Mali, Sénégal : les jeunes repats au défi du retour

Ils ont moins de 40 ans, des diplômes et veulent mettre leurs talents au service de leur pays d’origine. Sur place, la réalité n’est pas toujours conforme à ce qu’ils attendaient.

Un sondage montre que près de 40 % des membres de la diaspora en France sont prêts à retourner immédiatement en Afrique. © Maskot/GettyImages

Publié le 21 février 2022 Lecture : 5 minutes.

Sur les Champs-Elysées, dans le chic VIIIe arrondissement de Paris, deux jeunes amis entrepreneurs échangent une longue étreinte pour leurs retrouvailles. L’un d’entre eux, Diade Soumaré, fait parfois la navette entre Bamako et Paris. Originaire du Mali et né en France, l’entrepreneur de 36 ans a pris le chemin inverse de ses parents lorsqu’il s’est « repatrié » à Bamako il y a dix ans. Aujourd’hui, il est à la tête du premier magasin revendeur agréé Apple au Mali. Il emploie une vingtaine de personnes, couvre l’intégralité du Mali avec ses services et a ouvert une boutique au Sénégal.

« J’ai commencé par des associations d’aide au développement en direction de mon pays puis de fil en aiguille, j’ai décidé d’investir et de m’investir au Mali », explique Diade Soumaré pour qui l’humanitaire a vite montré ses limites. Il se rend vite compte que l’aide qu’il apporte sur place subvient rarement aux besoins : dons de matériel médical jamais suffisants, rénovations de dispensaires dégradées dès l’année suivante… « Je me suis dit qu’il n’y aurait jamais assez en fait. On va envoyer, envoyer, envoyer… C’est ce que nos parents ont fait avant nous et ce n’est pas forcément la solution », déplore l’entrepreneur.

On se demandait comment aider sans faire d’assistanat

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À ses côtés, Magnouti Baradji acquiesce. Infirmière de formation, l’entrepreneure et mère de famille de 38 ans a lancé en 2016 La Maison de l’Hibiscus. Plus qu’une entreprise, c’est un projet de transformation agricole imprégné de valeurs féministes et égalitaires. « On a toujours fait partie du milieu associatif, on a vu nos parents aider la famille au pays. On se demandait comment on pouvait aider différemment, sans faire d’assistanat ? L’idée a été de créer une entreprise et de l’emploi là-bas », explique Magnouti Baradji.

Une diaspora formée et prête à s’engager

Avec sa PME composée uniquement de femmes, l’entrepreneure souhaite participer à « l’autonomisation et l’émancipation » des Maliennes dans une société encore trop conservatrice, selon elle. Basée à Paris, La Maison de l’Hibiscus collabore avec deux entreprises : Agri’Bio qui s’occupe de cultiver la fleur d’hibiscus et Kemeya où des femmes récoltent et sélectionnent les plus belles fleurs qui seront envoyées, puis transformées, à Paris. Il tenait à cœur à Magnouti Baradji de mettre en valeur la fleur d’hibiscus qui n’est, selon elle, pas assez valorisée et souvent réduite à son fameux jus de bissap (jus d’hibiscus en wolof), boisson populaire en France au-delà de la diaspora.

« La diaspora a été voir ailleurs, elle s’est enrichie d’autres cultures, a développé d’autres sensibilités. Elle garde un lien absolument essentiel avec son pays. Elle a comme défi d’être reconnue dans son pays d’accueil comme dans son pays d’origine », expliquait fin 2021 Idrissa Diabira, directeur général de l’Agence de développement et d’encadrement petites et moyennes entreprises (ADEPME). Selon lui, s’intéresser uniquement au phénomène de « fuite des cerveaux » de la jeunesse africaine revient à oublier que l’expertise de la diaspora, qu’elle soit en Europe ou de retour en Afrique, est un point crucial pour le développement des pays d’origine.

« Leur implication entrepreneuriale et intellectuelle est essentielle pour avoir non seulement des politiques de coopération plus justes ou mieux établies mais surtout, pour avoir des personnes pleinement investies dans leur mission », analyse le directeur de l’ADEPME. Pour celui qui est né à Drancy (Seine-Saint-Denis), a fait ses études et débuté sa carrière en France, l’ »accomplissement personnel » réside dans le fait de pouvoir servir le développement économique du continent.

Des business plan parfois trop calqués sur des enjeux occidentaux et peu adaptés aux besoins locaux

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Une vision idéalisée du retour

Le Sénégal fait figure de précurseur sur le sujet de la diaspora comme levier de dynamisme économique. Depuis le début des années 2000, le pays a mis en place le Programme d’appui aux initiatives de solidarité pour le développement (PAISD), pour aider les repats dans leurs projets. Le programme cible la diaspora établie en Europe (France, Belgique, Italie, Espagne) et peut apporter une subvention jusqu’à 80% des investissements immatériels. Mais il est surtout là pour les accompagner dans l’élaboration de business plan parfois trop calqués sur des enjeux occidentaux et peu adaptés aux besoins locaux.

« La réalité du terrain n’est pas forcément accessible sans échanges avec des acteurs de terrain, sans rencontrer les gens du secteur », explique le directeur de l’ADEPME. Par une communication régulière sur les réseaux sociaux, d’une diaspora très « demandeuse » d’informations, l’agence met en avant les projets, programmes disponibles et publie aussi des conseils sur l’installation.

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40% de la diaspora prête à retourner en Afrique

En plus de son activité de chef d’entreprise, Diade Soumaré est aussi le fondateur de l’Union des Ambassadeurs, une association qui regroupe une cinquantaine de repats maliens. Ne pas essayer de calquer des réalités européennes à l’Afrique, accepter de ne pas savoir et apprendre, s’intégrer et agir en fonction des mentalités locales : ce sont quelques conseils qu’il donne régulièrement aux nouveaux arrivants, souvent frappés par un « choc culturel ». « Certains ont trop idéalisé le retour. Le fait de partir, c’est comme une traversée du désert. De façon générale, on sort de sa zone de confort et de ses repères habituels. Ils pensaient déjà comprendre à l’aune de ce que leur parents leur ont transmis, des vacances ou encore des voyages humanitaires », détaille Diade Soumaré.

Le fait de partir, c’est comme une traversée du désert

Selon l’Agence française de développement (AFD), la diaspora africaine en France représentait en 2019 environ la moitié de la diaspora africaine d’Europe. Parmi elle, 3,3 millions de descendants d’immigrés. La même année, une étude du cabinet de conseil Innnogence Consulting publiait un sondage sur l’attractivité du continent africain auprès des diplômés et cadres de la diaspora.

Révélateur, le sondage réalisé auprès de 800 personnes souligne que près de 40 % des sondés sont prêts à retourner immédiatement en Afrique et que le désir d’entreprendre est la première motivation pour 62 % d’entre eux.

Loin des idées reçues, 70 % d’entre eux ont répondu que cette volonté de retourner en Afrique n’était pas liée à un manque d’opportunités professionnelles en Europe. Les freins au retour de la diaspora sont aussi évoqués : situation sociale et économique des États, conditions de travail, accès au marché de l’emploi, manque d’informations sur les opportunités, l’adaptation à la culture… 91 % d’entre eux souhaitent un accompagnement du gouvernement.

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