Bush doit sauver Israël de Sharon

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

La plupart des Palestiniens ont accueilli favorablement la « feuille de route » pour la paix au Moyen-Orient, élaborée par le Quartet des médiateurs internationaux (Nations unies, États-Unis, Union européenne, Russie). La veille du jour où elle fut officiellement présentée, Mahmoud Abbas (alias Abou Mazen) avait prêté serment comme Premier ministre, à la tête d’un cabinet « réformiste » qui marginalisait Yasser Arafat. Abou Mazen, très critique de la seconde Intifada, dès son déclenchement, s’engagea immédiatement et sans ambiguïté, au nom de son gouvernement, à mettre en oeuvre la feuille de route. Son grand problème est l’opposition des organisations militantes, Hamas et Djihad islamique, dont les dirigeants refusent de renoncer à la violence tant qu’Israël n’en aura pas fini avec l’occupation.
En Israël, par contraste, c’est le gouvernement du Likoud qui se sent menacé par la feuille de route. L’idéologie du Grand Israël, qui inspire ce parti, est tout simplement incompatible avec une authentique solution de deux États. L’édification de colonies en Cisjordanie et la destruction de l’infrastructure de l’Autorité palestinienne ont été les deux éléments principaux de la stratégie du Likoud pour saboter cette solution.
Dès l’origine, le gouvernement israélien a essayé de bloquer la feuille de route. Il a obtenu des Américains trois délais successifs avant qu’elle pût être publiée, tout en soumettant plus d’une centaine d’amendements. L’objectif du Premier ministre Ariel Sharon est de préserver le statu quo, non de le modifier.
Sharon, au cours de sa carrière, n’a jamais vraiment cherché à négocier des accords avec les voisins d’Israël. Depuis la première arrivée du Likoud au pouvoir, en 1977, il a pesé de tout son poids pour faire du Grand Israël une réalité, en créant de plus en plus de colonies en Cisjordanie. Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomma « le Bulldozer ». Durant ses deux premières années comme Premier ministre, il a permis l’installation de trente-quatre nouveaux « avant-postes ».
S’il reste invraisemblable que Sharon abandonne sa lutte de toute une vie contre un État palestinien viable, sa tactique n’en est pas moins devenue plus raffinée. Il a volontiers répété qu’il accepterait un État palestinien et qu’il était prêt, dans l’intérêt de la paix, à faire des « concessions douloureuses ». Mais ce qu’il envisage est une entité palestinienne émasculée et démilitarisée, établie sur moins de la moitié des Territoires occupés, tandis qu’Israël contrôlerait ses frontières, son espace aérien et ses ressources en eau. C’est une recette pour un ghetto, non pour un pays libre.
Le dessein caché d’Ariel Sharon est de faire dérailler le processus diplomatique engagé par les États-Unis. Il veut différer le règlement définitif jusqu’à ce que soit remplie une liste de conditions si longue qu’elle ne le sera jamais.
Sous sa forme actuelle, aux yeux de Sharon, la feuille de route apparaît viciée par l’influence de l’Union européenne, qu’il tient dans le plus grand mépris. Il sait que le Premier ministre Tony Blair est sincèrement acquis à la feuille de route et s’emploie donc à neutraliser son influence. Plus profondément, il croit que le président George W. Bush n’approuve que du bout des lèvres les vues du Premier ministre britannique.
Au lendemain de la guerre avec l’Irak, la question palestinienne revient, une fois de plus, au premier plan des problèmes politiques du Moyen-Orient. Une nouvelle fois, nous nous trouvons à un tournant. Il n’y a qu’un homme sur terre dont le pouvoir soit suffisant pour forcer le Bulldozer à prendre la route qu’il se refuse à prendre : c’est le président des États-Unis. Il reste à voir si Bush aura le courage de sauver Israël de la folie de son propre gouvernement. s © New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

* Avi Shlaïm est professeur de relations internationales à l’université d’Oxford et l’auteur d’un livre fondamental : The Iron Wall : Israel and the Arabs.

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