Que veulent les Algériens ?

Une enquête d’opinion réalisée entre le 24 février et le 2 mars s’efforce de mesurer le « moral de la nation Algérie ». Résultats et commentaires.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

A moins d’un an de l’échéance – décisive – de l’élection présidentielle (avril 2004), l’exercice consistant à sonder l’état d’esprit des Algériens revêt évidemment une importance particulière. Et, surtout, fournit de précieux renseignements sur l’idée qu’ils se font de leur situation politique, économique et sociale. La société d’études et de conseil International Media & Market Research (Immar), basée à Paris, a réalisé, entre le 24 février et le 2 mars, une enquête intitulée « Moral de la nation Algérie ». Un moral, on l’imagine, sévèrement affecté par le tremblement de terre du 21 mai, même si le traumatisme devrait progressivement s’estomper. D’Alger à Laghouat, en passant par Médéa, Tlemcen, Annaba, Constantine ou Tizi-Ouzou, les sondeurs ont recueilli l’avis d’un échantillon de 1 392 individus représentatifs de la population algérienne âgée de 18 ans et plus. Tout, ou presque, a été passé en revue : vie quotidienne, situation générale du pays, institutions, politique, mutations sociales et économiques, réformes, entreprises algériennes…
D’après les résultats de cette étude, 44 % des Algériens estiment que la situation du pays s’est améliorée depuis deux ans. Une donnée qu’il convient toutefois de relativiser puisque 77 % de ces « optimistes » estiment que cette amélioration est essentiellement due au recul de l’insécurité. Le terrorisme n’a pas été entièrement jugulé, mais il ne fait plus peur. Les populations de l’Ouest et du Sud sont les plus enthousiastes, et les femmes plus nombreuses que les hommes à se réjouir de cette amélioration (48,6 % contre 39,2 %). Les Algériens du Centre et de l’Est – et, de manière générale, les populations rurales – sont plus mesurés : ils hésitent entre amélioration et stagnation. Mais le fait le plus marquant est sans nul doute que près de 47 % des sondés se déclarent confiants en l’avenir, 22,4 % étant d’un avis opposé. Un résultat plutôt inattendu. Il est vrai que si la situation du pays est jugée plutôt bonne, il n’en va pas de même, c’est sans doute un paradoxe, de la situation personnelle des Algériens : 48 % d’entre eux estiment qu’elle n’a pas changé. La proportion des satisfaits et des mécontents est exactement la même : 24 %.
À l’évidence, les préoccupations essentielles des personnes interrogées concernent la vie quotidienne. Le chômage arrive largement en tête, devant la pauvreté et les inégalités, le terrorisme, la crise du logement, la corruption et la fraude, le système de santé, l’approvisionnement en eau potable, l’insécurité et le banditisme. Loin derrière : les privatisations et l’exercice de la démocratie. On s’en doutait un peu : les Algériens veulent avant tout manger à leur faim, se loger, avoir du travail et être soignés. Ensuite, seulement, ils pourront s’intéresser à la politique et à l’économie…
Pourtant, en cette période préélectorale, c’est surtout le volet politique de l’enquête qui retiendra l’attention. La rupture entre les Algériens et leurs institutions saute aux yeux, même si la présidence de la République est apparemment épargnée : 52 % des sondés jugent son action efficace, 19 % sont d’un avis contraire. Le contraste avec la violence des attaques dont Bouteflika fait l’objet dans la presse privée est saisissant… Boutef recueille davantage de suffrages favorables chez les femmes (57 %) que chez les hommes (47 %). Ce sont les Algériens du centre du pays qui se montrent les plus sévères (39,6 %), mais la situation catastrophique de la Kabylie après plus de deux ans de crise y est certainement pour beaucoup. Le Sud, lui, plébiscite Boutef : ils sont 79,6 % à juger son action efficace.
L’action du gouvernement est en revanche jugée peu ou pas du tout efficace par 41 % des Algériens, ce qui, par parenthèse, semble indiquer que l’institution présidentielle est perçue comme au-dessus des partis. Les personnes interrogées se montrent, en revanche, plus indulgentes avec le Premier ministre (Ali Benflis, à l’époque). Parmi les institutions contestées, la justice et l’éducation nationale recueillent des taux de satisfaction inférieurs à la moyenne. L’Assemblée populaire nationale (APN) est également décriée (7,3 % de satisfaits). À noter les très bons scores obtenus par l’armée (seuls 14 % des sondés la jugent inefficace) et la gendarmerie (20 %). Des chiffres qui confirment que l’évolution de la situation sécuritaire est très favorablement perçue : armée et gendarmerie apparaissent comme des remparts face à tout type d’agression. Et c’est dans l’Est qu’elles sont le plus appréciées. Logique, dans la mesure où la majeure partie de leurs effectifs est originaire du triangle Batna-Tebessa-Souk Ahras, communément appelé « triangle BTS ». La police ne jouit pas du même prestige, même si son efficacité n’est pas mise en cause. Enfin, les médias sont jugés globalement efficaces, à l’exception de la télévision (43 % estiment qu’elle ne joue pas son rôle).
Le principal enseignement de l’enquête – c’est plutôt une confirmation – est la désaffection des Algériens pour la politique : 50 % d’entre eux se déclarent peu intéressés et seuls 25 % jugent positivement l’évolution de la démocratie dans leur pays. Pourtant, lors des législatives du 30 mai 2002, le pouvoir avait fait de la transparence son cheval de bataille. Bouteflika était personnellement monté au créneau : « Ces élections offrent à notre peuple l’occasion de renouveler et de consolider la légitimité de nos institutions. Une légitimité que seul le libre choix des Algériens est à même de conférer à leurs représentants », avait-il déclaré, pendant la campagne. Résultat : même transparentes, les législatives n’ont suscité qu’un faible intérêt (46 % de participation). « À quoi bon voter, cela ne changera rien », semblent dire les personnes interrogées. Après l’organisation de vraies élections, c’est maintenant un défi autrement plus difficile qui attend Bouteflika : faire en sorte que les électeurs désabusés s’intéressent enfin à la politique et, surtout, s’y investissent.
Concernant les partis, seuls le Front de libération nationale (FLN) d’Ali Benflis et le Parti des travailleurs (PT, trotskiste) de Louisa Hanoune recueillent plus d’opinions positives que négatives (respectivement : 53 % et 44,6 %). Le FLN apparaît comme une valeur-refuge et le PT bénéficie d’un capital de sympathie qu’il ne parvient pas à faire fructifier sur le plan électoral. Les islamistes du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah) d’Abdallah Djaballah arrivent en troisième position avec 35,6 % d’opinions favorables (contre 43 %). Pour tous les autres, le constat est amer… Autre donnée intéressante : la capacité des partis à apporter des solutions aux problèmes de l’Algérie. Sur ce plan, aussi, le FLN arrive en tête (51 % d’opinions favorables), devant le PT (32,5 %), le MRN-Islah, le Rassemblement national démocratique (RND) de l’actuel Premier ministre Ahmed Ouyahia (17,3 %) et le Front des forces socialistes (FFS) d’Hocine Aït Ahmed (15,8 %).
À dix mois de la présidentielle, les grandes manoeuvres électorales ont commencé par le limogeage d’Ali Benflis, soupçonné de vouloir se présenter face à Bouteflika, son mentor en politique. L’enquête d’Immar apporte un éclairage intéressant sur la perception qu’ont les Algériens des principaux leaders – et éventuels candidats à la magistrature suprême. Le chef de l’État est, de très loin, la personnalité qui a produit la plus forte impression au cours des douze derniers mois (28, 6 %). Derrière, le trio Benflis-Ibrahimi-Djaballah se dispute la deuxième place. À l’indice de sympathie, Benflis (50 %) précède Ahmed Taleb Ibrahimi, l’ancien chef de la diplomatie de Chadli Bendjedid, considéré comme le nouveau champion des électeurs islamistes (42 %), et Djaballah (35 %). S’agissant de leur capacité à apporter des solutions, leurs scores respectifs sont 45 %, 30 % et 27 %. Parmi les personnalités algériennes jugées les plus aptes à redresser le pays, Bouteflika (38,3 %) devance largement Benflis (23 %). Depuis la réalisation de l’enquête, Benflis n’est plus Premier ministre. Une situation qui peut considérablement changer la donne. S’il est candidat, il se présentera sur la ligne de départ en tant que chef du parti majoritaire à l’Assemblée et non en tant que chef du gouvernement. Autrement dit, il n’aura pas à défendre un quelconque bilan (contrairement au président), il disposera d’une marge de manoeuvre plus large et pourra se consacrer entièrement à sa campagne. Revers de la médaille : un Benflis qui n’est plus Premier ministre conservera-t-il le même pouvoir de séduction ? Pourra-t-il même conserver sa mainmise sur le FLN ? Pas sûr. Déjà, en coulisses, les pro-Boutef de l’ex-parti unique s’agitent et tentent de déstabiliser leur secrétaire général. D’autres, ceux que l’on appelle les « opportunistes », attendront de voir dans quel sens le vent va tourner. Un signe de faiblesse de Benflis et nul doute qu’ils quitteront le navire aussi vite qu’ils y ont embarqué… La vérité d’une enquête n’est pas forcément celle des urnes ? Réponse au mois d’avril prochain.

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