et sans doute des centaines d’organisations caritatives – au point que le magazine en ligne Slate publie chaque année une liste des plus grands philanthropes américains. L’idée est de Ted Turner, qui s’est lui-même illustré dans ce domaine en faisant un don faramineux aux Nations unies. La particularité de Bill et de Melinda Gates et, à leur suite, de Warren Buffett, est qu’ils ont décidé de faire de la philanthropie « stratégique », d’appliquer à ce qu’on appelait jadis la charité les principes de la gestion d’entreprise et plus particulièrement du capital-risque. On investit dans des projets considérés comme valables et réalisables, on utilise des techniques de mesure de la performance, on travaille avec des chefs de projets pour obtenir des résultats tangibles. À cela près, dit Bill Gates, que les « parts de marché » se mesurent ici en vies humaines sauvées. Telle est la politique de la Fondation Bill et Melinda Gates, créée en janvier 2000. L’entité se présente elle-même comme « le fruit de la fusion de la Fondation Gates pour le savoir, dont l’objet était d’améliorer l’accès à la technologie par le biais des bibliothèques publiques, et de la Fondation William H. Gates, dont l’activité était centrée sur l’amélioration de la santé dans le monde. Placée sous la direction du père de Bill Gates, William H. Gates Sr., et de Patty Stonesifer [une ancienne vice-présidente de Microsoft], cette fondation, basée à Seattle, dispose, grâce à la générosité personnelle de Bill et Melinda Gates, de quelque 28,8 milliards de dollars ». S’y ajouteront donc les 31 milliards de Buffett, dont 1,5 milliard dès cette année.
« Dans les trente prochaines années, dit Bill Gates, la médecine et l’informatique vont bouleverser le monde. C’est pour tenter de donner un petit coup de pouce à ce processus – et, surtout, pour m’assurer que les avancées de la médecine ne seraient pas exclusivement réservées aux pays riches – que j’ai créé la fondation. »
La fondation emploie actuellement à Seattle quelque 250 personnes et le « petit coup de pouce » décrit par Gates se chiffre déjà à plusieurs milliards de dollars. L’argent sert aussi bien à vacciner un petit Indien contre la poliomyélite à New Delhi qu’à financer de très incertaines recherches sur des vaccins contre le sida et le paludisme. « Nous bénéficions d’une situation exceptionnelle, explique Bill Gates. Nous pouvons dépenser 100 millions de dollars pour une recherche médicale dont nous pensons qu’elle peut aboutir : si elle n’aboutit pas, personne ne perdra son emploi. »
Il est évidemment plus difficile de chiffrer les progrès de la lutte contre le sida ou le paludisme que les recettes d’un supermarché. Bill Gates ne se décourage pas pour autant. « Je ne suis pas assez naïf pour croire que l’on comblera entièrement le fossé entre les pays riches et les pays pauvres en matière de santé, mais c’est notre objectif. La santé mondiale est la pierre angulaire du développement humain. »

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