Banjul sur son trente et un
Publié le 4 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.
Banjul s’est refait une beauté pour accueillir le 7e Sommet de l’Union africaine du 25 juin au 2 juillet. Jusqu’à la dernière minute, beaucoup doutaient de la capacité de cette ville, capitale de l’un des plus petits pays d’Afrique, à accueillir les chefs d’État et de gouvernement de tout le continent – avec leurs suites.
Bien que la Gambie soit l’un des pays les plus pauvres du monde, les autorités n’ont pas regardé à la dépense. Quelques jours avant l’arrivée des délégations, les habitants de Banjul ont été mobilisés dans le cadre d’une vaste opération Set Setal (« nettoyage général », en wolof), et, sur les principaux axes routiers, des lampadaires flambant neufs ont été installés : de l’aéroport à Yundum jusqu’à Kairaba, en passant par Kotou, Brufut, Senegambia
Un peu partout dans la ville, des panneaux publicitaires souhaitent la bienvenue aux hôtes de la Gambie. Les posters géants à l’effigie du président Yahya Jammeh, accompagnés des slogans en faveur de l’unité africaine, sont omniprésents. Seuls les portraits de Mouammar Kadhafi sont – presque – aussi nombreux, surtout dans le quartier résidentiel de Kololi, à proximité de la vaste et somptueuse résidence d’un blanc immaculé où le « Guide » a pris ses quartiers. La pléthorique délégation libyenne se montre quelque peu envahissante et les excès de zèle des innombrables agents chargés de sa sécurité ont tendance à exaspérer les Gambiens. Tout ce beau monde s’est installé dans les meilleurs hôtels, contraignant certains responsables africains à trouver, au dernier moment, un gîte ailleurs
Pour réussir son pari, le « secrétariat de coordination du sommet de l’UA », en clair le comité d’organisation, a réquisitionné la quasi-totalité du parc hôtelier : accueillir entre 3 500 et 4 000 délégués n’a en effet rien d’une sinécure. Les chefs d’État sont quant à eux logés dans cinquante-deux villas spécialement construites pour l’occasion à Brufut, pas très loin du nouvel hôtel Sheraton, dont l’immense salle de conférences est utilisée pour les séances plénières du Sommet.
Outre les Hummer et les Mercedes de rigueur pour les présidents, deux cents véhicules (4×4 et berlines) ont été achetés. Tous sont de marque coréenne pour alléger un peu le montant de l’addition. La Gambie n’est heureusement pas seule à supporter les frais de l’organisation, de nombreux pays ayant accepté de mettre la main à la poche. Le Sénégal voisin a pour sa part contribué à hauteur de 14 millions de dalasis (environ 500 000 dollars). L’Algérie (le président Abdelaziz Bouteflika a récemment reçu, à deux reprises, Musa Bala Gaye, le ministre gambien des Affaires étrangères) a fourni le matériel pour la fabrication des badges (entre autres) et formé les agents de sécurité. L’Inde, l’Égypte, la Thaïlande ont donné des ordinateurs et des logiciels, et le Qatar a contribué à l’achat des voitures.
Reste que, pour que la « fête » soit belle, l’État gambien a dû débourser, sur ses fonds propres, plus de 100 millions de dalasis (environ 4 millions de dollars). Les organisateurs ont, il est vrai, bien fait les choses : les buffets croulaient sous les victuailles et le champagne coulait à flots, tant lors du dîner des ministres des Affaires étrangères qu’au « banquet d’État » qui a réuni, autour des chefs d’État, les premières dames et leurs proches collaborateurs.
L’addition est salée, mais, aux yeux des autorités, le jeu en vaut la chandelle. Largement dépendante du tourisme et de l’industrie hôtelière, l’économie gambienne a bien besoin de cette publicité pour attirer davantage de visiteurs et d’investisseurs. En dépit des objurgations officielles, les hôtels n’ont d’ailleurs pas hésité à doubler, voire à tripler, leurs tarifs pendant la durée du Sommet.
Et puis, à l’approche de l’élection présidentielle du 28 septembre, l’opération est évidemment pain bénit pour Yahya Jammeh, qui, ayant reçu à Banjul une bonne trentaine de chefs d’État, ne manquera pas de se prévaloir face à ses adversaires d’une large caution continentale.
