Côte d’Ivoire : un scandaleux film culte restauré

« Visages de femmes » restera le seul et unique long métrage de Désiré Écaré. À sa sortie en 1985, il fut censuré pour une scène d’amour adultère. Il ressort aujourd’hui après restauration, sans rien avoir perdu de son insolence visionnaire.

La film censuré à sa sortie en 1985 mérite amplement son statut de trésor du cinéma africain. © DR

Renaud de Rochebrune

Publié le 23 février 2022 Lecture : 3 minutes.

Depuis quelques années, il est devenu banal de voir ressortir d’anciens films restaurés, même dans le cas d’oeuvres plus confidentielles comme les longs métrages africains. C’est ainsi qu’on a pu avoir accès à de belles versions «relookées» de classiques comme des réalisations du Sénégalais Djibril Diop Mambety (les magnifiques Touki Bouki et Hyènes), de l’Égyptien Youssef Chahine (Le Destin), de l’Ivoirien Henri Duparc (Bal Poussière), du Mauritanien Med Hondo (Soleil O), du Nigérien Oumarou Ganda (Cabascabo) ou du Burkinabè Pierre Yameogo (Wendemi) pour ne citer que quelques exemples.

C’est aujourd’hui un film ivoirien, Visages de femmes, connu de tous les cinéphiles même si la majorité d’entre eux n’avaient jamais pu le voir, qui bénéficie de cette occasion de ressortir sur grand écran – et a fortiori bientôt sur tous les écrans. Cette restauration permet enfin de vérifier qu’il mérite sa réputation de trésor du cinéma africain, et pas seulement parce qu’il fit scandale lors de sa sortie en Côte d’Ivoire, au milieu des années 1980.

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Censure

En raison d’une longue, et très belle, scène au cours de laquelle un homme et une femme font l’amour dans une rivière, la censure ivoirienne empêcha le film d’être projeté pendant un an avant que le réalisateur, Désiré Écaré, obtienne non sans mal la levée de la mesure, assortie d’une simple interdiction aux moins de 18 ans. Le film avait alors obtenu, en 1985, le prestigieux prix de la critique internationale au festival de Cannes.

Indépendamment de son aspect érotique fort osé pour l’époque mais ni vulgaire ou racoleur, le film est superbe d’un point de vue esthétique, et très original. Il met en scène une succession de trois histoires dont l’héroïne est à chaque fois une jeune femme. La première – celle qui contient la scène censurée – évoque l’amour d’une villageoise pour le frère de son mari très jaloux et pour lequel elle ne ressent aucune attirance. La seconde raconte l’entraînement au karaté d’une femme qui veut pouvoir résister à son conjoint violent qu’elle finira par terrasser au cours d’une scène amusante. Enfin, la troisième histoire met en scène une dynamique femme d’affaires d’Abidjan, qui dirige un important commerce de poissons séchés et voudrait ouvrir un restaurant : elle se heurte à la frilosité du banquier qui refuse de financer ses activités et à la cupidité de sa belle-famille qui vit entièrement à ses dépends sans manifester la moindre reconnaissance.

Un propos drôle et visionnaire

À l’époque de sa sortie, en 1985, Visages de femmes est un film féministe d’avant-garde – mais ne l’est-il pas encore aujourd’hui ? C’est aussi un hymne à la liberté : grâce à ces trois célébrations de tentatives d’émancipation de femmes mais aussi à de nombreuses séquences de chants et de danses qui viennent rythmer le film et où l’on voit ds femmes se moquer des travers des hommes. Ce long métrage qui oscille entre comédie et drame sans jamais se prendre au sérieux ne peut que ravir l’œil : l’image est d’un bout à l’autre d’une très grande beauté et le propos est drôle, intelligent et visionnaire.

Il faut se précipiter voir cette œuvre qui ne ressemble à aucune autre et qui mérite assurément d’être considérée comme un film culte. Il aura fallu 10 ans au cinéaste pour produire, tourner et monter Visages de femmes, qu’il voulait entièrement financer dans son pays, quitte à accepter maints travaux annexes et divers petits boulots pour mener son projet à bien. Hélas, cette réussite évidente n’aura pas permis à son auteur, décédé il y a une dizaine d’années, de poursuivre sa carrière. N’ayant jamais pu finaliser son projet suivant – qui devait s’intituler Indépendance Cha Cha et évoquer les désillusions des indépendances à travers le portrait de deux villageoises – Désiré Écaré restera l’homme sinon d’un seul film du moins d’un seul long métrage. Un chef d’œuvre sans lendemain mais qui restera comme un jalon essentiel dans l’histoire du cinéma africain.

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Visages de femmes de Désiré Ecaré
Sortie en France le 23 février

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