Talents sans frontieres

Fini les quotas ! Dès le mois de juillet, les équipes françaises pourront aligner autant de joueurs africains qu’elles le désirent. Les clubs des autres pays européens ne devraient pas manquer de leur emboîter le pas.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Le 15 mai 2003, les instances du football français ont décidé que, dès le 1er juillet, les joueurs originaires des vingt-quatre pays ayant signé un accord d’association et de coopération avec l’Union européenne ainsi que ceux provenant des soixante-dix-sept pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) signataires de l’accord de Cotonou ne seront plus considérés comme « extracommunautaires » (voir la liste en encadré). À une condition toutefois : que ces footballeurs justifient d’au moins une sélection nationale.
Il aura fallu seize ans et de nombreuses péripéties juridico-sportives pour en arriver là.
Le 30 avril 1987, les présidents des clubs professionnels français, réunis à Paris en assemblée générale, adoptent une proposition de Jacques Georges, alors président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), et décident qu’à partir de la saison 1989-1990 seuls quatre joueurs non sélectionnables (en équipe de France) seront admis par équipe.
Les non-sélectionnables sont essentiellement et potentiellement les footballeurs venus d’Afrique, ayant acquis la nationalité française, mais ayant évolué ou évoluant dans des sélections nationales non françaises. Le Camerounais Joseph-Antoine Bell, alors gardien de but de l’Olympique de Marseille, laisse exploser son indignation : « C’est un projet raciste, avant tout antiafricain. De quel droit peut-on m’interdire de pratiquer librement mon métier en France ? J’ai la double nationalité franco-camerounaise. On est allé nous chercher en Afrique et maintenant on veut nous jeter. Je vais attaquer très fort. Je saisirai le Conseil pour entrave au code du travail. » Il fonde une association des footballeurs français d’origine étrangère et part en guerre contre la réforme. « C’est, affirme Me Serge Pautot, l’avocat de Bell, une monstruosité juridique parce qu’elle crée une nouvelle catégorie de citoyens, les faux-vrais Français. »
Devant le tollé provoqué par leur projet, les responsables du football français décident, le 27 avril 1989, de le reporter à… 1991. « Le système professionnel, prévient l’économiste Jean-François Bourg, est chaotique. Il est menacé par l’échéance européenne de 1992. Dès le 1er janvier 1993, en effet, le marché européen du travail sera ouvert et, au sein de la CEE [Communauté économique européenne], la notion de joueur étranger disparaîtra. »
L’action et la détermination de trois sportifs ont fait écrouler la bastille du protectionnisme que l’institution sportive pensait avoir coulée dans le béton : le footballeur Jean-Marc Bosman, la basketteuse Lilia Malaja et le handballeur Maros Kolpak.

Jean-Marc Bosman est professionnel au Royal FC Liège. Son contrat se termine en juin 1990. Le club belge lui propose un renouvellement à des conditions de rémunération quatre fois inférieures aux précédentes. Il déniche un contrat en France, à Dunkerque. Le transfert lui est refusé et il lui est… interdit de rester au club. Il demande justice à l’Union royale belge, puis à l’UEFA, qui lui opposent toutes deux un mépris tranquille. Ses avocats portent son cas devant les tribunaux civils. En 1994, la cour d’appel de Liège transmet le dossier à la Cour européenne de Luxembourg, qui donne, le 15 décembre 1995, raison à Bosman. En application de deux piliers fondateurs du traité de Rome de 1957, la libre circulation des travailleurs et la libre concurrence, l’arrêt de la Cour stipule :
– primo, un joueur en fin de contrat dans son pays peut signer librement dans tout club d’un autre pays de l’Union européenne ;
– secundo, un club européen peut aligner autant de joueurs originaires de l’Union qu’il le désire.
L’arrêt Bosman met en marche l’Europe du football. Il supprime de fait les « indemnités de frontières » de fin de contrat, libère l’émigration des joueurs (dont les Franco-Africains) et supprime les quotas d’engagement.
Lilia Malaja, polonaise, est basketteuse professionnelle. Elle signe en juin 1998 un contrat avec le Racing de Strasbourg, mais ne peut être embauchée parce que le club a déjà atteint son quota de joueuses extracommunautaires. Son avocat met en avant l’accord d’association signé entre son pays et l’Union européenne (UE) en 1991, selon lequel « toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail » est interdite. Il porte le cas devant la cour administrative d’appel de Nancy, qui, le 3 février 2000, déclare fondé l’appel. Le 30 décembre 2002, le Conseil d’État confirme cette décision et donne raison à Malaja.
« L’arrêt Malaja, indique l’UEFA, n’aura pas d’influence sur les compétitions européennes, puisque, depuis l’arrêt Bosman , il n’y a plus de limitation du nombre de joueurs étrangers. » Mécontent, Joseph Blatter, le président de la FIFA, affirme son opposition à la « babélisation du football ». « C’est, clame-t-il, l’arrêt Bosman à la puissance 10. C’est une dérégulation sauvage, une forme de dumping social. » Et il se déclare favorable à l’introduction d’une nouvelle règle dite du « 6 + 5 » : chaque équipe aurait l’obligation d’entrer sur le terrain avec au moins six joueurs sélectionnables dans l’équipe nationale du pays où réside le club. Une proposition que la Commission européenne avait, en 2001, rejetée, la qualifiant « d’absurde » au regard des fondements de l’Europe.
Maros Kolpak, handballeur slovaque, est engagé par le club allemand d’Ostringen. La Fédération lui délivre une licence « A » réservée aux joueurs non ressortissants de l’UE, son règlement prévoyant qu’un club peut aligner au maximum deux titulaires de cette licence dans les compétitions locales. Kolpak réclame une licence non restrictive en rappelant l’accord d’association entre l’UE et la Slovaquie. Dans un arrêt en date du 8 mai 2003, la Cour européenne de justice lui donne raison et décide l’ouverture des frontières de l’UE aux sportifs d’une centaine de pays associés. L’arrêt Kolpak prolonge l’arrêt Malaja et il n’est pas susceptible d’appel. « Cela revient à supprimer les quotas dans le sport professionnel, commente Me Serge Pautot, l’avocat de Lilia Malaja. Demain, un club pourra aligner cinq Sénégalais et six Ivoiriens. Nous allons droit vers l’ouverture mondiale des frontières. »
Les instances du football français ont pris les devants, ouvrant les portes des clubs aux sportifs d’une centaine de nationalités. D’autres associations européennes leur emboîteront le pas. Reste à connaître les conséquences de cet appel d’air sur un football africain déjà singulièrement appauvri par l’exode de ses meilleurs talents.

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