L’odyssée bantoue

Si tout va bien, les États-Unis vont accueillir plusieurs milliers de descendants d’esclaves originaires de ce pays rongé par la guerre civile.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Ils sont somaliens, mais pas somalis ; agriculteurs, dans un pays de pasteurs. Leurs ancêtres étaient des esclaves, « importés » du Mozambique et de la Tanzanie au XVIIIe et au XIXe siècle. L’esclavage a, certes, depuis longtemps été aboli en Somalie, mais les Bantous y sont toujours traités comme des citoyens de seconde zone, humiliés, persécutés. Notamment à cause de leur mode de vie, différent de celui de leurs compatriotes, et, surtout, de leurs traits « négroïdes »…
Profitant de l’anarchie générale qui a suivi la chute du dictateur Siad Barré, en 1991, plusieurs milliers d’entre eux ont fui vers le Kenya voisin pour échapper aux exactions des chefs de guerre. Ils se sont retrouvés dans des camps, séparés des autres réfugiés somaliens, qui, bien souvent, refusaient de cohabiter avec eux, obligés de compter sur l’assistance et la protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour survivre. Douze ans après, la plupart d’entre eux, refusant obstinément de retourner en Somalie où règne une paix pour le moins précaire, viennent de trouver une nouvelle terre d’accueil. Et pas n’importe laquelle !
Si tout va bien, en effet, quelque 12 000 réfugiés bantous somaliens devraient, à la faveur d’un pont aérien, rejoindre les États-Unis au cours des deux prochaines années. Une centaine d’entre eux ont déjà quitté le camp de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya, à la mi-mai, en direction de Phoenix (Arizona), de Springfield (Massachusetts) et d’autres villes américaines.
Avant d’embarquer, ils ont reçu des cours d’initiation à l’american way of life : comment se servir d’une fourchette, faire des courses dans un grand magasin ; comment utiliser une gazinière, une horloge, les toilettes ; comment chercher du travail ou un appartement ; comment attacher sa ceinture de sécurité dans l’avion ; que faire une fois sur place. Exercices pratiques, rudiments d’anglais, avec renfort de films et de vidéocassettes. Rien n’a été laissé au hasard.
Au départ, les organisations internationales ont essayé – en vain – de réinstaller les réfugiés bantous somaliens dans les pays d’origine de leurs aïeux. Plusieurs tentatives en direction des autorités tanzaniennes, en 1993 et en 1994, se sont révélées infructueuses. Sollicité en 1997, puis en 1998, le Mozambique a également refusé de les recevoir. La Tanzanie, qui accueille déjà sur son sol plusieurs milliers de réfugiés rwandais, burundais et congolais, a, pour ce qui la concerne, invoqué le « seuil de tolérance » ou les difficultés économiques pour se dérober. De guerre lasse, le HCR s’est alors tourné vers le gouvernement américain, qui accepta, en décembre 1999, de recevoir les réfugiés bantous somaliens.
Mais les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone ont failli tout remettre en question. Après dix-huit mois d’atermoiements, Washington a finalement donné son feu vert pour le démarrage de ce qui apparaît d’ores et déjà comme l’une des plus importantes opérations de réinstallation d’Africains aux États-Unis. Tout en posant quelques conditions.
Selon un communiqué publié le 5 février 2003 par le Bureau des populations, des réfugiés et des migrations du département d’État, les Bantous somaliens devront au préalable passer par un interrogatoire serré conduit par des fonctionnaires du service américain de l’immigration et des naturalisations, qui détermineront s’ils sont éligibles ou non au programme. Ils devront par ailleurs se soumettre à des contrôles rigoureux en matière de sécurité ainsi qu’à des examens médicaux poussés. À cela s’ajoute, bien entendu, une aptitude aux tests « d’orientation culturelle » et d’initiation à la langue anglaise. Autrement dit, pour être retenu, mieux vaut connaître Mickey, aimer le rap ou la musique country…
Dès sa descente d’avion, chaque famille de réfugiés bantous somaliens est confiée à une organisation caritative agréée par le département d’État. Il appartiendra à cette dernière d’aider les nouveaux venus dans la recherche de logement, d’emploi, et de leur fournir vêtements, vivres, équipements et, en cas de nécessité, des médicaments, le tout sur financement du gouvernement fédéral.
Jusque-là, le nombre total de Bantous somaliens aux États-Unis était estimé à environ 300. Il s’agit surtout d’étudiants ou de conjoints de citoyens américains. Ils vivent, pour la plupart, dans la région d’Atlanta (Georgie), dans le Sud, où une de leurs associations, l’Organisation de la communauté des Bantous somaliens, s’active, depuis plusieurs années, à sensibiliser les élus américains sur le sort de leurs « frères » restés en Somalie ou reclus dans des camps de réfugiés au Kenya. À titre d’indication, le nombre total de Somaliens vivant aux États-Unis est estimé à 150 000, dont 40 000 réfugiés (Bantous non compris). Avec une communauté de plusieurs milliers d’âmes, Minneapolis abrite la plus forte concentration de ressortissants somaliens. Suivent, dans le désordre, Columbus (Ohio), New York, Washington, Boston, Atlanta et Detroit…
L’annonce de l’arrivée imminente de plusieurs milliers de Bantous somaliens sur le territoire américain ne semble pas plaire à tout le monde. Des responsables de plusieurs municipalités du Massachusetts ont récemment refusé de les recevoir chez eux. Dans la ville d’Holyoke, la mairie a clairement fait savoir qu’elle n’avait pas les moyens « de soigner, d’éduquer, de former, de loger et de protéger » les nouveaux arrivants, indiquant au passage que les fonds fournis par l’État étaient dérisoires. À Lewiston, petite ville de 36 000 habitants dans le Maine, un groupe néonazi a organisé une manifestation de rue pour protester contre cette « invasion », au point que le maire a dû demander aux Bantous somaliens déjà installés de l’aider à dissuader les membres de leurs familles de venir les rejoindre. « Savez-vous qu’il y a du racisme à l’égard des Noirs et des musulmans aux États-Unis ? » Cette question a été posée, à la veille de leur départ, aux premiers émigrants bantous somaliens. Certains ont paru étonnés. D’autres ont répondu par la négative. Ils vérifieront sur place.

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