Richesse des profondeurs

Les eaux territoriales sont parmi les plus poissonneuses au monde, mais ce sont encore les bateaux étrangers qui en tirent le plus de profit.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Mamadou est pêcheur de poulpes. Il gagne encore sa vie, mais de plus en plus difficilement. « Il faut maintenant naviguer pendant trois ou quatre heures pour les trouver, explique-t-il. Plus on va loin, mieux c’est. Mais notre matériel est détruit par les bateaux industriels qui font d’énormes dégâts. » Fofana fait de la pêche artisanale. Et lui aussi a parfois de mauvaises surprises : « Les bateaux industriels n’ont pas le droit de s’approcher à moins de 3 milles du littoral, mais ils pénètrent dans la zone côtière sous divers prétextes et emportent nos filets pleins. On ne peut rien faire, il n’y a pas de surveillance pour les en empêcher. On ne dispose pas d’assez d’argent pour avoir des bateaux comme les leurs. »
Pour se faire une idée de la disproportion des moyens, il suffit d’examiner les chiffres. En 2000, la production de la pêche artisanale, pratiquée par les Mauritaniens sur des pirogues de moins de 14 mètres, se montait à 26 131 tonnes. Dans le même temps, la pêche industrielle pratiquée sous licence par des bateaux étrangers de fort tonnage dans la zone économique exclusive de la Mauritanie (ZEE) – soit 200 milles marins de large sur 750 kilomètres de côte -, bateaux qui n’ont pas pour obligation de débarquer leurs prises, a totalisé 646 512 tonnes. Bref, les étrangers pêchent près de vingt-cinq fois plus que les Mauritaniens.
Il s’agit là d’un cas typique de déséquilibre Nord-Sud, accentué en Mauritanie par le fait que ce pays, malgré des eaux parmi les plus poissonneuses du monde, n’avait pratiquement aucune tradition halieutique. Ses populations, nomades, préféraient se fixer près des puits et oasis leur fournissant eau et pâturages. Depuis une quinzaine d’années, on constate pourtant un afflux des Mauritaniens vers les métiers de la pêche, devenue un secteur porteur. En 2000, le pays comptait quelque 2 500 embarcations, 12 000 pêcheurs et 14 612 mareyeurs. En 2000, toujours, 189 680 tonnes de poisson ont été exportées (hors prises des navires étrangers). La pêche a contribué à 10 % au PIB et a représenté 34 % des recettes budgétaires de l’État. Elle a généré 34 500 emplois.
Mais l’essentiel de la production halieutique provenant des eaux mauritaniennes ne figure pas dans ces statistiques, puisque la quasi-totalité des prises des bateaux étrangers ne compte pas comme création de richesse par le pays. N’ayant pas la capacité d’exploiter ses ressources, la Mauritanie vend ses droits, et seuls sont enregistrés les montants payés pour des licences de pêche. L’Union européenne (UE) verse ainsi à Nouakchott 86 millions d’euros par an contre le droit pour les navires de ses États membres (notamment l’Espagne, la France, le Portugal et les Pays-Bas) de pêcher dans les eaux mauritaniennes. Le Japon paye 9 millions de yens (65 000 euros) une licence de pêche au thon : un montant symbolique, mais compensé par le financement d’infrastructures par la coopération nippone. La Pologne et les pays de l’ex-URSS (Russie, Ukraine, Lettonie, Lituanie), qui pêchent essentiellement les espèces pélagiques (poissons de surface), s’acquittent d’une redevance annuelle de 110 dollars par tonne. Idem pour la Chine. Hormis la cotisation de l’UE, l’État devrait percevoir au titre de ces licences 84 millions de dollars en 2003. À cela s’ajoute l’incapacité de contrôler dans le détail les quantités capturées par les bateaux-usines et de vérifier le respect des normes garantissant la reproduction des espèces et empêchant la surexploitation. Au ministère de la Pêche, on confirme qu’il y a « une pression énorme sur les poulpes » et on fait état de recommandations scientifiques pour qu’ils soient exploités modérément. De fait, leur pêche intensive a fait passer le potentiel de l’espèce de 50 000 tonnes par an à 35 000 tonnes. Depuis 1998, le nombre de bateaux autorisés à prendre des poulpes a été ramené de 250 à une centaine. On reconnaît que les armements étrangers ont bien commis quelques abus à une certaine époque, mais que leur ampleur reste à démontrer. « Il serait prétentieux de nier qu’il y a de la fraude, mais nous limitons les dégâts, répond-on au ministère. Nous exerçons un contrôle radar et une surveillance aérienne. Et nous sommes en train de mettre en place un système de surveillance par satellite. Nous avons surtout une politique de répression très forte. Ceux qui sont pris en flagrant délit risquent des sanctions allant jusqu’à la suspension ou le retrait de la licence. Et les bateaux pirates qui sont saisis deviennent propriété de l’État. » s

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