Saadi l’Africain
Le fils de Mouammar Kadhafi veut déboulonner Issa Hayatou de la présidence de la CAF. Et confirme la candidature de la Libye à l’organisation de la Coupe du monde 2010.
Derrière la tribune, une grande fresque a été disposée. Elle représente Mouammar Kadhafi, le regard fier et le poing levé. Nous sommes le 22 mai, dans un grand hôtel de Tripoli, où Saadi, fils du Guide de la Jamahiriya, tient une conférence de presse. En survêtement, casquette vissée sur la tête, il ressemble à n’importe quel jeune homme branché d’aujourd’hui (il a 28 ans). Manifestement ému, Saadi balbutie un peu. C’est que l’affaire est importante. Devant un parterre de journalistes ébahis, il annonce un triple événement. D’abord, sa candidature officielle à la succession de Camerounais Issa Hayatou, en poste depuis 1988, à la tête de la Confédération africaine de football (CAF). Ensuite, celle de la Libye à l’organisation de la Coupe du monde 2010. Enfin, « Mouhandis » (« l’ingénieur »), comme le surnomment ses compatriotes, révèle qu’il est en pourparlers très avancés avec Pérouse, un club de Série A italien, où il pourrait jouer la saison prochaine : il serait le premier Libyen à disputer un championnat professionnel européen.
En réalité, Saadi est un joueur moyen. Mais il dispose de moyens financiers quasi illimités. C’est l’homme-orchestre du football de son pays. Joueur, capitaine et président d’al-Ittihad, le club champion de Libye, il est aussi capitaine de la sélection nationale et vice-président de la fédération ! Du jamais vu. Depuis plusieurs années, il lorgne avec insistance vers l’Italie, l’ancien pays colonisateur. Actionnaire minoritaire de la Juventus de Turin, l’un des clubs les plus prestigieux au monde – et l’un des rares à pouvoir se prévaloir d’une situation financière saine -, il a réussi, en août 2002, le douteux exploit de convaincre les instances dirigeantes du foot italien de faire disputer la « Super-Coupe » entre la Juve et l’A.S. Parme à Tripoli, sous une chaleur écrasante. Une aberration sportive. Montant de la transaction : 1 million de dollars. Au mois de janvier dernier, il a également été pressenti pour reprendre en main la Lazio de Rome, en pleine déconfiture financière.
Mais flâner avec des stars du football mondial comme Alessandro Del Piero ou Michael Owen ne suffit plus au bonheur de Saadi. Ses ambitions sont désormais continentales. Son prochain terrain de jeu sera l’Afrique.
Partir à l’assaut de la CAF est pourtant une entreprise a priori risquée. Lors de sa conférence de presse à Tripoli, Kadhafi Jr. n’a rien révélé de son programme. Tout juste a-t-on appris que, « depuis quatre ans, un grand nombre de pays africains insistent pour [qu’il se] présente ». Combien le soutiennent aujourd’hui ? « Entre vingt et trente » [sur cinquante-deux], estime-t-il, ce qui est sans doute optimiste. Bref, à l’en croire, sa décision de briguer la présidence n’a rien d’un caprice d’enfant gâté. Elle serait l’expression d’une volonté de changement des fédérations africaines elles-mêmes… Curieusement, Hayatou avait été reçu par Kadhafi père, quinze jours auparavant, à Tripoli.
Hors du continent, Saadi bénéficie de soutiens non négligeables. Il semble notamment pouvoir compter sur le Qatari Mohamed Ben Hammam, qui préside la Confédération asiatique (AFC), sur la fédération brésilienne et, beaucoup plus important, sur Joseph « Sepp » Blatter, le président de la Fifa. Ce dernier sait parfaitement que, l’an dernier, le dirigeant libyen a joué un rôle important dans sa réélection à la tête de la fédération internationale, contre Issa Hayatou. En particulier lors du congrès de Séoul. La campagne électorale avait été d’une particulière âpreté et Blatter n’a, à l’évidence, pas pardonné les accusations de mauvaise gestion et de corruption lancées contre lui par les partisans du Camerounais. Il observe aujourd’hui avec un plaisir non dissimulé l’effritement de l’autorité de son ancien adversaire. S’il n’y contribue pas en sous-main. Depuis Zurich, il aurait, en tout cas, encouragé Kadhafi à franchir le pas. De même, il aurait, dit-on, suscité, par l’intermédiaire de ses amis sud-africains, l’autre candidature officiellement déclarée à ce jour : celle du Botswanais Ismaïl Bhamjee.
S’efforçant de ne pas attaquer frontalement la gestion d’Hayatou, Kadhafi Jr. n’a quand même pas pu s’empêcher de lancer une flèche empoisonnée. « Nous ne prétendons pas que la CAF est mal gérée. Nous sommes bien au-dessus de quelque 50 millions ou 100 millions de dollars de prétendues malversations. Si je suis élu président de la CAF, l’argent versé par la Fifa [1 million de dollars par an, Ndlr] ira là où il doit aller : aux fédérations. Vous le savez tous, je suis à l’abri du besoin », a-t-il glissé, perfidement.
Si le discours concernant Hayatou reste formellement policé, il est franchement offensif sur le dossier de la candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2010. « Nous sommes prêts. Nous aurons les plus beaux stades d’Afrique, dont une réplique du stade de Sapporo, au Japon. Nous prévoyons entre 4 milliards et 6 milliards de dollars d’investissements pour les infrastructures. Cela ne nous fait pas peur : notre chantier du Grand Fleuve artificiel (Man-Made River) est le plus grand projet de génie-civil au monde. Mener à bien une telle opération, c’est bien plus compliqué que d’organiser une Coupe du monde. »
Le Mondial 2010 devant se dérouler en Afrique, six pays sont d’ores et déjà candidats : outre la Libye, il s’agit de l’Afrique du Sud, du Maroc, de la Tunisie, de l’Égypte et du Nigeria. À une question concernant une éventuelle candidature commune avec la Tunisie voisine, Saadi Kadhafi s’est montré fort peu diplomate : « En tant que vice-président de la fédération libyenne, je préfère organiser la Coupe du monde tout seul. Nous avons les moyens de réussir sans l’aide de personne. Nos adversaires seront difficiles à battre, mais nous croyons en notre projet. » Comprenne qui pourra : quelques heures plus tôt, son père, en visite officielle en Tunisie, avait inauguré un projet social tuniso-libyen d’envergure…
Mais ce jeune homme spirituel et charmeur peut se permettre tous les contre-pieds ; sa « surface » financière lui assure de très solides et très nombreux appuis. En tout cas, il a réussi son premier pari : provoquer un miniséisme dans l’univers impitoyable du football africain…
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