Algérie : avec l’arrestation de Zaki Hannache, la répression franchit un nouveau cap

Trois jours après avoir témoigné dans JA, le défenseur des droits humains, Zaki Hannache, considéré comme le porte-voix des détenus d’opinion, a été arrêté. Dans la perspective du troisième anniversaire du Hirak, les autorités resserrent l’étau sur les militants pro-démocratie.

Zaki Hannache, le 13 février 2021. © RYAD KRAMDI/AFP

Publié le 21 février 2022 Lecture : 4 minutes.

Le 18 février, en début de soirée, la nouvelle tombe sur les réseaux sociaux. Cinq officiers en civils ont effectué une perquisition au domicile familial de Zaki Hannache, 34 ans, à Alger, et l’ont embarqué sans violence vers un commissariat de la capitale, selon son père.

Sur les réseaux sociaux, les réactions affluent, entre consternation, colère et incompréhension. Les internautes sont alarmés d’apprendre que celui qui documentait minutieusement chaque arrestation puisse être ciblé à son tour.

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Parmi eux, Riad s’interroge sur les accusations qui seront portées contre son ami : « Amour démesuré pour son pays ? Excès de gentillesse ? Port abusif de la casquette ? » ironise-t-il. « On est tous abattus », admet-il. « Zaki était un porte-flambeau, il ne discriminait pas dans son traitement des détenus et c’est pour ça qu’on l’admirait tous. »

En moins de 24h, une pétition est signée par 15 organisations et près de 130 personnalités algériennes pour condamner cette « énième dérive » du pouvoir et réclamer la libération de l’activiste, décrit comme « un modèle d’engagement pacifique au sein du Hirak ».

« Véhicule essentiel »

Dans un contexte de fermeture de l’espace public où les arrestations et les comparutions judiciaires sont quotidiennes, l’arrestation de Zaki Hannache n’est pas anodine. Ce technicien en maintenance industrielle, originaire de Béjaïa, déclarait en février 2021 qu’avant le Hirak, ses rêves se limitaient au mariage et à l’émigration.

Zaki est devenu un véhicule essentiel de documentation des violations des droits humains

À l’été 2019, alors que les procès de manifestants pacifiques se multiplient, l’engagement de Zaki Hannache prend une autre direction. Il comprend la nécessité de faire toute la lumière sur le sort réservé à ceux qui contestent « l’Algérie nouvelle » promise par le président Abdelmadjid Tebboune.

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« Dans un contexte où les médias officiels dominent l’information, Zaki est devenu un véhicule essentiel de documentation des violations des droits humains », commente l’avocat et ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme Mustapha Bouchachi.

Le militant a construit un réseau de confiance auprès des avocats à travers le territoire algérien et relaie les informations qu’ils lui transmettent. Au seul moyen d’un compte Facebook et de son téléphone, il est devenu à lui seul une plateforme clé d’information sur les arrestations et les poursuites judiciaires contre tous ceux considérés comme une menace par le pouvoir.

En rapportant des éléments factuels sur les arrestations, Zaki Hannache se pensait à l’abri de la répression

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Au sein de la société civile, la personnalité de Zaki Hannache fait consensus. « Depuis le Hirak, Zaki est l’ami de tout le monde », plaisante une de ses amies et militante à Alger, qui préfère garder l’anonymat. Au-delà de son travail de documentation, Zaki Hannache a travaillé au plus près des détenus et de leurs familles.

Il lui est arrivé de se rendre à la sortie d’un commissariat au milieu de la nuit pour y attendre la sortie d’un militant, avant d’enchaîner le lendemain à la première heure en assistant au procès d’un autre. Outre les informations livrées heure par heure, Zaki Hannache a utilisé sa plateforme pour témoigner de l’engagement de ceux qu’il admire, au premier rang desquels les avocats des détenus, qu’il décrit comme des « soldats de la liberté ».

« Dans le puits du militantisme »

Zaki Hannache est devenu « la principale référence » sur la situation des détenus d’opinion, il représentait une « Ligue des droits de l’Homme » à lui tout seul, assure Mehdi, membre du collectif « Algerian Detainees » (Détenus algériens).

Mais l’engagement sans faille de Zaki Hannache n’a pas été sans un important sacrifice personnel. Technicien de jour, Zaki Hannache entame en fin de journée son deuxième travail. Malgré les pressions, l’épuisement de trois années de mobilisation et le désespoir de voir ses amis – militants, journalistes, avocats – ciblés les uns après les autres, cesser son combat n’était pas une option. Il disait être tombé « dans le puits du militantisme ».

En rapportant essentiellement des éléments factuels sur les arrestations et poursuites judiciaires, Zaki Hannache se pensait à l’abri de la répression. Pourtant ces derniers mois, alors que les organisations internationales comme Amnesty international décrivaient « une régression marquée de la situation des droits humains » et une « répression implacable », Zaki se sentait de plus en plus menacé.

Empêcher le retour du Hirak

Quelques semaines avant son arrestation, il avait partagé avec ses proches ses craintes après que des officiers de police se sont déplacés à son lieu de travail et à son domicile pour se renseigner sur ses activités.

340 détenus d’opinion au 9 février

D’après Raouf Farrah, chercheur en géopolitique et militant au sein du mouvement Ibtykar, « l’arrestation de Zaki vise à fragiliser le travail de veille sur les violations des droits humains et la couverture de la situation des détenus d’opinion ».

Face à un régime qui resserrait l’étau, Zaki s’est mobilisé auprès des « grévistes de la dignité » et s’est fait vecteur de cette campagne, notamment dans Jeune Afrique le 15 février, soit trois jours avant son arrestation.

Au soir de son témoignage dans nos colonnes, le président Abdelmadjid Tebboune affirme qu’il n’y a pas de détenus d’opinion en Algérie. Ce n’était pas l’avis de Zaki Hannache qui en a recensés au moins 340 au 9 février. Aujourd’hui, l’arrestation de leur porte-voix est un coup dur porté à ceux qui contestent cette proclamation. L’objectif des autorités est « d’empêcher un retour du Hirak et l’avènement de ses revendications », estime Maître Bouchachi.

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