Sénégal : Ousmane Sonko rebaptise les rues de Ziguinchor pour « restaurer la dignité nationale »

Le nouveau maire de la plus grande ville de Casamance a décidé de renommer cinq de ses rues portant le nom de figures de la colonisation française. Le début d’un mouvement plus large de revalorisation des héros nationaux ?

Ousmane Sonko à Dakar, le 19 janvier 2019. © SEYLLOU/AFP

MARIEME-SOUMARE_2024

Publié le 23 février 2022 Lecture : 3 minutes.

C’est un conseil municipal qui ne sera pas passé inaperçu. Ce 17 février, le nouveau maire de Ziguinchor, élu le 23 janvier dernier, a fait adopter ses premières mesures pour la ville. Et l’une d’elles n’a pas manqué de faire parler : Ousmane Sonko a annoncé son intention de rebaptiser cinq rues de Ziguinchor, qui portaient jusqu’à présent des noms issus du passé colonial ou renvoyaient directement à des figures de l’impérialisme français.

L’avenue du Capitaine-Javelier devient ainsi l’avenue du Tirailleur-Africain ; la rue du Lieutenant-Lemoine sera désormais l’axe Thiaroye-44 ; celle du Lieutenant-Truch est rebaptisée Séléki-1886 ; la rue de France cède la place à la rue de l’Union-Africaine et celle du Général-de-Gaulle se fera désormais appeler rue de la Paix.

la suite après cette publicité

Offense aux Sénégalais

« Le maire s’est engagé auprès des Ziguinchorois […] à renommer les rues et avenues portant des noms négativement chargés d’histoire coloniale, a déclaré le conseil municipal de Ziguinchor. Le maintien de ces dénominations plus de six décennies après notre indépendance est une offense à notre dignité nationale. »

C’est la première fois qu’une démarche publique va dans ce sens

Jusqu’ici, le Sénégal avait été peu concerné par cet élan de déboulonnage des statues et des icônes coloniales, qui s’était accéléré après le meurtre de George Floyd, le 25 mai 2020 aux États-Unis. Des militants avaient certes appelé à supprimer la statue Faidherbe dans la ville de Saint-Louis ou collé des posters à la gloire de figures panafricaines sur les noms de rues dakaroises, mais c’est la première fois qu’une démarche publique va dans ce sens.

En renommant les rues de Ziguinchor, Ousmane Sonko – lui-même proche de certains militants anti-impérialistes et panafricains, comme le Casamançais Guy Marius Sagna – vient donc rappeler la nécessité de s’interroger sur la façon dont les villes sénégalaises ont été construites et nommées et sur l’instrumentalisation du passé dans les lieux publics.

Ailleurs, certains ont été plus expéditifs, n’hésitant pas à jeter des statues à l’eau, comme l’a été celle du vendeur d’esclaves Edward Colston à Bristol (en Angleterre), à les décapiter (telle celle de Christophe Colomb à Boston, aux États-Unis) ou à les maculer de peinture rouge sang (le sort d’un buste de l’empereur Léopold II à Tervuren, en Belgique).

la suite après cette publicité

« Renverser le narratif colonial »

Ousmane Sonko peut-il déclencher un mouvement national de réflexion sur l’héritage colonial ? Pour l’opposant, qui a notamment fait de la sortie du franc CFA l’un des éléments phares de son programme, il faut aussi s’attacher à mettre en valeur les faits d’armes de personnalités africaines.

Nommer est un acte de pouvoir

« Cette démarche est assez inédite dans l’histoire post-coloniale », observe le chercheur en histoire Florian Bobin, qui rappelle que, depuis l’indépendance, des mouvements militants, issus notamment de la gauche révolutionnaire des années 1960-1970, ont appelé à la valorisation des figures nationales.

la suite après cette publicité

« Nommer est un acte de pouvoir. C’est donc un acte fort que de renommer un pont, une rue ou une statue, poursuit Florian Bobin. Les figures sélectionnées par Ousmane Sonko sont de celles qui incarnent le projet colonial, particulièrement dans le contexte casamançais. Ce qu’il propose, c’est de renverser le narratif colonial. »

Après Ziguinchor, Dakar ?

Le lieutenant Truch est en effet un administrateur colonial mort aux côtés des lieutenants Renaudin et Seguin lors de la bataille de Séléki, au cours de laquelle des combattants casamançais ont résisté à l’assaut des colons, en 1886. Même raisonnement avec le lieutenant Lemoine, tué au front lors de la Première Guerre mondiale. Ousmane Sonko a préféré commémorer le massacre des tirailleurs sénégalais par l’armée française à Thiaroye, en 1944.

« Le risque, prévient toutefois le chercheur, c’est d’utiliser le nom comme un paravent, de se parer d’une pseudo-réhabilitation qui devienne une sorte d’alibi afin de ne rien faire. Pour être autre chose qu’un pavé jeté dans la mare, ces initiatives doivent être suivies d’efforts, les institutions doivent former la conscience historique et intellectuelle du pays, éduquer et transmettre. »

La capitale verra elle aussi plusieurs de ses rues rebaptisées

Allié d’Ousmane Sonko au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), le nouveau maire de Dakar, Barthélémy Dias, pourrait bien lui emboîter le pas. La mesure est en effet comprise dans le volet culturel de son programme. Son entourage assure que la capitale verra elle aussi plusieurs de ses rues rebaptisées.

Même chose à Thiès, haut lieu de la résistance sénégalaise, également tombée dans l’escarcelle de la coalition YAW aux élections locales. L’universitaire Babacar Diop, nouvel édile de la cité, a déjà déclaré vouloir réhabiliter les combattants africains.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires