« Notre priorité : la lutte contre la pauvreté »

FMI. Alors que l’Afrique devrait être au coeur des débats du sommet du G8 qui se tient, en ce début de juin, en France, le directeur général du Fonds monétaire international, Horst Köhler, précise les objectifs de son institution sur le continent.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 10 minutes.

Ancien président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), l’Allemand Horst Köhler est, depuis mai 2000, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Au moment où se tient, à Évian (France), le sommet des huit pays les plus industrialisés (G8), il livre les grandes orientations du FMI en Afrique et le rôle qu’il entend y jouer.

J.A./L’INTELLIGENT : L’Afrique doit être au coeur des débats du sommet du G8. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?

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HORST KÖHLER : Nous espérons qu’il réaffirme la stratégie visant à lutter contre la pauvreté et à atteindre les Objectifs de développement du millénaire (ODM). Cette stratégie a été avalisée à Monterrey et réaffirmée lors du sommet de Johannesburg. Elle repose sur la détermination des pays à faible revenu à mener des politiques appropriées dans un contexte de bonne gouvernance. Et sur un soutien plus judicieux de la communauté internationale : une aide plus élevée et plus efficace, mais aussi une assistance technique et un environnement international propice. Ce qui implique l’ouverture plus large des marchés du Nord et l’élimination graduelle des subventions agricoles qui faussent la donne. Les bailleurs de fonds doivent coordonner leur action, pays par pays, autour de la stratégie de réduction de la pauvreté, qui doit être reconnue comme l’axe central de toutes les interventions. Nous attendons aussi du sommet qu’il rappelle fermement la nécessité de mener à bien la libéralisation du commerce dans le cadre du cycle de négociations de Doha. Et qu’il encourage la réflexion sur les propositions du chancelier du Trésor britannique, Gordon Brown, visant à asseoir un mécanisme de financement international à l’intention des pays pauvres.

JAI : Le FMI a-t-il un message particulier à faire passer à Évian ?

HK: Il est temps que les économies avancées agissent pour rétablir la confiance et relancer la croissance de l’économie mondiale. La libéralisation du commerce des produits agricoles a donc une importance capitale, si l’on veut que le cycle de négociations de Doha soit véritablement celui du développement. Le FMI est fermement résolu à contribuer à cette lutte contre la pauvreté et à la réalisation des ODM. Nous continuerons à offrir conseils et assistance dans les domaines relevant de notre compétence, ainsi que des financements concessionnels par notre guichet FRPC (Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance) et des allègements de dette grâce à l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés). Nous travaillerons sur les mesures de suivi et les actions requises pour atteindre les ODM et presserons les bailleurs de fonds d’accroître l’aide au développement et de la rendre plus efficace en harmonisant leurs politiques et procédures.

JAI: S’agissant de l’initiative PPTE, on a reproché au FMI d’avoir mis en place une machine trop complexe, dont le bilan est nuancé. Quelles solutions envisagez-vous pour permettre aux pays africains de bénéficier plus rapidement d’une réduction de leur dette ?

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HK: L’allègement de la dette des PPTE dans le cadre de l’initiative renforcée ne repose pas sur des principes complexes et vise à créer les conditions qui permettent à un pays d’en bénéficier. Cet allègement est donc acquis de manière irrévocable lorsque le pays parvient au « point d’achèvement », qui intervient une fois qu’ont été menées à bien des réformes spécifiques définies à l’avance. Ces réformes doivent aider le pays à maintenir la stabilité macroéconomique et à lutter contre la pauvreté. Nous pensons que la quasi-totalité de ces pays devrait parvenir à son point d’achèvement l’an prochain. Les résultats obtenus jusqu’à présent ont été positifs : un allègement intérimaire de la dette a permis des économies substantielles sur le service de la dette – environ un tiers du montant des paiements effectués en 1999 par les vingt-deux pays déjà bénéficiaires. L’Ouganda a utilisé les ressources ainsi dégagées pour supprimer les frais scolaires : le taux de scolarisation dans le primaire a pratiquement doublé. Le Mozambique a pu mieux faire face aux conséquences d’inondations désastreuses et le Cameroun a renforcé la lutte contre le VIH/sida.

JAI: Il semble que les opérations de financement du FMI en faveur de l’Afrique sont en recul depuis plusieurs années…

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HK: Au contraire, notre appui à l’Afrique est plus important qu’auparavant. Nous continuons à affiner nos méthodes de travail pour que cette assistance soit aussi efficace que possible. L’an dernier, l’aide concessionnelle du FMI à l’Afrique a atteint un niveau record. Nous avons apporté notre concours à vingt pays africains, sous forme de prêts à 0,5 % l’an, dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, pour 1,8 milliard de dollars. Ajoutons à cela l’aide que nous apportons à d’autres États du continent via l’assistance post-conflit ou dans le cadre d’accords de confirmation. De même, dans le cadre de l’initiative PPTE, le FMI annule chaque année, depuis 2001, 300 millions de dollars du service de la dette de pays africains, environ la moitié de ce qui lui est dû. Nous avons également ouvert, en octobre, un centre régional d’assistance technique à Dar es-Salaam (Tanzanie) et un second à Bamako (Mali) fin mai 2003.

JAI: Une vingtaine de pays africains seulement mettent en oeuvre des programmes appuyés par le FMI. Comment expliquez-vous cet échec relatif ?

HK: Certains pays africains, comme Maurice, l’Afrique du Sud ou le Botswana, peuvent se passer de notre concours financier. Ils reçoivent seulement des avis de politique générale, dans le cadre de la surveillance dont le FMI a la charge. D’autres pays, en proie à des conflits armés, ne sont tout simplement pas en mesure de mettre en oeuvre ce type de programme. Au final, peu de pays choisissent de faire cavalier seul. Ce qui importe, ce n’est pas le nombre de programmes, mais qu’ils soient clairement axés sur la réduction de la pauvreté et la promotion de la croissance. Lorsque cela a été le cas, ils ont donné d’excellents résultats, notamment au Burkina Faso, au Cameroun, en Ouganda et en Tanzanie. Les dépenses sociales représentent désormais trois fois plus que le service de la dette.

JAI: Lancé par des chefs d’État africains, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) a éveillé l’intérêt des nations développées. Comment le FMI soutient-il cette initiative ?

HK: La caractéristique primordiale du Nepad est qu’il s’agit d’un programme d’action africain, conçu et mis en oeuvre par les dirigeants et les peuples du continent. Le FMI lui apporte un appui sans réserve. Nous considérons depuis longtemps qu’il est nécessaire d’intégrer les objectifs du Nepad dans les Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP). Ceux-ci sont élaborés par les pays eux-mêmes, en concertation avec les acteurs sociaux et les partenaires du développement. Les objectifs du Nepad à l’échelle du continent peuvent ainsi être incorporés dans les priorités nationales. Le FMI apporte également à cette initiative une assistance technique et encourage l’intégration régionale ; l’aide pour l’établissement de Conseils d’investisseurs visant à faciliter le dialogue entre le secteur privé et les autorités pour stimuler l’investissement ainsi que l’assistance financière d’urgence aux pays sortant d’un conflit.

JAI: Le Fonds a subi un feu nourri de critiques dans les années quatre-vingt-dix à propos des programmes d’ajustement structurel qu’il préconisait et du pouvoir excessif qu’il exerçait. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

HK: Il y a eu par le passé beaucoup de réussites, mais aussi quelques échecs. L’expérience nous a appris que les programmes échouent lorsque les objectifs ne sont pas clairement définis, qu’ils ne sont que partiellement mis en oeuvre, ou ne recueillent pas suffisamment de soutien de la population. Notre nouvelle approche est fondée sur un impératif : l’appropriation des programmes par les autorités elles-mêmes. La FRPC est née de notre réaction aux critiques suscitées par la précédente Facilité et a modifié radicalement la conception des programmes. Pour notre part, nous limitons le nombre de conditions dont ils sont assortis.

JAI: Des experts notent que les pays d’Asie (Inde, Chine et Malaisie) qui sont parvenus à surmonter des crises économiques sont ceux qui n’ont pas appliqué les recettes du FMI. Qu’en pensez-vous ?

HK: Voilà une affirmation qui a de quoi surprendre. La Chine et l’Inde sont en train de vivre une transformation économique radicale dans laquelle le Fonds a joué un rôle important. Pendant plusieurs années, le FMI a collaboré étroitement avec les autorités chinoises au processus difficile – mais fort réussi – qui a permis de renforcer les mécanismes de marché. Nous avons fourni à la Chine assistance technique et formation dans des domaines tels que la gestion des finances publiques, les opérations de la Banque centrale et la fiscalité. L’Inde, quant à elle, s’est remise d’une grave crise financière en 1991 en lançant de vastes réformes qui ont reçu dès le départ notre appui. Et, depuis, le dialogue se poursuit. Certes, la Malaisie s’en est tirée mieux que prévu. Elle a mis à profit la période pendant laquelle le contrôle des changes était en place pour renforcer son système financier et assouplir sa politique monétaire. De manière à être mieux préparée à faire face à des afflux de capitaux au moment où la réglementation des changes fut assouplie. La crise asiatique nous a amenés à étudier de plus près les conditions requises pour que la libéralisation des mouvements de capitaux se passe bien et à insister sur la nécessité de s’y engager avec prudence.

JAI: Ayant longtemps fait figure de seul « bon élève » du FMI, le Ghana a appliqué les politiques que vous préconisiez et « ajusté » son économie. Il s’est toutefois rapidement effondré. Pourquoi les réformes n’ont-elles pas eu d’effets durables ?

HK: Je ne peux pas laisser dire que le Ghana s’est effondré. Au contraire, depuis qu’il a commencé, au milieu des années quatre-vingt, à travailler avec le FMI, son économie a connu un rythme d’expansion de 4 % à 5 % l’an, rompant ainsi avec des années de récession. Je crois que les Ghanéens peuvent s’attendre à une croissance plus rapide et à une amélioration de leur niveau de vie si le gouvernement parvient à mener à bien les politiques énoncées dans sa nouvelle stratégie de réduction de la pauvreté. Il a en outre l’intention de promouvoir l’initiative privée. Je suis fermement convaincu que c’est là une démarche judicieuse pour le développement. Au Ghana comme dans le reste de l’Afrique.

JAI: Nombre de pays souffrent des subventions que les pays riches accordent à leurs agriculteurs. Pourquoi le FMI, qui s’y oppose dans les pays en développement, ne dénonce-t-il pas cette pratique, qui contrevient aux règles fondamentales du libéralisme qu’il est censé promouvoir ?

HK: Depuis que je suis arrivé au FMI, j’ai multiplié les appels en faveur du démantèlement de ces subventions qui faussent les échanges commerciaux. Nos pays membres partagent ma conviction. En avril dernier, le Comité monétaire et financier international, notre organe de direction, a affirmé clairement que des progrès sont nécessaires en matière de libéralisation du commerce des produits agricoles, où il est particulièrement important pour les pays en développement d’avoir de plus larges débouchés.

JAI: La corruption reste un fléau, en particulier dans les pays producteurs de pétrole. Comment faire en sorte d’améliorer la gestion des ressources publiques en Afrique ?

HK: On a parfois l’impression que la corruption est un problème insoluble. Mais il est possible de la circonscrire en se donnant trois grands objectifs. D’abord, faire respecter l’obligation de rendre compte et imposer une plus grande transparence dans les opérations financières de l’État. Il faut adopter les méthodes comptables et les normes d’audit internationales, sanctionner plus systématiquement les fonctionnaires qui manquent à leurs obligations et donner aux parlementaires et aux citoyens davantage de moyens pour surveiller et évaluer les actions des gouvernements. Il est ensuite nécessaire de renforcer l’appareil judiciaire et d’établir un cadre juridique solide, comportant des dispositions pour assurer le respect des contrats et des droits de propriété.
Il est enfin essentiel de réduire le contrôle de l’État sur l’économie et le monopole des entreprises publiques. Libéralisation et concurrence, y compris dans le commerce extérieur, réduisent aussi les sources de corruption. Les pays avancés peuvent et doivent contribuer à la réduction de la corruption en Afrique. Il faut donner suite aux initiatives telles que la convention anticorruption de l’OCDE. Le FMI continuera à soutenir les pays dans leurs efforts pour améliorer la gouvernance en les aidant à accroître la transparence de leurs finances publiques et en contribuant au renforcement des capacités administratives et institutionnelles.

JAI: Quelles sont vos prévisions de croissance pour l’Afrique en 2003 et 2004 ?

HK: Après avoir enregistré un taux de croissance de 3,4 % l’année dernière, l’Afrique devrait atteindre le seuil des 4 % en 2003 et de plus de 5 % en 2004. Cela ne se fera pas tout seul. Des politiques économiques plus vigoureuses sont nécessaires. Elles sont menées dans de nombreux pays, mais il faudra qu’elles soient poursuivies avec fermeté. Le redressement des pays industrialisés devrait contribuer à une remontée des cours des matières premières. Nous espérons également que la plupart des conflits armés qui ont éclaté en Afrique trouveront un règlement rapide, ce qui ouvrirait la voie à une stabilité politique susceptible d’attirer les investissements et de générer de la croissance.

JAI: Cela suffira pour atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté ?

HK: Certains pays – je pense au Bénin, au Burkina Faso, à l’Éthiopie, à Maurice, au Mozambique, à l’Ouganda, au Rwanda ou à la Tanzanie – affichent déjà des taux de croissance soutenus de 5 % ou plus qui vont contribuer à réduire la pauvreté. Beaucoup d’autres, en revanche, devront atteindre un rythme de croissance nettement supérieur au niveau actuel. Ce qui requiert une bonne gouvernance et une amélioration sensible du climat de l’investissement.
Le Nepad a déjà tracé la voie pour atteindre les Objectifs de développement pour le millénaire. Les pays industrialisés devront accompagner l’Afrique dans son travail de réforme, en augmentant leur aide et en ouvrant leurs marchés aux exportations africaines. Les pays africains qui bénéficient d’initiatives bilatérales telles que l’Africa Growth and Opportunity Act des États-Unis et de l’initiative « Tout sauf les armes » de l’Union européenne ont déjà commencé à accroître leurs exportations.

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