L’Irak d’en bas

Un journaliste américain a parcouru le pays de Saddam dans tous les sens. Voici sa « carte postale ». À vous de juger.

Publié le 4 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Ma plus grosse surprise : à quel point Saddam Hussein a réussi à démolir son pays avec la guerre d’Iran et la guerre du Koweït, dix ans de sanctions et trente ans de tyrannie. En dehors des grandes villes, la plupart des maisons sont des huttes de terre et de torchis, souvent avec des égouts à ciel ouvert et pas de trottoirs. Beaucoup de villages et de petites villes ont l’air de remonter aux temps babyloniens avec un rajout de poteaux électriques. Beaucoup d’Irakiens sont en haillons.
Bref, Saddam Hussein avait laminé son peuple bien avant que n’arrivent les Américains et les Britanniques. Il n’est pas étonnant que tant de soldats irakiens se soient débarrassés de leur uniforme au plus vite et aient pris la fuite. Et que les pertes causées aux forces américaines aient été essentiellement dues aux militants armés du parti Baas. Avec tout le respect que l’on doit aux militaires américains et aux hommes et femmes qui ont fait le coup de feu, l’affrontement a sûrement été l’un des plus inégaux de l’Histoire. En termes socio-économiques, l’Amérique se battait contre les hommes de Neandertal.
Le pire de cette pauvreté : elle a été à l’origine du pillage généralisé qui s’est organisé dans le vide laissé par les troupes américaines après qu’elles eurent balayé l’armée irakienne. Cela a été l’explosion spontanée d’une rage accumulée par une population contre un régime qui lui avait tout pris. Elle a été alimentée aussi par dix années de sanctions et de privations qui ont rendu les Irakiens fous et leur ont donné l’envie de se jeter sur tout ce qui leur passait à portée de la main. Comme on peut le constater au marché aux pillards de Bassora, où s’étale un effarant mélange d’objets usuels et de pièces détachées.
Le meilleur de cette pauvreté : les Irakiens sont tellement privés de tout qu’une grande majorité d’entre eux semble manifestement prête à donner aux Américains une chance de faire quelque chose. Plus important, il suffirait d’un tout petit peu d’investissement et d’un tout petit peu de sécurité pour améliorer la situation économique, et cela aurait un impact immédiat sur la vie des gens. L’Amérique peut encore très bien gagner la paix, à condition qu’elle se remue – ce qui rend si exaspérante l’incapacité du Pentagone à planifier l’après-guerre.
Les exilés de retour au pays : ils sont très actifs et savent faire de la politique. Ils reçoivent des délégations venues des quatre coins du pays, précisent leur vision de l’avenir et pressent les Américains de les laisser former un gouvernement provisoire. Les Irakiens de la majorité silencieuse, en revanche, semblent complètement hors du coup. Ils ne se connaissent pas. Ils n’ont pas été autorisés à se parler, à échanger des idées, depuis des dizaines d’années. Ils en sont réduits au monologue. Il sera intéressant de voir lequel des groupes d’exilés qui n’ont pas été victimes du traumatisme national sera capable de s’entendre vraiment avec les Irakiens qui, eux, en ont été victimes. Dans le court terme, cependant, l’avenir dépendra des exilés – à moins que les États-Unis ne trouvent le moyen de former rapidement d’autres dirigeants irakiens.
La meilleure citation d’un général américain : on lui demande s’il pense qu’on peut remettre l’Irak sur pied. Réponse : « C’est faisable. Je me demande seulement si c’est nous qui pouvons le faire. »

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