Le temps s’arrête à Chinguetti

Aux portes de l’immense erg saharien, l’antique ville de l’Adrar offre toujours un spectacle irréel à ses visiteurs.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

«Au sortir des affreux défilés de l’Adrar, après une journée de feu et de pierre, Chinguetti nous apparut, toute rose, vieux ksar mystérieux qu’une vague d’or soulevait dans le ciel incolore des crépuscules mauritaniens », raconte l’écrivain Odette de Puigaudeau(*), après avoir visité le pays à dos de chameau, vers 1934, en compagnie de sa compagne Marion Sénones.
Près de soixante-dix années ont passé, et c’est toujours le même spectacle, comme si le temps s’était arrêté. « Posée comme un bijou sur la nudité vertigineuse du désert », Chinguetti, ville frontière d’un nouveau monde, s’étale devant nos yeux. Nous avons laissé derrière nous un reg caillouteux, hérissé de falaises tabulaires, et nous voici maintenant aux portes de l’immense erg saharien qui déroule sur des centaines de kilomètres son tapis de dunes roses et blondes, parsemées de petites touffes de verdure qui permettent au regard de s’accrocher. Impression de quiétude et d’immensité. Le chauffeur gare le robuste 4×4 dans la cour de l’Auberge de la Caravane, où nous allons passer la nuit.
Nous déposons nos bagages dans la chambre – quelques affaires de toilette, des vêtements légers et l’indispensable gros pull, car on a beau être en mars, les nuits sont encore froides et les petits matins frisquets. Ici, pas de single. Chaque pièce dispose de cinq matelas, posés à même la moquette, sur lesquels trônent de grosses couvertures en laine. À l’exception du Fort-Saganne, le « quatre étoiles » local qui offre des chambres individuelles avec salle de bains, le partage des chambres et des toilettes est ici la règle. En cette fin mars, la saison touristique s’achève et les visiteurs qui atterrissent directement à Atar, principalement des Français, ne sont pas légion.
Sous les rayons du soleil couchant, les murs en pierre s’embrasent. Spectacle irréel. Nous nous précipitons vers la ville ancienne séparée de la partie moderne par le lit sablonneux de l’oued Chinguetti, dans lequel s’enfoncent nos pas. La marche est difficile, le vent soulève des milliers de grains de sable qui mordillent la peau du visage. Les rues de la ville ancienne, qui s’étale en bordure des grandes dunes de l’Ouarane, sont quasiment désertes. Ils sont peu nombreux, en effet, à habiter désormais ce coin d’histoire. Difficile d’imaginer ce que furent les splendeurs de cette antique ville de l’Adrar, qui, avec Ouadane, située quelque 100 kilomètres plus à l’est, comptait au Moyen Âge parmi les grandes cités caravanières et les principaux foyers de l’islam de la région. La plupart des demeures sont tristement à demi écroulées, en partie envahies par le sable. Rares sont celles qui laissent encore entrevoir les aménagements intérieurs. Seul le minaret de l’ancienne mosquée émerge fièrement. Si rien n’est fait – mais que faire pour lutter contre le mur de dunes mouvantes qui avance inexorablement ? -, la vieille cité sera ensevelie, comme le fut jadis Aber, la ville originelle, à 3 kilomètres de là.
Retour dans la partie nouvelle, encore animée. Quelques habitants, principalement des hommes, et de rares touristes, qui partiront demain bivouaquer dans le désert pendant une semaine ou deux, profitent de la fraîcheur de la nuit étoilée. Refuge dans une petite épicerie. Assis par terre, sur une natte en plastique, nous sirotons les trois verres de thé que nous prépare le « théificateur », un jeune homme noir qui a accroché un peigne dans sa chevelure crépue. Une coiffure en vogue parmi les jeunes de Chinguetti. Une ampoule éclaire faiblement les lieux. L’électricité est distribuée avec parcimonie, entre 19 h 30 et 23 h 30. « Ça, ce n’est pas trop grave, confie le propriétaire des lieux. Notre problème, en revanche, c’est l’eau. Nous sommes alimentés par un château d’eau, mais à tour de rôle, pour que chaque quartier en profite. » Chinguetti ne reçoit que 65 mm d’eau de pluie par an, et il faut creuser de plus en plus profondément pour atteindre la nappe phréatique. Hochement de tête désolé des quelques clients qui ont pris le prétexte d’une vague course pour se retrouver entre hommes. Car, hormis la télévision du Centre de lecture et d’action culturelle (Clac), qui fonctionne jusqu’à 22 heures, les loisirs sont limités.
À l’auberge nous attend un dîner de crêpes – une spécialité locale – et de pâtes, que nous dévorons en compagnie du tenancier. « Le tourisme a permis le développement du maraîchage et de petites activités artisanales, explique-t-il. Cela nous fait vivre. Mais nous sommes inquiets à cause de l’ensablement. Nous avons eu la visite de multiples missions de l’Unesco, qui a classé le site. Mais à part la restauration du minaret, rien n’a été fait. » Nous regagnons notre chambre, munis d’une bougie. Au cas où.
Réveil matinal. Visite des palmeraies, de l’ancien fort colonial, du marché, où s’agitent quelques femmes enveloppées de leur malahfa, et de l’une des nombreuses « bibliothèques du désert » que compte la ville. Celle d’Al Hamed Mahmoud est divisée en deux parties, l’une abritant des manuscrits, l’autre des ouvrages qui traitent de sujets religieux mais aussi d’astronomie, de mathématiques et de botanique. Tout en nous montrant ses trésors, dont certains hélas ! commencent à être attaqués par les termites, Al Hamed Mahmoud nous parle de « la cité soufie, première école du désert, septième Ville sainte de l’islam, bien plus spirituelle que Ouadane, qui était avant tout une cité commerçante ! » La rivalité entre les deux villes n’a donc pas disparu ! Rivalité qui opposait en fait deux confréries, car chaque cité comptait autant de « lettrés » l’une que l’autre. Alors que la Tidjaniya s’imposait à Chinguetti, fief de la tribu des Idas-Oualis, la Qadiriya s’était implantée à Ouadane, dominée par les Kountas, qui l’avaient introduite dans la région. À Chinguetti, le temps semble parfois s’être arrêté ! s

* Auteur de Pieds nus à travers la Mauritanie.

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