Singulière Afrique plurielle

L’exposition de Lille, dans le nord de la France, rend compte de la richesse et de la diversité de la création actuelle sur le continent africain.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Fini l’époque où l’art africain se résumait, aux yeux de l’Occident, aux masques et autres objets rituels. La production actuelle bénéficie d’une reconnaissance grandissante. Pour preuve, les expositions présentant l’art contemporain du continent foisonnent dans les villes européennes (« Transferts » à Bruxelles en 2003, « Les Afriques » à Lille en ce moment), au risque parfois (« Afric-Remix » qui s’ouvre l’été prochain en Allemagne) de « discriminer positivement » les Africains au lieu de les laisser se fondre dans le réseau international des plasticiens contemporains.
Réunissant plus de quarante artistes, jeunes et moins jeunes, explorant des médias transdisciplinaires (vidéo, installations, photographie, peinture), l’exposition qui s’est ouverte au Tri postal à Lille le 31 mars dernier a au moins un mérite. Elle n’est pas de ces événements-ghettos où l’on cantonne entre eux des artistes originaires d’une « aire culturelle » spécifique. Au contraire, elle intègre des créateurs qui revendiquent une part d’africanité dans leur travail sans pour autant être originaires du continent.
L’intitulé de l’exposition, marqué par un pluriel pour le moins inhabituel, augure déjà l’éclectisme dont a fait preuve Laurent Jacob, le commissaire (belge) de la manifestation. Bien sûr, on y trouve les très exotiques tableaux des Congolais (ex-Zaïrois) Moké, Bodo et Chéri Samba qui, pour paraphraser l’anthropologue Jean-Loup Amselle, continuent de « recycler une image que l’Occident se fait de l’Afrique », ce qui a contribué à les propulser dans les collections européennes depuis quelques décennies. Aux « Afriques », on rencontre aussi les incontournables dessins de « l’artiste prophète » ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, mais on découvre aussi des plasticiens inattendus tel que le français Philippe Cazal et sa géante calligraphie arabe (On ne remarque pas l’absence d’un inconnu) qui moque les slogans publicitaires.
La « culture pub », justement, est très présente dans cette exposition, et pas seulement par la présence d’une affiche Benetton signée Oliviero Toscani, l’ex-photographe de la marque italienne qui, après avoir mis d’atroces images d’actualité au service de la réclame, transpose à présent la publicité en oeuvre d’art. Dans la même veine, on trouve également les objets détournés comme les djellabas siglées Nike, Fila et Adidas de François Curlet, le Bibendum noir (The Big One World) de Bruno Peinado, la boîte Banania (Black Box) de Franck Scurti ou encore le Less Milk, More Cocoa, une installation-sculpture de Patrick Guns utilisant un énorme oeuf surprise Kinder.
Autant de travaux travestissant et « sacralisant » les icônes de notre société de consommation, celle-là justement que montre du doigt Meschac Gaba avec sa glaçante installation intitulée Poulet morgue (une caisse réfrigérante renfermant divers morceaux de volaille reconstitués en céramique). Inévitablement, la violence urbaine (Staying Alive de Lise Brice, Afrika Shox de Chris Cunningham), l’exclusion (T.W. Exported, une gigantesque installation de fils barbelés de Kendell Geers), les turbulences du monde (Keep it Real, Memorial to a Youth, mais aussi Ashes I-II de Olu et Niquer la mort/Love Supreme de Mohamed el-Baz), les conflits armés (Week-end Painting de Mounir Fatmi, l’insoutenable Rwanda 1994 de Groupov ou l’évanescent Épilogue d’Alfredo Jaar), l’exil (Exodus de Steve Mcqueen et Kin Services de Fabien Rigobert) constituent une part non négligeable de l’inspiration des oeuvres présentées.
Toma Muteba Luntumbue, lui, interroge dans sa peinture au pochoir l’identité musulmane en France. Ce travail a été réalisé dans la cage d’escalier menant à la salle de l’exposition parce que « cet espace intermédiaire m’a semblé le lieu le plus pertinent pour mon intervention », explique son auteur. C’est aussi l’islam, ou plutôt l’un de ses symboles, qu’explore l’insolente et audacieuse Zoulikha Bouabdellah dans une vidéo où elle fait danser un minaret au rythme d’une chanson raï. Dans Dansons, c’est après avoir drappé ses hanches de trois voiles, un bleu, un blanc et un rouge, parés de piécettes dorées, que cette jeune artiste entame d’énergiques « arabesques » au son du très « martial » hymne national français. Elle entend par cette démarche révéler le caractère « exotique » qu’incarnent pour elle des valeurs républicaines qui restent à conquérir.
On retrouve le même regard « ethnologique » sur l’Occident dans la série de photos Diary of a Victorian Dandy de Yinka Shonibare. Et c’est probablement les travaux de ces deux artistes interrogeant le patrimoine occidental qui incarnent le mieux la notion de « regard croisé » que Laurent Jacob a voulu privilégier dans ses « Afriques ». Dans la lignée de « Worlds Envisioned », qui fut notamment montrée à Paris, à New York et à Berne il y a une dizaine d’années. En réunissant les oeuvres de l’Italien Alighiero Boetti et de l’Ivoirien Bruly Bouabré, cette exposition ouvrait la voie à un véritable échange.

Le Tri postal, Lille, jusqu’au 8 août 2004.

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