Pour le parricide
Thabo Mbeki a oublié de mentionner le nom de Nelson Mandela dans son discours d’investiture, le 27 avril, et on ne peut que s’en féliciter. C’est le signe qu’en Afrique du Sud le système fonctionne de lui-même et qu’il peut désormais se passer de l’homme providentiel. Cette omission, considérée par certains comme un péché grave, est aussi une pierre dans le jardin de ceux qui ont du mal à admettre que Mbeki n’est pas Mandela. Ou qui, aujourd’hui encore, jaugent Pompidou à l’aune du général de Gaulle et jugent Diouf, Bédié et Ben Ali à travers, respectivement, la personnalité et l’action de Senghor, Houphouët et Bourguiba. Le principe, pourtant, est aussi vieux que le monde : il n’y a pas de pouvoir sans parricide. Bref, pour reprendre la formule d’un homme politique français, Laurent Fabius pour ne pas le nommer, « lui, c’est lui ; moi, c’est moi ». Et tant pis si l’orgueil de Mitterrand dut en souffrir !
Mandela, ainsi que je l’ai signalé dans mon dernier billet, est un homme d’exception, un leader d’envergure, un fin diplomate. Un charmeur, une star, un saint aux yeux de ses compatriotes (toutes races confondues), mais aussi à l’extérieur de son pays, au point qu’un écrivain exigea récemment, non sans ironie, qu’on rebaptise l’Afrique du Sud « Pays de Mandela ». Avec Mbeki, rien de tel. On délaisse la voûte céleste, le rêve et le star system pour redescendre sur terre. Dans une réalité pas toujours gaie, même dix ans après l’accession de la majorité noire au pouvoir politique.
Si Mandela symbolise la victoire et un passage réussi du témoin entre un système abject et une aube nouvelle et prometteuse, Mbeki est celui qui aura géré ce quotidien, préservé l’économie, permis à des centaines de milliers de homeless noirs d’accéder au logement, à l’électricité et à l’eau courante, nommé le plus de femmes (22 ministres sur 49) au gouvernement. Tout en rappelant aux uns et autres – ce que la posture statufiée et la silhouette angélique de Mandela n’autorisaient pas – l’essentiel : il y a quelques années encore, les Noirs, qui forment la majorité de la population, étaient rien de moins que des esclaves.
En « oubliant » donc délibérément son illustre prédécesseur, au moment d’entamer son deuxième (et ultime) mandat, Thabo Mbeki s’installe pour de bon dans ses fonctions. Par le passé, il a gouverné par procuration. Le prochain quinquennat sera le sien. Tant mieux ! Et tant pis pour les esprits chagrins !
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