Le FLN au musée ?

Ali Benflis n’est plus aux commandes. Dissidents et légitimistes se disputent le droit d’organiser un nouveau congrès. Et l’ex-parti unique s’interroge sur son rôle et son avenir.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

Alger, lundi 19 avril. Réélu avec près de 85 % des suffrages exprimés, le président Abdelaziz Bouteflika prête serment et est officiellement investi pour un second mandat. Deux de ses concurrents du 8 avril sont là : la trotskiste Louisa Hanoune et l’islamiste Abdallah Djaballah. En revanche, Saïd Sadi et Ali Faouzi Rebaïane, ont décliné l’invitation. Quant à Ali Benflis, son statut de secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) ayant été remis en question par la justice, il n’a pas été convié. Cela tombe plutôt bien : ce même jour, il présente sa démission devant le comité central de son parti. Ou de ce qui en reste, tant cette instance a été décimée par les défections. Bref rappel des épisodes précédents.
En mars 2003, l’ancien parti unique connaît la plus grave crise de son histoire. Lors de son VIIIe Congrès, il accorde à Benflis des pouvoirs exorbitants, à la faveur d’un changement de statut qui n’a pas été discuté au préalable. Le « coup » confirme ce que beaucoup soupçonnent depuis quelque temps : le secrétaire général – par ailleurs chef du gouvernement – a bel et bien l’intention de se présenter à l’élection contre Bouteflika. Et il se donne les moyens de ses ambitions.
Une dissidence s’organise, un « mouvement de redressement » est lancé. Les objectifs en sont clairs. D’une part, enlever toute légitimité à Benflis en décrétant caducs les changements introduits dans les statuts. De l’autre, ramener le FLN dans le giron présidentiel. À la tête de la dissidence : Abdelaziz Belkhadem, ministre d’État, chef de la diplomatie et, surtout, représentant du courant islamiste au sein de la direction du parti.
Une cinquantaine de militants saisissent la justice pour obtenir l’annulation des résolutions du VIIIe Congrès. La plainte arrive jusqu’au Conseil d’État, qui déboute Benflis, gèle les avoirs du parti et recommande l’organisation rapide d’un nouveau congrès. Benflis maintient sa candidature à la présidentielle, mais ne recueille que 6 % des voix. Une véritable claque, suivie d’une débandade. Très vite, en effet, de nombreux partisans du secrétaire général tournent casaque et rallient sans vergogne le camp présidentiel. Lors de la cérémonie d’investiture, on verra même l’un d’eux se répandre en excuses devant Boutef : « On nous a trompés, Monsieur le Président ! »
Après le raz-de-marée du 8 avril, les « redresseurs », forts de leur « légitimité populaire » reconquise, n’ont pas le triomphe modeste. « Le FLN doit nous revenir ! » tempêtent-ils. Ils ne rencontrent guère de résistance. Les partisans de Benflis désertent en masse et remettent les clefs de la maison aux vainqueurs.
Les redresseurs sont pourtant loin de constituer un groupe homogène. Dans leurs rangs, les modernistes côtoient les conservateurs. Et les opportunistes, les militants purs et durs. Force est de reconnaître que les ambitions personnelles y sont parfois inversement proportionnelles à la sincérité de l’engagement. Le mérite de Belkhadem n’est donc pas mince d’être parvenu à donner un semblant de cohésion à cette dissidence disparate. Il lui reste à réussir ce qu’il appelle le « congrès de la réunification ». Mais qui se chargera de la préparation de ses assises, au mois de juin prochain ?
Le 19 avril, le comité central du FLN, après avoir accepté la démission de Benflis, met en place une commission de douze membres chargés (notamment) de prendre contact avec les redresseurs. Ces derniers leur opposent une brutale fin de non-recevoir : « La réunion du comité central est illégale, nous sommes seuls habilités à préparer les assises du parti. » Après trois jours de conciliabules, une première réunion a lieu, au siège du FLN, entre les deux factions rivales. Face aux partisans de Belkhadem, la délégation des amis de Benflis est dirigée par Abdelkrim Abada, un vieux militant qui a pour principal handicap d’avoir présidé les travaux du VIIIe Congrès.
Les entretiens commencent par un échange de rosseries. « Quelle émotion de retrouver cet endroit qui m’était interdit depuis près de dix-huit mois », lance, des trémolos dans la voix, Abdelkader Hadjar, l’ancien ambassadeur à Téhéran, dont la réputation de « grande gueule » n’est plus à faire. Goguenard, Abada interpelle un redresseur : « Je n’ai pas le souvenir de vous avoir déjà vu ici. » Réplique immédiate de l’intéressé : « La première fois que j’ai mis les pieds au siège du FLN, c’était en 1972. J’avais 22 ans et j’étais déjà cadre du parti. » Ambiance, ambiance…
Très vite, Belkhadem impose son autorité. « Notre démarche est unificatrice, nous ne voulons exclure personne. Mais pour prétendre être membre de la commission de préparation, il faut satisfaire à un certain nombre de conditions. » Apparemment, l’une d’elles est de n’avoir jamais tenu de propos désobligeants à l’encontre du chef de l’État. Ce qui exclut d’avance les douze représentants désignés par le comité central. Tous ont en effet participé à la campagne électorale de Benflis, au cours de laquelle Bouteflika n’a pas été ménagé.
Bref, les vainqueurs semblent peu disposés à faire des concessions aux vaincus. Le « feuilleton FLN » connaîtra-t-il pour autant son épilogue au mois de juin ? Rien n’est moins sûr. Le poste de secrétaire général sera à coup sûr âprement disputé. Déjà, diverses ambitions s’opposent, des projets de société s’affrontent. Seule certitude : le parti réunifié sera partie intégrante de la majorité présidentielle, aux côtés du Rassemblement national démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia et des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), que dirige Bouguerra Soltani. Reste à savoir ce que les redresseurs veulent faire du FLN.
Une partie de l’opinion souhaite apparemment que le parti de l’indépendance se tienne à l’écart de la compétition politique. Qu’il devienne une sorte de musée. « C’est le parti de tous les Algériens, le seul qui soit nommément cité par l’hymne national, affirme Salim, administrateur dans une collectivité locale et fidèle à l’ancien président Ahmed Ben Bella. Pourquoi devrais-je choisir entre le FLN, qui m’appartient comme il appartient à l’ensemble de la communauté, et le parti dans lequel je milite ? »
« Tu rêves ! s’amuse Nabil, cadre dans une banque publique. Le FLN reste une formidable machine électorale. » De fait, le président semble bien loin d’avoir l’intention de décréter la fin de mission historique de son parti. Salim et ses amis devront encore patienter. Et continuer de se mettre au garde-à-vous quand retentit l’hymne national : « Au FLN, nous faisons le serment de fidélité… »

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