Maroc-Afrique du Sud le match
Le comité exécutif de la Fifa désignera le 15 mai le pays organisateur du Mondial 2010. Seule certitude : il sera africain. Mais entre les deux grands favoris, la lutte s’annonce serrée. Quelles sont leurs forces et leurs faiblesses ?
Samedi 15 mai, vers 13 heures, dans le grand hall de la Foire de Zurich, Joseph « Sepp » Blatter, le président de la Fédération internationale de football association (Fifa), annoncera officiellement le nom du pays chargé par le comité exécutif d’organiser la Coupe du monde 2010. Pour la première fois dans l’histoire de la compétition, il s’agira d’un pays africain. Cinq d’entre eux sont candidats : l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte, la Tunisie et la Libye.
De l’avis de tous les spécialistes, les chances de l’Égypte – dont tous les dirigeants fédéraux ont démissionné au mois de février ! – sont minces. Et celles de la Tunisie et de la Libye davantage encore : les deux fédérations ne se font d’ailleurs plus aucune illusion depuis le rejet de leur projet de coorganisation. Restent deux grandissimes favoris.
« La Coupe du monde est la clé de l’avenir de notre pays », a martelé Nelson Mandela. Ce slogan a été le leitmotiv de la campagne de l’Afrique du Sud, déjà candidate – malheureuse – à l’organisation de la compétition en 2006. On se souvient que, le 5 juillet 2000, les membres du comité exécutif de la Fifa, à une infime majorité (12 voix contre 11), lui avaient préféré l’Allemagne… Cette fois, forts de leur expérience, de la solidité de leur dossier et des amitiés dont ils disposent au sein de la direction de la Fifa, les Sud-Africains ont d’autant plus volontiers joué la carte de la discrétion que leur victoire a longtemps paru quasi assurée. Il est aujourd’hui permis de se demander s’ils n’ont pas péché par excès de confiance.
Candidat en 1994, 1998 et 2006, le Maroc paraissait une nouvelle fois mal parti, avant de réussir, au cours des derniers mois, un spectaculaire come-back. Tirant les leçons des échecs du passé, les responsables de Morocco 2010, le comité de candidature que préside Saad Kettani, ont en effet mobilisé une escouade d’experts internationaux de premier plan et mis au point un montage financier en béton. Ce forcing s’est révélé payant : tout indique aujourd’hui que le scrutin du 15 mai sera extrêmement serré.
Les Sud-Africains ont fini par prendre conscience du danger, même s’ils affectent la sérénité. « Nous continuerons à mener une campagne propre et transparente, en nous abstenant de dénigrer nos concurrents », a promis Irving Khoza, le président du comité de candidature. En fait, les meilleurs atouts sud-africains semblent être le charisme de Mandela et la force de conviction du président Thabo Mbeki. Du 25 au 28 avril, les deux hommes ont d’ailleurs reçu à Johannesburg la quasi-totalité des décideurs de la Fifa. À commencer par Joseph Blatter.
Le 14 mai, à 15 heures, dans le grand auditorium de la Fifa, ce sont les Marocains qui ouvriront le feu : une heure durant, Kettani présentera aux membres du comité exécutif le dossier de son pays. Il sera suivi, sauf surprise, par le Tunisien Hamouda Ben Ammar. Puis par le Sud-Africain Danny Jordaan, le Libyen Ali Ftaita et l’Égyptien Hisham Azmi. Les auditions prendront fin vers 20 heures. Dans les salons et les suites luxueuses du Baur au Lac, le palace zurichois où logeront les membres du comité exécutif, la « nuit du destin » pourra alors commencer. Personne n’en doute : elle sera longue et agitée.
Les infrastructures
De ce point de vue, le dossier de l’Afrique du Sud est le plus solide et répond au cahier des charges de la Fifa. Ce pays a déjà accueilli de nombreuses compétitions internationales : Coupe du monde de rugby (1995), CAN (1996), jeux Africains (1999), Coupe du monde d’athlétisme (2000). En outre, la ville du Cap a été, en 1997, candidate à l’organisation des jeux Olympiques de 2004. Sur les treize stades prévus pour le Mondial 2010, six sont déjà opérationnels. Il s’agit du King’s Park, à Durban (60 000 places) ; de l’Ellis Park, à Johannesburg (60 000) ; du Newlands, au Cap (40 000) ; du Free State Stadium, à Bloemfontein (40 000), du Loftus Versfeld, à Pretoria (40 000) ; et du Royal Bafokeng Sports Palace, à Rustenberg (40 000). Quatre autres devront être rénovés ou agrandis, en commençant par le Soccer City, à Johannesburg (94 700 places), où se dérouleront le match d’ouverture et la finale. Et trois restent à construire, à Port Elizabeth, Nelspruit et Pretoria. Budget prévisionnel : 243,8 millions de dollars.
En juin 2000, le rapport des inspecteurs de la Fifa estimait que « la qualité des infrastructures marocaines est difficile à évaluer », dans la mesure où « seuls quatre stades existent déjà, mais nécessitent d’importants travaux de rénovation » et que « cinq autres doivent être construits avant 2006 ». Pour l’instant, le Maroc dispose d’un stade tout neuf à Fès (45 000 places) et doit en rénover deux autres à Casablanca (50 000 places) et à Rabat (52 000). Trois nouvelles enceintes sont déjà en chantier à Marrakech (70 000), Agadir (45 000) et Tanger (69 000). Et trois autres seront construites si la candidature marocaine est retenue, à Casablanca (95 000 places), El Jadida (45 000) et Meknès (45 000). Budget prévisionnel : 750 millions d’euros.
La notoriété sportive
Sur le plan sportif, le Maroc présente une belle carte de visite : champion d’Afrique en 1976, premier pays africain à se qualifier pour une phase finale de Coupe du monde (en 1970, au Mexique) puis à accéder au deuxième tour (en 1986, toujours au Mexique)…
Dès avant la Seconde Guerre mondiale, l’Europe avait découvert un attaquant marocain prodigieusement doué, qui fit le bonheur de l’équipe de France : Larbi Ben Barek. Par la suite, d’autres grands joueurs prendront le relais comme Abdelkader Hamiri, Abderrazak el-Ouargla, Kadmiri Ben Mohamed, Salem Ben Miloud… Le premier footballeur africain à disputer une phase finale de Coupe du monde fut encore un Marocain, Abderrahmane Mahjoub (en 1954, avec l’équipe de France). Enfin, le Raja de Casablanca fut, en 2000, le premier club d’Afrique à disputer le Championnat du monde des clubs.
Cofondatrice de la CAF, en 1957, l’Afrique du Sud en fut ultérieurement exclue pour cause d’apartheid. Et privée, du même coup, de toute compétition internationale. Réintégrée en 1992, elle organisa la Coupe d’Afrique des nations quatre ans plus tard – et la remporta.
La puissance économique et financière
Depuis déjà longtemps, la toute-puissante Fifa, cette multinationale du ballon rond, privilégie la recherche de la rentabilité : elle tire de la Coupe du monde, dont le budget a triplé entre 1998 et 2002, des bénéfices gigantesques. Nul doute, dans ces conditions, qu’elle choisira le candidat le plus solvable. Le Maroc l’a si bien compris qu’il a désigné à la tête de son comité de candidature non un homme politique, comme en 1988 et 1992 (feu Abdellatif Semlali), ni un grand commis de l’État, comme en 2000 (Driss Benhima), mais un financier de haute volée. Saad Kettani est en effet l’ancien président de Wafa Assurances, vice-président du Groupe Wafa Bank (fondé par son père, Moulay Ali Kettani) et président du Conseil d’affaires maroco-espagnol.
En juin 2000, l’Américain Allan Rothenberg, qui dirigeait le groupe d’inspection de la Fifa, avait estimé, dans son rapport, qu’« il est difficile d’aborder les questions cruciales, notamment financières, avec les responsables [marocains] » ; et que « les garanties gouvernementales et les contrats des hôtels sont insuffisants, de même que les précisions sur les dépenses et les recettes ». Quatre ans après, le Comité Morocco 2010 est tellement conscient de ces faiblesses qu’il a engagé ce même Rothenberg comme consultant !
Après avoir obtenu des autorités du royaume des engagements fermes, Kettani a fait déposer une garantie de 140 millions d’euros auprès du Crédit suisse de Zurich – qui se trouve être la banque de la Fifa. Cette somme servira à la fois à financer le futur comité d’organisation et à couvrir un déficit éventuel. Selon des estimations sérieuses, celui-ci pourrait atteindre 107 millions d’euros.
Par ailleurs, les recettes de la billetterie sont évaluées à 271 millions d’euros (contre 207,45 millions pour 2006) et les dépenses à 250,68 millions d’euros (378 millions en 2006). Les billets coûteront de 750 euros (pour la finale, en 1re catégorie) à 15 euros (pour un match de groupe, en 4e catégorie). Une étude publiée en septembre 2003 prévoit un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros, qui devrait « générer une création de valeur de l’ordre de 4 milliards d’euros, des rentrées fiscales de près de 1 milliard d’euros, ainsi que la création de 300 000 à 400 000 emplois ». Le Mondial 2010 s’inscrit dans la stratégie de développement « Vision 2010 » mise au point à l’initiative de Mohammed VI en janvier 2001.
L’Afrique du Sud, qui a recueilli pour sa campagne 21,6 millions d’euros (26 millions de dollars) auprès des sponsors, évalue à 5,8 millions d’euros le coût de l’assurance du Mondial 2010. Le comité de candidature a reçu du gouvernement une enveloppe de 26,3 millions d’euros. Et une autre des autorités régionales de 21 millions pour les infrastructures (stades, routes, etc.). Les dépenses et les recettes devraient s’équilibrer à 426 millions d’euros. La vente des billets devrait rapporter 389,5 millions d’euros et le prix de ceux-ci osciller entre 902,5 euros (finale, 1re catégorie) et 16,7 euros (match de groupe, 4e catégorie). S’il a lieu en Afrique du Sud, le Mondial 2010 sera « financé en grande partie par des multinationales de premier rang » et permettra de créer 160 000 emplois. Thabo Mbeki considère que « l’accueil de la compétition constituera une étape décisive de la Renaissance africaine et fournira un moteur au Nepad [Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique] ».
Sécurité et problèmes sanitaires
L’un des points faibles du dossier sud-africain est la sécurité. Vingt mille meurtres sont commis chaque année dans le pays, dont le taux de criminalité est le plus élevé au monde. Les autorités se défendent en soulignant qu’elles ont, depuis 1995, organisé sans problème de nombreuses manifestations sportives et politiques majeures. Et qu’un dispositif spécial sera mis en place conjointement par les forces de police et divers organismes privés (245 000 membres, au total) pour protéger les équipes, les membres de la Fifa, les représentants des médias et les supporteurs.
Le problème le plus grave reste toutefois la pandémie de sida. Selon l’Onusida, la population sud-africaine comptait, à la fin de 2003, entre 15 % et 39 % de séropositifs (entre 0,1 % et 0,5 % pour le Maroc). Les études les plus sérieuses considèrent que plusieurs millions de Sud-Africains dans la force de l’âge mourront dans les dix ans à venir.
« La question de la sécurité, écrivait Rothenberg en juin 2000, n’est nullement préoccupante au Maroc. » Depuis, il y a eu les attentats de Casablanca, en mai 2003, puis ceux du 11 mars dernier, à Madrid. Pourtant, ce même Rothenberg balaie les inquiétudes d’un revers de main : « Depuis les jeux de Munich, en 1972, aucune manifestation sportive internationale n’est à l’abri de la menace terroriste. Mais les poseurs de bombes frappent là où les défenses sont vulnérables. Ils ne sont pas assez stupides pour foncer tête baissée dans un dispositif sécuritaire sophistiqué. Les Marocains sont rompus à la lutte antiterroriste. Et ils ont participé au dispositif sécuritaire mis en place lors du Mondial 1998, en France. »
L’enjeu politique
Pour Nelson Mandela, Thabo Mbeki et Desmond Tutu, l’attribution de la Coupe du monde à leur pays constituerait la réparation d’une injustice. Et une consécration pour la démocratie postapartheid, qui, le 27 avril, a fêté en grande pompe son dixième anniversaire. Leur discours se veut « humaniste, africaniste, multiculturel et pacifiste ».
Kettani invoque, pour sa part, la légitimité historique de la candidature de son pays, qui a été le premier à tenter de briser le monopole de l’Europe et de l’Amérique sur l’organisation de la Coupe du monde et à militer pour l’alternance entre les continents. Il souligne la tradition « d’hospitalité et de tolérance » du Maroc et insiste sur les « valeurs universelles du football ».
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