Un Mozart noir dans le Paris des Lumières

Daniel Picouly s’est inspiré de la destinée fabuleuse du chevalier de Saint-Georges, musicien et homme d’armes du XVIII e siècle natif de Guadeloupe.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Décidément, le chevalier de Saint-Georges, compositeur, musicien et maître d’escrime célèbre au XVIIIe siècle, fait recette ces derniers temps. Après être resté dans l’oubli deux cents ans durant. Pour tout dire, et on rend ainsi à César ce qui est à César, cet intérêt nouveau tire son origine de la biographie que Emil F. Smidak a consacrée à Saint-Georges en 1996. Entretemps, ses compositions, symphonies et concertos, auront été reprises en CD. Son nom, ironie du destin, est venu remplacer, dans une rue du 1er arrondissement de Paris, celui du général Richepance, chargé de rétablir l’esclavage en Guadeloupe, la terre natale du chevalier. Plusieurs ouvrages, biographies et romans, lui ont aussi été consacrés.
C’est maintenant au tour de Daniel Picouly de s’attaquer au monument avec La Treizième Mort du chevalier, un roman dont le titre tente de traduire le silence autour d’une vie et d’une oeuvre parmi les plus fascinantes du siècle des Lumières. « L’homme, écrit Picouly, vit douze morts. La treizième est l’oubli. » Pourtant, Saint-Georges avait tout : du génie, une admirable carrière de compositeur, violoniste, militaire (capitaine de la Garde nationale prorévolutionnaire). Ce franc-maçon était en outre un vrai don Juan. Mais voilà, Joseph Boulogne, dit chevalier de Saint-Georges, surnommé de son vivant le « Mozart noir », avait un sérieux handicap : il était noir justement. Enfin presque. Né à Basse-Terre le jour de Noël 1739, du colon Georges de Boulogne Saint-Georges et de l’esclave sénégalaise Nanon, il passe une partie de son enfance dans la colonie française de Saint-Domingue avant d’arriver à Paris entre 11 et 13 ans. Et lors, même si on a 50 % de sang blanc, eh bien, on est un nègre. Indigne du titre de chevalier auquel il a pourtant droit. Pouvant peut-être se glisser dans la peau de directeur de musique de la reine Marie-Antoinette, mais pas de l’Opéra de Paris : des comédiennes ayant refusé « d’être soumises aux ordres d’un mulâtre », Louis XVI sera contraint à ravaler sa nomination.
Sportif de haut niveau, l’homme maniait le fleuret tout aussi bien que l’archet. À ce titre, il était redouté du Tout-Paris. C’est l’aspect de ce personnage aux multiples talents que Picouly a privilégié pour son roman. Il ne prend d’ailleurs en compte que les dernières semaines de la vie du chevalier, qui correspondent au moment où celui-ci, désormais pauvre, est recueilli chez un ancien de la légion Saint-Georges, noir comme lui.
Picouly ayant voulu faire de La Treizième Mort la suite de L’Enfant léopard, qui lui valut le Renaudot 1999, le chevalier se retrouvera ainsi face à son fils pour un duel à la vie à la mort. Le même sans doute qu’il aurait voulu livrer contre son père blanc. Dans le chapitre intitulé « Les deux Saint-Georges », où le chevalier affronte ce fils dont il ignorait tout, celui-ci lui déclare : « L’enfant a toujours raison sur l’histoire qui le fait naître. C’est pourquoi je viens ici pour vous dire que je suis votre fils, mais que vous n’êtes pas mon père. »
Inutile de décrire la cruauté des échanges qui suivront. Par chance, une femme se dressera entre les deux pour éviter l’irréparable. Au bout du compte, en fait de combat, on assiste plutôt à celui que l’homme livre contre la maladie, un ulcère de la vésicule, qui finira par l’emporter, le 12 juin 1799. C’est le début de l’oubli, que le rétablissement de l’esclavage voulu par Napoléon 1er viendra confirmer, ses compositions étant du coup retirées du répertoire des théâtres français. « Et il en fut, écrit Picouly, comme il avait été prédit, le chevalier de Saint-Georges tomba dans l’oubli. »
La Treizième Mort du chevalier aura ainsi contribué à réparer cette injustice. Pour ce faire, Picouly a eu besoin de treize chapitres, d’un décor pareil à une scène de théâtre et d’une langue assez classique, différente en tout cas de celle de ses textes précédents comme Tête de nègre ou Fort de l’eau. Une langue tour à tour tranchante et saccadée, qui s’amuse par endroits à tresser des répliques en alexandrins. Comme si le classicisme était de mise pour dire ce personnage, qui s’acharnait à être de son temps et des combats de sa génération.

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