Armes de destruction massive : la grande illusion

Sur les dix-neuf sites les plus suspects, dix-sept ont été passés au peigne fin par les équipes spécialisées américaines. Sans résultat.

Publié le 3 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

«Mon unité n’a pas découvert d’armes chimiques. Si je suis convaincu que cette guerre était nécessaire ? Je vous le dis du fond du coeur : nous avons mis fin aux programmes d’armes de destruction massive de Saddam Hussein. Si je sais où sont ces armes ? J’aimerais bien le savoir… Mais nous les trouverons. Ou non. Je ne sais pas. Là, je suis honnête. »
Le colonel Richard McPhee est dans le doute, comme tous ses hommes. Lorsqu’il a été choisi cinq mois plus tôt pour diriger la 75e Exploitation Task Force, cet officier de l’US Army était enthousiaste à l’idée de chapeauter sur le terrain la recherche des stocks massifs d’armes illégales. Et de légitimer a posteriori la guerre unilatérale contre l’Irak.
L’heure est maintenant à la désillusion et même aux adieux. Les éléments de la 75e Task Force s’apprêtent, selon le Washington Post, à plier bagage. Le départ programmé de cette équipe multidisciplinaire composée de biologistes, de chimistes, de spécialistes des traités de non-prolifération, d’informaticiens et de soldats des forces spéciales ne signifie pas pour autant la fin de la chasse aux WMD, sigle américain pour désigner les armes de destruction massive. La 75e Task Force va être remplacée par une nouvelle unité, l’Iraq Survey Group, dont les effectifs devraient être plus importants, à en croire l’administration Bush. Le problème, c’est qu’il semble déjà y avoir de moins en moins de travail pour les chercheurs d’armes irakiennes interdites. Et beaucoup de frustrations.
L’administration américaine continue à affirmer que la recherche a à peine commencé en Irak. Les hommes du colonel McPhee ne sont pas de cet avis. Sur les dix-neuf sites les plus suspects, dix-sept ont été explorés à la mi-mai. Jusque-là, rien à se mettre sous la dent. Ce n’est pas faute d’avoir passé au peigne fin laboratoires, usines d’armement, fabriques de médicaments, distilleries, boulangeries, et creusé là où des caches d’armes chimiques et biologiques étaient censées se trouver.
Il n’y a plus qu’une seule équipe qui s’occupe à plein temps de la recherche d’armes de destruction massive. Les autres sont maintenant affectées à d’autres missions, notamment à l’exploration des soixante-huit sites sensibles, mais sans rapport avec l’arsenal biologique, chimique ou nucléaire. Ces sites intéressent les agences américaines de renseignements parce qu’« ils pourraient fournir des preuves de crimes contre l’humanité ou de connexions du régime avec le terrorisme international ». Mais il y aura de toute façon encore de l’espoir tant que les six cents sites potentiellement sensibles d’une autre liste, « la liste intégrée », n’auront pas été dûment fouillés. C’est l’avis du sous-secrétaire à la Défense chargé du renseignement, Stephen Cambone.
Pour le moment, l’équipement high-tech de la Task Force, destiné à identifier les gaz neurotoxiques et les germes tueurs, a été parfaitement inutile. Le lieutenant-colonel Charles Allison commande l’équipe de recherche numéro trois. Le 1er mai, ses hommes investissent le site el-Hayat sur information des services de renseignements américains. Bon signe : l’entrée du bâtiment est verrouillée. Après avoir fait sauter les barrières et les cadenas, le major Kenneth Deal, numéro deux de l’équipe, pénètre avec son appareil photo numérique dans une salle sombre et fait une stupéfiante découverte : des aspirateurs soigneusement entreposés.
Dans les autres chambres, ils trouveront des climatiseurs, des rouleaux de tissu et des pierres de marbre. Un renseignement erroné de plus de la part des services américains. Quelques jours plus tôt, le 25 avril, le groupe du lieutenant-colonel Allison investissait le site prioritaire Malab Ashab Chemical Corporation dont le sous-sol devait abriter des armes de destruction massive. En lieu et place, une piscine olympique et du matériel de plongée. On comprend la colère des chasseurs d’armes sur le terrain envers les agences qui leur communiquent les cibles. Ils dénoncent aussi la lente sécurisation des sites. La plupart d’entre eux sont visités par des pilleurs qui saccagent et brûlent des documents, avant l’arrivée des équipes de la Task Force. À la mi-mai, soit plus d’un mois après la chute de Saddam Hussein, le 5e corps de l’armée américaine n’avait sécurisé que 44 des 85 sites les plus suspects de la région de Bagdad. Le colonel McPhee en est atterré.
Tous les espoirs reposent désormais sur les révélations des scientifiques et des officiels irakiens appréhendés, comme le professeur de microbiologie Houda Ammash, surnommée « madame Anthrax ». Rien ne filtre pour l’instant des confidences des fidèles du régime défunt aux Américains. Par prudence, Londres et Washington ont commencé à relativiser la nécessité de la mise au jour d’armes de destruction massive en Irak. Des universitaires américains viennent déjà à la rescousse. Pour Michael Schrage du Massachusetts Institute of Technology, « que l’Irak dispose d’armes interdites ou non n’a plus aucune importance ». Sa théorie est que Saddam Hussein a maintenu l’ambiguïté autour de la question et « s’est comporté comme s’il disposait de ces armes ». Il était nécessaire que les États-Unis interviennent pour signifier à tous les régimes inamicaux qu’ils ne peuvent pas recourir indéfiniment au « bluff stratégique ». Après la guerre préventive contre une menace anticipée, voilà donc justifiée la guerre préventive contre une « non-menace » qui fait croire qu’elle en est une.

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