151 pays épinglés

Rendu public le 28 mai, le rapport d’Amnesty International mentionne plusieurs centaines de cas d’atteinte grave aux libertés d’opinion et d’expression sur les cinq continents en 2002.

Publié le 5 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Alexandre Gougouneïch-vili a été arrêté par des policiers le 20 avril 2002 à Rustavi, ville située à une trentaine de kilomètres au sud de Tbilissi. Pour lui faire « avouer » une série de vols, ils l’ont attaché et suspendu pendant plusieurs heures à une barre de fer placée entre deux tables. Les agents lui ont ensuite placé sur le visage un masque à gaz dont ils ont au préalable recouvert les protections oculaires pour qu’il ne puisse rien voir, avant de le rouer de coups. Puis ils l’ont soumis à la « gégène ». Interrogés sur dénonciation de leur victime, les policiers ont, bien entendu, nié les faits. Mais les conclusions d’un examen pratiqué par un expert médico-légal rattaché au ministère de la Justice sont sans appel : les lésions relevées sur l’intéressé prouvent qu’il a bel et bien été torturé.
Alexandre Gougouneïch-vili est géorgien, mais il aurait pu tout aussi bien être congolais, saoudien, haïtien, afghan ou cambodgien. Rendu public le 28 mai, le rapport 2003 d’Amnesty International mentionne plusieurs centaines de cas d’atteintes aux droits de l’homme. Ce document de 432 pages, qui couvre la période allant de janvier à décembre 2002, épingle 151 pays sur les cinq continents. « Au cours de l’année 2002, les droits de l’homme ont connu de réelles avancées telles que l’instauration de la Cour pénale internationale (CPI), l’entrée en vigueur de l’accord visant à mettre un terme à l’enrôlement d’enfants-soldats », souligne, en avant-propos, la secrétaire générale d’Amnesty, Irene Khan. Qui poursuit : « Cette année a également été marquée par l’indifférence flagrante, confinant au mépris, manifestée par un grand nombre de gouvernements devant leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire. Alors que les gouvernements se préparaient à dépenser des milliards pour faire la guerre, des millions de personnes étaient en proie à la pauvreté et ne pouvaient bénéficier d’aucun traitement contre le sida ou d’autres maladies. »

Amnesty International a ainsi recensé des exécutions extrajudiciaires et des « homicides illégaux » dans 42 pays et territoires, des disparus dans 33, des cas de torture et de maltraitance dans 106, des prisonniers d’opinion dans 35, des arrestations et des détentions arbitraires dans 54. Toujours en 2002, 61 pays ont prononcé des condamnations à mort et 32 ont procédé à des exécutions. Parmi ces derniers, figurent trois États africains : le Nigeria, le Soudan et l’Ouganda. Par ailleurs, poursuit le rapport, « des groupes d’opposition armés ont commis à l’encontre de civils de graves atteintes aux droits humains telles que des actes de torture, des prises d’otages et des assassinats » dans 32 pays et territoires.
En Afrique, des milliers de personnes sont mortes ou ont perdu leurs moyens de subsistance lors de conflits armés ou civils, notamment au Burundi, au Congo, en Côte d’Ivoire, au Liberia, en Ouganda, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), au Sénégal et au Soudan. Dans ces pays, les forces gouvernementales sont responsables d’exécutions, de disparitions, d’actes de torture, et des groupes armés ont tué, mutilé, enlevé et torturé des civils pour atteindre des « objectifs politiques ».
L’organisation relève que la torture est encore une pratique répandue dans des pays comme l’Angola, le Cameroun, l’Érythrée, le Kenya, le Liberia, la RDC, le Togo ou le Zimbabwe. Elle constate néanmoins que la création du tribunal spécial pour la Sierra Leone constitue « une avancée réelle vers la fin de l’impunité pour les atteintes flagrantes aux droits de l’homme commises durant le conflit dans ce pays ».

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Au chapitre Moyen-Orient/Afrique du Nord, Amnesty International dénonce l’armée israélienne, coupable de crimes de guerre : « Au moins un millier de Palestiniens ont été tués par Tsahal, parmi lesquels 150 enfants. » Israël a par ailleurs fait détruire plus de 2 000 habitations dans les Territoires. En face, des groupes palestiniens ont tué plus de 420 Israéliens, dont au moins 265 civils, parmi lesquels figuraient 47 enfants.
En Algérie, le nombre de personnes tuées reste élevé, relève le rapport. Des centaines de civils sont morts dans des attaques perpétrées par des groupes armés, et au moins dix d’entre eux ont été tués par les forces de sécurité. En Tunisie, « les autorités ont renforcé le contrôle sur les moyens d’information et les télécommunications. » Au Maroc, les autorités tardent à traduire en justice les responsables présumés des crimes commis sous Hassan II. En Libye, 65 prisonniers, dont 5 d’opinion, détenus depuis 1973, ont été libérés. Toutefois, des centaines d’autres sont apparemment restés en prison. « Les autorités ont même informé les familles de plusieurs dizaines d’entre eux que leurs proches étaient morts, sans toutefois préciser ni la date ni la cause de leur décès. »
Les autres régions du monde ne sont pas épargnées. En Asie-Pacifique, l’Australie, le Bangladesh, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Pakistan et l’Afghanistan font, chacun, l’objet d’une attention particulière. Les uns à cause de la répression, les autres à cause de l’adoption de mesures discriminatoires contre certaines catégories de leurs propres citoyens ou pour non-respect du droit international humanitaire.

En Europe et en Asie centrale, les pratiques discriminatoires, notamment vis-à-vis de la communauté rom (tsigane), sont encore fréquentes. En Belgique et en France, « des juifs et des musulmans ont été victimes d’attentats à caractère raciste ». En Espagne, des enfants marocains non accompagnés ont affirmé avoir été victimes de mauvais traitements et de sévices sexuels dans certains centres d’accueil de Melilla et des îles Canaries.
Mention spéciale pour la Russie : « Les deux parties au conflit tchétchène ont, en 2002, perpétré de graves atteintes aux droits de l’homme, souligne le rapport. Les forces de sécurité russes se seraient rendues coupables d’exécutions extrajudiciaires, de « disparitions » et d’actes de torture, notamment de viols. Les combattants tchétchènes ont intensifié leurs actions et, notamment, commis un attentat suicide à la fin de l’année. Des cas de torture et de mauvais traitements ont continué d’être signalés dans le reste du territoire de Russie. Les conditions de détention sont souvent cruelles, inhumaines et dégradantes. »
Dans « les Amériques », Amnesty International dénonce, pêle-mêle, la politique « sécuritaire » du nouveau gouvernement colombien, les cas de torture et de maltraitance en Argentine, en Bolivie ou au Venezuela, mais réserve le meilleur pour les États-Unis.

Pour Irene Khan, « trop souvent, les mesures mises en oeuvre pour lutter contre le terrorisme affectent autant l’innocent que le coupable ». « La restriction des libertés n’a pas forcément permis d’améliorer la sécurité », rappelle-t-elle. Son organisation cite, par exemple, le centre de détention de Guantánamo, à Cuba, où sont toujours emprisonnés, sans inculpation et sans pouvoir bénéficier des services d’un avocat, plus de 600 hommes. « Par ailleurs, poursuit Amnesty, un grand nombre des 1 200 étrangers arrêtés aux États-Unis, pour la plupart des Arabes ou des musulmans d’Asie du Sud, durant les enquêtes sur les attentats du 11 septembre 2001, ont également été privés des garanties prévues par le droit international. »

Les États-Unis sont aussi le seul pays de la région à avoir procédé à des exécutions capitales en 2002 : « 61 personnes ont été exécutées, dont 33 dans le seul État du Texas. Avec l’exécution de trois mineurs délinquants, toujours au Texas, il s’agit aussi de l’unique pays au monde où la sentence capitale a été appliquée à des personnes qui étaient mineures au moment des faits qui leur étaient reprochés. » Mince consolation, constate Amnesty International, la Cour suprême des États-Unis a déclaré inconstitutionnelle l’exécution de personnes souffrant de troubles mentaux.

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