Pauvreté et risques de guerre

Pour l’institution financière internationale, les rivalités ethniques ne sont pour rien ou presque dans l’éclatement des conflits. Ces derniers trouvent leur origine dans des facteurs économiques. Démonstration.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Vous vivez dans un pays à la fois pauvre, en déclin économique et fortement dépendant des ressources naturelles. Pas de chance : vous faites partie des 1,1 milliard de personnes menacées par une guerre civile. C’est la Banque mondiale qui annonce cette mauvaise nouvelle dans une étude rendue publique le 14 mai dernier à Paris et intitulée Breaking the Conflict Trap : Civil War and Development Policy(*) (« Sortir du piège des conflits : guerre civile et politique de développement »).
Ce rapport tombe à pic. De guerre civile, il est question aussi bien en RD Congo, où les troupes de l’Organisation des Nations unies (ONU) sont désemparées face aux violences qui ont fait plusieurs centaines de morts depuis début mai dans la région de l’Ituri, au Liberia, où 60 % du territoire est hors du contrôle gouvernemental, selon l’ONU, en Indonésie où l’armée a reçu l’ordre « d’exterminer » les rebelles de la province d’Aceh après l’échec des négociations de paix, en Colombie où révolution dévoyée, trafic de drogue et milices paramilitaires nourrissent une insécurité permanente. Les événements récents ont, de plus, montré que même les pays jusque-là considérés comme des havres de paix, à l’instar de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, pouvaient sombrer très rapidement dans le chaos.
Les chercheurs de l’institution basée à Washington ont analysé 52 cas de conflits de par le monde entre 1960 et 1999. Question : au-delà de l’histoire particulière de chacun de ces pays, quelles caractéristiques communes les ont exposés à une guerre civile ? Trois facteurs économiques sont déterminants : le niveau de revenu par habitant du pays, le taux de croissance économique et la dépendance à l’égard des ressources naturelles. Un pays qui double son Produit intérieur brut (PIB) par habitant diminue de moitié sa probabilité de connaître une guerre civile. Chaque point de croissance économique gagné réduit d’autant la probabilité de conflit. Les richesses du sol et du sous-sol, lorsqu’elles constituent le pilier de l’économie, font monter en flèche le risque d’éclatement d’une rébellion, assurent-ils. Et l’étude de citer l’exemple de la RD Congo (ex-Zaïre) « qui vivait vers la fin des années quatre-vingt-dix dans une pauvreté extrême, avec une économie en ruines et des ressources minières considérables ». Selon les calculs des économistes, « la probabilité de guerre civile y était de près de 80 % ! ». Non seulement le risque s’est matérialisé, mais la RD Congo est tombée dans « le piège des conflits » : « un pays qui a connu une guerre civile et retrouvé la paix a 44 % de chances de basculer à nouveau ».
Les explications « ethnicistes » des conflits ne seraient-elles que des errements de quelques historiens, anthropologues et autres journalistes pressés ? Réponse des chercheurs de la Banque mondiale : « Les sociétés dans lesquelles le groupe ethnique dominant constitue entre 45 % et 90 % de la population ont une probabilité de rébellion de près de 50 % plus élevée que les autres… Sinon, la diversité réduit en fait le risque de guerre civile. » En Afrique, souligne le rapport, la diversité interne a plutôt été un rempart contre les conflits. Quarante pour cent des pays africains sont caractérisés par la situation dangereuse de « domination » d’une communauté, contre 54 % des pays en développement des autres continents.
La plupart des rébellions ont une étiquette ethnique, non pas parce que les revendications sont identitaires, mais parce que les chefs rebelles doivent assurer la cohésion de leur mouvement en recrutant au sein de leur propre communauté. Le discours tenu par les rébellions est souvent un écran de fumée qui dissimule des objectifs peu avouables, commente le rapport. La diversité ethnique devient « une cause » de rébellion lorsqu’on découvre des ressources naturelles dans une localité. Quand il s’agit de pétrole, les mouvements armés réclament la sécession. Exemples cités : le Biafra au Nigeria, l’enclave de Cabinda en Angola, le Katanga dans le Congo des années soixante ou encore la province d’Aceh en Indonésie.
Selon la Banque mondiale, les rébellions n’apparaissent pas comme une réaction légitime à la répression politique. Si c’était le cas, le risque de guerre civile serait plus élevé dans les régimes autocratiques que dans les démocraties. Les économistes de Washington ont utilisé un indicateur de démocratisation pour vérifier cette hypothèse. Verdict : « les autocraties sont à peu près aussi sûres que les démocraties solidement ancrées, mais les jeunes démocraties sont plus exposées aux guerres civiles que les deux autres types de régime politique ». Mauvaise nouvelle pour les pays africains. « C’est la stabilité des institutions qui compte », poursuit le document de la Banque. Mais là, les choses se compliquent : « La stabilité des institutions politiques en démocratie dépend du niveau de revenu du pays… La durée de vie moyenne d’un système démocratique dans un pays pauvre est de neuf ans seulement, et les quatre ou cinq premières années sont les plus risquées : 50 % seulement des régimes survivent à la première élection. » Confiants dans leurs outils statistiques, les experts précisent : « Les démocraties deviennent plus stables que les autocraties quand le revenu annuel par habitant du pays dépasse 750 dollars. » « Les institutions politiques dans les démocraties à faible revenu sont caractérisées par une forte instabilité et cela a probablement augmenté le risque de guerre civile. » La Banque mondiale, prudente, ajoute : « La démocratie dans les pays pauvres peut tout à fait être souhaitable pour diverses raisons, mais on ne peut honnêtement pas dire qu’elle conduit à la paix. » Personne ne conteste aux dictatures et aux autocraties leur stabilité. On pourrait signaler que la règle dans ce type de régime est souvent « après moi le déluge », à l’image du Zaïre de Mobutu ou de la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny. Sur ces questions, l’analyse économique atteint, dans une certaine mesure, ses limites.
Quelle que soit sa motivation première, une rébellion doit résoudre un problème de financement. Et comme les réformes politiques ne permettent pas de protéger les pays les plus démunis de la menace d’un conflit, c’est en agissant sur le nerf de la guerre qu’on peut lutter efficacement contre le fléau. Trois sources de financement pour les mouvements armés : la fortune personnelle du leader, les dons de pays voisins hostiles au gouvernement attaqué (et ceux de la diaspora) et l’engagement du mouvement lui-même dans un business très lucratif. La dernière option est devenue essentielle dans les conflits récents, moins idéologiques et plus liés à des appétits financiers. Dans quelles activités économiques une rébellion peut-elle être « compétitive » ? L’extorsion, les trafics et l’extraction des ressources naturelles. « Les rébellions ont besoin de s’installer dans des zones rurales pour des raisons militaires, mais dans des régions abritant des richesses aisément exploitables. » Exemples cités : le Front révolutionnaire uni (RUF) en Sierra Leone, qui a commencé par prélever la dîme sur la production de café avant de contrôler l’extraction de diamants, et l’Angola, où le gouvernement avait le pétrole et l’Unita, le mouvement rebelle de Jonas Savimbi, le diamant : juste ce qu’il faut pour alimenter un affrontement durable.
Les trois champs d’action que la Banque mondiale met en avant pour aider les pays pauvres à sortir du « piège des conflits » sont : l’aide, la gestion transparente des ressources naturelles et les interventions militaires. Elle recommande « plus d’aide, plus longtemps » pour les pays qui sortent de conflit, « plus d’aide pour renforcer les institutions démocratiques existantes dans les pays pauvres » et « plus d’aide aux pays que la chute brutale des prix des matières premières sur les marchés internationaux plonge dans la pauvreté ». Il faut aussi multiplier les initiatives pour faire de la présence de ressources naturelles une chance, comme les mines de diamants l’ont été pour le Botswana, et non une malédiction, comme les diamants alluviaux le furent pour la Sierra Leone. Le processus de Kimberley contre les « diamants du sang », initié en 2000, est, selon l’étude, la preuve que la communauté internationale peut agir rapidement quand elle le souhaite. L’instauration de règles standard de transparence dans l’utilisation des rentes, en particulier dans les pays pétroliers, est une autre priorité. « Quand une région voit une élite nationale corrompue voler ses ressources, les pressions sécessionnistes sont plus probables. » La Banque mondiale ne félicite pas deux futurs producteurs de pétrole, le Timor Oriental et São Tome e Príncipe, d’avoir demandé conseil à l’Angola, dont la gestion opaque de l’or noir continue d’être dénoncée par le Fonds monétaire international.

* Breaking the Conflict Trap, Civil War and Development Policy, 240 pp., 24 dollars.

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