En attendant le bonheur…

Les Mauritaniens se prennent à rêver de jours meilleurs dans un avenir proche. L’économie confirme les signes encourageants de ces dernières années, et les découvertes d’hydrocarbures ouvrent de nouvelles perspectives.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

En se promenant à Nouakchott en ce mois de mai, on ne peut s’empêcher de penser à En attendant le bonheur, film du Mauritanien Abderrahmane Sissako récompensé par le Prix de la critique internationale au Festival de Cannes 2002 et primé une nouvelle fois au Festival du cinéma indépendant de Buenos Aires, le 30 avril dernier. C’est l’histoire d’un homme qui erre dans le port de Nouadhibou, à l’extrême nord du pays, en attendant un hypothétique départ vers l’Europe, eldorado tant convoité. Les Mauritaniens semblent aujourd’hui dans le même état d’esprit que le personnage d’Abderrahmane Sissako. À un détail près : l’eldorado dont ils se prennent à rêver, c’est leur propre pays. Non, ce ne sont pas là les effets de la chaleur torride qui prévaut en cette saison. Juste la perspective de jours meilleurs. À en croire les autorités, la Mauritanie, pauvre parmi les plus pauvres, pourrait accéder au statut de pays producteur de pétrole en 2005. En 2006, tempèrent les dirigeants de la compagnie pétrolière australienne Woodside. Cerise sur le gâteau, il semblerait que les sous-sols contiennent également de l’or et des diamants. Alors pour un peuple à la patience légendaire, 2005 ou 2006, c’est demain.
Ces découvertes, dont l’exploitation commerciale devrait être confirmée avant novembre 2003, sont prises très au sérieux par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Le ministre des Mines et de l’Industrie, Zeïdane Ould H’Meyda, estime à 200 millions de barils les réserves de pétrole prouvées à ce jour. Cela ne fera certes pas de la Mauritanie un grand producteur, mais ramené au nombre de ses habitants (moins de trois millions), c’est déjà bien. Et encore ne s’agit-il que d’estimations « basses », ce qui laisse espérer de bonnes surprises, y compris pour ce qui concerne des réserves gazières, dont on dit qu’elles seraient « considérables ».
Quelle qu’en soit la réalité, tout le monde, à Nouakchott, veut croire à cette manne providentielle jaillissant du désert et des eaux territoriales, actuellement prospectés par une quinzaine d’opérateurs étrangers. « Les perspectives économiques sont très bonnes, surtout avec l’exploration pétrolière et minière en cours », nous affirme ainsi Moulay Abbas, président de la Banque mauritanienne pour le commerce international (BMCI), première banque du pays. Cet optimiste ambiant fait écho aux signes d’embellie économique constatés ces derniers temps, qui permettent à la Mauritanie d’afficher des indicateurs que lui envieraient bien des pays africains. Les réformes entreprises par Nouakchott lui valent de figurer parmi les « bons élèves » de la Banque mondiale. Ce résultat est d’ailleurs le fruit de l’encadrement par les experts de la Banque depuis 2000 et d’une libéralisation tous azimuts en contrepartie d’un allègement de la dette et de l’afflux d’aide internationale dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.
Concrètement, le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) s’est élevé à près de 5 % par an depuis 1999. Et ce malgré une persistance de la sécheresse, un fléchissement de la production de fer et des produits de la pêche (les deux principales sources de revenus du pays, qui représentent près du quart du PIB) et le ralentissement de l’économie mondiale. En 2002, les réserves en devises ont atteint neuf mois d’importations, l’inflation a été relativement maîtrisée (autour de 4 %), et l’État a annoncé un surplus budgétaire – et non pas un déficit, comme c’est le cas presque partout ailleurs dans le monde – de l’ordre de 4,3 % du PIB. Mieux : la même année, le gouvernement a réduit le poids des impôts sur le revenu de 40 % en moyenne pour les bas salaires, et de 15 % pour les plus élevés. Parallèlement, les employeurs ont bénéficié d’allègements de la taxe sur les bénéfices, ramenée à 35 % puis à 25 %, et enfin à 20 %. Il est vrai que les rentrées de cette taxe ne représentaient que 2,6 % des ressources budgétaires en 2001. Effet de la libéralisation, les résidents peuvent désormais ouvrir des comptes bancaires en devises, et toutes les banques du pays sont contrôlées par des privés. Il ne reste de fait presque plus rien à privatiser, sinon la compagnie nationale d’électricité (qui devrait l’être l’an prochain) et peut-être les systèmes locaux de distribution d’eau.
Ceux qui ont connu la Mauritanie il y a dix ans ne retrouvent pas la léthargie qui la caractérisait. Le pays se réveille. Des chantiers sont ouverts. Un programme d’investissements publics de l’ordre de 988 millions de dollars a été lancé pour la période 2003-2005, programme que les bailleurs de fonds se sont engagés à financer en totalité. Il n’y a pas si longtemps, une seule artère de Nouakchott était asphaltée. La plupart des rues principales le sont maintenant. Reste les voies secondaires, pratiquement toutes à l’état de pistes déformées et poussiéreuses. La construction de la route reliant Nouakchott à Nouadhibou, la capitale économique, a démarré, ce qui favorisera l’intégration des principales régions du pays. Le bâtiment connaît un certain boum grâce aux investissements réalisés par ceux qui ont déjà prospéré dans le commerce. Fait rarissime, on voit même s’élever des immeubles à plusieurs étages dans la capitale.
Signe des temps, la population, jadis recroquevillée sur elle-même, s’adapte petit à petit au monde moderne. Les descendants des nomades du désert se sont enfin réconciliés avec la mer, autrefois considérée comme un danger d’où pouvaient venir les envahisseurs. Ils sont plus nombreux à consommer du poisson, chose presque inimaginable il y a encore vingt ans alors que la population pouvait mourir de faim sans tirer profit de côtes parmi les plus poissonneuses du monde. La situation n’est pas rose pour autant. En dehors de l’extraction du fer et de l’activité de trois cimenteries, le pays ne produit pour l’heure que très peu de richesses. Le secteur manufacturier ne représente que 8 % du PIB. Il se limite à de petites entreprises (fabriquant pour la plupart des produits alimentaires), et notamment aux deux cent cinquante boulangeries qui absorbent les deux tiers de l’emploi. Les revenus de la pêche proviennent essentiellement des licences accordées à des flottes étrangères, accusées de piller sans vergogne les ressources halieutiques du pays. Résultat : le PIB n’excède pas 1 milliard de dollars, soit vingt fois moins qu’un autre pays du Maghreb comme la Tunisie. Plus préoccupant, les Mauritaniens ne perçoivent pas les effets sur leur quotidien d’indicateurs socio-économiques encourageants. Le revenu moyen par habitant est parmi les plus bas au monde : 354 dollars en 2002, soit moins de 1 dollar en moyenne par jour. Et même si le taux de pauvreté a été réduit de plus de 5 points entre 1996 et 2002, il n’en demeure pas moins que 46 % de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. Cette pauvreté s’est même aggravée dans les bidonvilles de Nouakchott et dans le bassin du fleuve Sénégal, au Sud. Bref, il reste beaucoup d’efforts à fournir pour pourvoir aux besoins essentiels des Mauritaniens.

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