Tunisie : les poubelles de Naples… renvoyées à l’expéditeur

La mafia italienne est-elle derrière l’envoi en Tunisie de 213 conteneurs de déchets ménagers de la région de Naples ? Mystère… Mais le scandale alerte sur le traitement des déchets dans le pays, un secteur où semble régner la loi de la jungle.

Manifestation réclamant le renvoi à l’expéditeur de déchets venus illégalement d’Italie, à Sousse, le 28 mars 2021. © Bechir TAIEB/AFP

Publié le 23 février 2022 Lecture : 3 minutes.

Sur le port de Sousse (Sahel), ce 18 février 2022, des représentants de la société civile, dont l’association Tunisie Verte, jubilent ; 213 conteneurs de déchets provenant d’Italie vont être renvoyés à l’expéditeur à l’issue d’une bataille juridique acharnée. « On n’y croyait plus », rapporte un sympathisant de Greenpeace selon lequel la conclusion de l’affaire, qui a éclaté voila deux ans en dévoilant un scandale dans le secteur du traitement des déchets, fera certainement jurisprudence.

Entre mai et juillet 2020, 282 conteneurs expédiés depuis le port de Salerne (Campanie, Italie) par la société italienne Sviluppo Risorse Ambientali Srl (SRA) sont réceptionnés à Sousse par la société tunisienne offshore Soreplast.

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Arrestation de 8 personnes

L’entreprise, qui entrepose une partie de cette cargaison à Msaken (Sahel), assure qu’il s’agit de résidus plastiques en admission temporaire destinés à être triés et recyclés avant d’être exportés. Une opération en apparence normale jusqu’à ce que l’émission les « Quatre vérités » de la chaîne El Hiwar Ettounsi ne dévoile, en novembre 2020, une affaire bien plus compromettante.

La Soreplast, dirigée par Moncef Noureddine, a conclu un accord avec la SRA, qui collecte les ordures dans la région de Naples, pour trier, recycler et réexpédier ces déchets ménagers pour un coût de traitement de 85 euros la tonne, hors transport.

Jusque-là, rien que de très banal, sauf que la déclaration en douane mentionne des déchets plastiques post-industriels. Mais l’odeur, pestilentielle pour du plastique, a incité un agent de la douane de Sousse à contrôler de plus près les conteneurs, où il découvre, après ouverture, les poubelles de Naples en pleine décomposition.

Une signalisation au ministère de l’Environnement va bloquer l’opération conjointe de la SRA et de la Soreplast qui ont contrevenu aux conventions internationales en matière de traitement de déchets et d’environnement.

Le scandale secoue le port de Sousse, où plusieurs cas de cargaisons douteuses, notamment agro-alimentaires, ont été signalés

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L’affaire n’aurait même jamais dû être conclue avec la Tunisie. « L’unique solution de traitement est l’incinération, mais la Tunisie ne dispose pas d’incinérateur », note Abderrazak Marzouki, du ministère de l’Environnement. Mais il semble que la Soreplast n’en soit pas à sa première fausse déclaration et que la SRA agisse sans tenir compte du règlement européen.

Le scandale secoue le port de Sousse, où plusieurs cas de cargaisons douteuses, notamment agro-alimentaires, ont été signalés. L’enquête a conduit à l’arrestation de huit personnes, dont le ministre de l’Environnement Mustapha Laroui et des cadres du ministère, de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), de l’Agence nationale de protection de l’environnement (ANPE).

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Incendie inexpliqué

En fuite à l’étranger, le patron de la Soreplast n’a pas été entendu. L’instruction a visé 26 personnes, toujours en attente d’un jugement, pour avoir contribué à introduire en Tunisie 7 900 tonnes de déchets non-recyclables.

Très déterminées, les autorités tunisiennes n’ont rien lâché et ont conclu un accord avec l’Italie pour la réexpédition des déchets de la SRA, en attendant une éventuelle indemnisation. « Il aurait fallu aller plus loin », tempête un écologiste tunisien qui voit derrière cette affaire, et bien d’autres, rien de moins que la main de la mafia. Il en veut pour preuve l’incendie inexpliqué du dépôt de la Soreplast fin décembre 2021 qui a réduit en fumée le chargement de 69 des 282 conteneurs de la SRA.

Les Italiens sont très actifs dans le secteur et traitent les déchets avec la Tunisie depuis 1999. Ils connaissent les procédures et savent comment les contourner

Majdi Karbai, député d’Attayar, avait fait de ce dossier son cheval de bataille avant la suspension de l’activité parlementaire le 25 juillet 2021. Il a notamment signalé, sans toutefois être entendu par le ministère public tunisien, que les tribunaux italiens conseillaient, après que la commission parlementaire italienne de lutte contre la mafia eut entendu les magistrats instructeurs, de faire intervenir des instances internationales pour démanteler les réseaux mafieux impliqués.

L’élu fait mention d’autres affaires du genre et évoque l’existence de déchetteries clandestines. Sous couvert d’anonymat, un ancien militant associatif assure qu’au prétexte d’activités de protection de l’environnement, de nombreuses entreprises et associations ont été soutenues par des bailleurs de fonds internationaux qui n’ont pas été toujours regardants sur la nature des projets.

« Les Italiens sont très actifs dans le secteur et traitent les déchets avec la Tunisie depuis 1999. Ils connaissent les procédures et savent comment les contourner » ajoute-t-il. « Quand on voit les opérations d’enfouissement des déchets autour de la lagune de Sejoumi [banlieue sud de Tunis] et qu’on note une augmentation des cancers, il faut aller au-delà des simples interrogations », assène celui qui appelle à une mobilisation citoyenne.

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