Vive l’Amérique !

Bush se félicite d’avoir transformé « Kadhafi-le-terroriste » en « homme de paix ». Reconnaissant, celui-ci ouvre les immenses gisements pétroliers de la Jamahiriya aux compagnies anglo-saxonnes.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Oubliés l’attentat de Lockerbie, celui du Ténéré et toutes les exactions perpétrées par la Libye depuis 1969. À 62 ans, Mouammar Kadhafi, qui détient tous les pouvoirs tout en refusant officiellement le titre de chef de l’État, a été reçu comme tel, les 27 et 28 avril à Bruxelles, par Romano Prodi, le président de la Commission européenne, et le Premier ministre belge Guy Verhofstadt. Mais le Guide de la Jamahiriya a payé cher sa réhabilitation internationale.
D’abord, il va devoir verser entre 4 milliards et 5 milliards de dollars pour « indemniser » les familles des victimes de tous les attentats commis par des agents libyens (voir encadré). Ensuite, perdre plusieurs autres milliards dans la destruction et le démantèlement de ses armes de destruction massive (ADM), de ses missiles Scud C et B et de son programme nucléaire balbutiant. Il a fait effacer des murs de Tripoli et de Benghazi son slogan favori : « Toz Fi America ! » (« Au diable l’Amérique ! ») et s’apprête à abjurer les principes fondateurs de son fameux Livre vert : le droit à la propriété privée va être rétabli, les tribunaux révolutionnaires supprimés et le capitalisme instauré en Libye. Le 23 avril, l’administration Bush a fait savoir qu’elle ne voyait plus aucun inconvénient à l’adhésion de la Libye à l’Organisation mondiale du commerce.
Les Libyens n’en croient ni leurs oreilles ni leurs yeux. La chaîne CNN s’est installée dans l’un des plus grands hôtels de Tripoli pour immortaliser cette « transition historique ». Experts pétroliers, diplomates et membres du Congrès se succèdent dans la capitale. Un groupe d’universitaires et de responsables du ministère américain de l’Éducation ont eux aussi fait le déplacement pour, expliquent-ils, développer la coopération « people-to-people ». George W. Bush prononce désormais le nom de Kadhafi comme on brandit le V de la victoire. De fait, le colonel a cédé à la pression diplomatique et, à l’inverse d’un Saddam Hussein, s’est sagement abstenu de toute aventure guerrière. À six mois de l’élection présidentielle, l’argument fait mouche : Bush est parvenu à « transformer pacifiquement un terroriste en un homme de paix » (sic).
Derrière les grands mots, il y a la réalité. Et celle-ci à une forte odeur de pétrole. Comme par hasard, la levée progressive des sanctions a bénéficié en premier lieu aux compagnies américaines, qui, en février, ont été autorisées à se rendre en Libye, puis, deux mois plus tard, à y investir. Poussant son avantage, Bush a annoncé le 23 avril le maintien de la Libye sur la « liste des États soutenant le terrorisme ». Ce qui signifie que l’embargo sur les armes et les avions ne sera, dans l’immédiat, pas levé. Et que les avoirs libyens dans les banques américaines (plus de 1 milliard de dollars) resteront gelés. Les responsables de la Jamahiriya ont avalé la pilule sans sourciller. Il est vrai qu’ils n’ont guère le choix.
Le même jour, Abdallah el-Qablawi, le directeur général de la Compagnie pétrolière nationale (NOC), a annoncé le début imminent des exportations de pétrole vers les États-Unis. Un premier tanker devrait appareiller en mai. Dans ses soutes, 1 million de barils de brut libyen…
Par ailleurs, Abdelrahman Chalgham, le ministre des Affaires étrangères, a dépêché à Washington une délégation chargée de choisir le nouveau siège de l’ambassade libyenne… Et Fathi Omar Ben Shatwan, son collègue de l’Énergie, a accueilli à bras ouverts, à Tripoli, les représentants des compagnies américaines chassées du pays en 1986. En leur faisant miroiter un fabuleux pactole : « notre pays est encore inexploré à 70 % », « nos réserves dépasseraient les 100 milliards de barils, soit 10 % du total mondial »… Patron de la compagnie Occidental Petroleum (Oxy), Ray R. Irani n’est pas resté insensible à l’argument. : « Je suis ravi et excité à l’idée de reprendre nos opérations en Libye, de contribuer à l’amélioration des relations entre nos deux pays et créer des richesses au profit des Libyens et de nos actionnaires », a-t-il déclaré.
Même son de cloche chez ses confrères d’Amerada Hess, Marathon Oil, Chevron Texaco, Conoco Phillips et les autres… On comprend leur empressement : le coût de production (environ 1 dollar par baril), celui du transport et la qualité du brut libyen sont parmi les meilleurs au monde.
C’est donc une véritable « caravane » pétrolière, sous pavillon américain, qui s’apprête à sillonner en tous sens le désert libyen. À la recherche de brut. On se croirait revenu dix-huit ans en arrière, quand les majors américaines extrayaient 1 million de barils/jour, soit environ la moitié de la production libyenne. La parenthèse « révolutionnaire » est bel et bien en train de se refermer.

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