Refuge pour journalistes

Ouvert en mai 2002 dans la banlieue de Paris, ce foyer accueille des professionnels de la presse contraints à l’exil. Unique au monde.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Rien ne distingue le modeste pavillon gris de la rue de l’Étoile, à Bobigny, des autres villas de ce quartier populaire de la banlieue parisienne. Pourtant, l’endroit est unique au monde. Sur la porte d’entrée, une inscription : « Maison des journalistes ». Les sept occupants de ce refuge pour professionnels des médias contraints à l’exil viennent du Bangladesh, de la Birmanie, du Cameroun, du Congo-Brazzaville, de Cuba, de la RD Congo et du Togo. Inaugurée le 2 mai 2002, la Maison est une association à but non lucratif, créée par Danièle Ohayon et Philippe Spinau, respectivement journaliste à Radio France et réalisateur indépendant.
« L’idée est partie d’un constat simple, explique Philippe Spinau, aujourd’hui directeur à temps plein de la structure. Des mouvements de défense des journalistes persécutés en raison de leur activité ou pour leurs opinions existent déjà, comme Reporters sans frontières (RSF). Mais que deviennent ces confrères après qu’ils ont été obligés de quitter leurs pays ? Au nom de l’entraide journalistique, nous leur offrons l’hébergement pour six mois, afin qu’ils ne perdent pas complètement pied avec le milieu. » Au logement, à la nourriture et à la connexion Internet illimitée s’ajoutent des tickets de transport et des cartes téléphoniques, ainsi qu’un appui dans les démarches administratives…
Un soutien matériel et psychologique dont se félicite Benoît, journaliste politique togolais en exil, mais qui ne l’empêche pas d’éprouver de vives frustrations. « Ici, nous publions quelques articles dans le journal de l’association, L’OEil de l’exilé. Mais son périmètre de diffusion s’arrête à Bobigny, et encore sans trouver vraiment d’écho, regrette ce fringuant trentenaire. À Lomé, mes papiers circulaient au-delà des murs de la ville, et je pouvais communiquer avec une grande partie de la population. J’étais fier. » Continue-t-il son combat à distance ? « C’est très difficile, les gens restés sur place se méfient des informations que je leur envoie. Ils estiment que, me sentant aujourd’hui protégé, je prends moins de précaution dans mes papiers. Leur vie serait en danger, pensent-ils, s’ils venaient à me publier. »
Nul doute que, pour les habitants de la Maison, le feu sacré brûle toujours. Même s’il est difficile de se sentir journaliste sans exercer son métier, comme le confie Agnès, qui a fui le Congo-Brazzaville. En changeant de continent, elle est confrontée à la dure réalité du chômage qui frappe la presse française tout en découvrant de nouvelles méthodes de travail. Dans ces conditions et sans formation appropriée, trouver un emploi dans la presse relève de l’exploit. D’autant que ces professionnels ne sont pas toujours disposés à renoncer à leurs habitudes. « Changer de style ? Pas question, sursaute Agnès. Notre écriture obéit à des règles particulières. Je crois qu’il faudra attendre au moins dix ans pour que la presse soit aussi libre en Afrique qu’elle l’est aujourd’hui dans l’Hexagone. Si je perds l’habitude de m’autocensurer, j’aurai à nouveau des problèmes lorsque je reviendrai à Brazzaville. »
Dans l’attente d’un retour au pays, dont la date ne dépend souvent que d’un hypothétique changement de pouvoir, les occupants africains de la Maison des journalistes ambitionnent de créer un magazine spécialisé sur le continent, en utilisant « les carnets de relations et les compétences de chacun ». Même si le pragmatisme reste de rigueur : chacun sait qu’il lui faudra trouver un emploi dans un autre domaine.
« L’un de nos prochains objectifs est de proposer un travail ou un stage – si possible dans le monde de la presse – à tout journaliste dont le séjour parmi nous arrivera à son terme », assure Philippe Spinau. Dès le mois de septembre 2003, l’association doublera sa capacité d’accueil en s’installant dans de nouveaux locaux, au coeur du 15e arrondissement de Paris. Financée à part égale par l’Union européenne et le Syndicat de la presse française, la Maison des journalistes fait déjà école. Des structures du même type vont être créées en Espagne dès la fin 2004, puis en Grande-Bretagne et en Allemagne. Pour soutenir d’autres confrères qui, comme Agnès, n’ont « qu’un seul rêve : reprendre un jour un micro ou un stylo pour redevenir ce que l’on était avant ».

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