Intégration en douceur

Les enfants issus de l’immigration ne vivent pas tous des parcours contrariés. Beaucoup parviennent, sans faire de bruit, à s’insérer dans la société.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 6 minutes.

Sohane, 37 ans, est consultante en informatique. Mamady, 31 ans, est ingénieur. Samira, 25 ans, est journaliste. Lila, 19 ans, est en hypokhâgne – classe préparatoire en lettres – dans un grand lycée parisien. Sohane, Mamady, Samira et Lila sont français, même si leurs noms de famille fleurent bon le Maroc, le Sénégal et l’Algérie. Ils ont en commun le fait d’être nés et d’avoir grandi dans des quartiers dits « sensibles » de l’Hexagone. « Ils sont invisibles dans la société. Ils travaillent, bâtissent des projets pour l’avenir, bénéficient d’un support familial stable, d’une éducation, ils ont des valeurs fortes… Dans la mesure où ils ne font pas parler d’eux, ils ne sont généralement pas médiatisés, à l’exception de quelques cas de success stories dont l’actualité se fait parfois l’écho », écrit le sociologue et écrivain Azouz Begag dans L’Intégration. On les appelle encore enfants de « troisième ou quatrième génération » d’immigrés. Des Franco-Maghrébins ou Franco-Africains qui souhaitent être français, tout simplement. Des « Français à part entière », comme le souligne le sous-titre du livre de Nora Barsali, Générations Beurs.

Chef d’entreprise, cette dernière s’insurge : « Nous sommes victimes du syndrome de l’exception. Les jeunes issus de l’immigration sont soit des Zidane, soit des brûleurs de voitures. Pourtant, l’intégration fonctionne. Nous sommes nombreux à nous reconnaître dans les principes de la République. » Nora Barsali propose dans son livre vingt et un portraits de réussites personnelles, de Nadya Ben Salah, coiffeuse dans un salon parisien, à Tokia Saïfi, secrétaire d’État au Développement durable, en passant par Aïda Touihri, journaliste sportive à France Info, ou Amar Douhane, directeur de gestion au sein d’une grande banque. « Ce qui m’a marquée, c’est que malgré leur réussite, il reste une blessure que tous partagent : un obstacle lié à une stigmatisation ou à une discrimination qui les ramène à leurs origines. »
Dans le livre aurait d’ailleurs pu se trouver le portrait de l’auteur, qui a créé sa propre agence de communication après des études en France et aux États-Unis. « Je suis passée à l’entrepreneuriat, car je pense être faite pour ça. Mon histoire est banale : j’ai juste travaillé un peu plus que les autres. Je suis née dans un quartier populaire, et mes parents, algériens, appartiennent à la classe ouvrière. J’ai pris l’ascenseur social grâce à leur ambition et leurs sacrifices. Bien sûr, il y a encore des problèmes, mais nous sommes nombreux à nous sentir des citoyens comme les autres », se défend-elle.

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Adil Jazouli, sociologue et conseiller à la Délégation interministérielle à la ville, à Saint-Denis, en région parisienne, ne dit pas autre chose. « Depuis la marche des Beurs de 1983, pendant laquelle les jeunes issus de l’immigration maghrébine ont pour la première fois exprimé leur désir d’être français, beaucoup de choses se sont passées. Pas seulement négatives. Nous sommes dans une phase d’intégration culturelle. Les jeunes des banlieues sont devenus des locomotives, par exemple dans la mode ou la musique. En revanche, l’intégration sociale piétine et l’intégration économique n’est pas satisfaisante : les problèmes de qualification et de formation s’accompagnent d’une très forte discrimination à l’embauche. Malgré tout, de nombreux jeunes d’origine maghrébine sont diplômés, vont en entreprise, travaillent et « n’intéressent » personne. Tant mieux, car une intégration est réussie quand on ne parle plus de vous ! »

Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Créteil, s’est livré à une enquête qui illustre ce point de vue. Il a étudié les noms des 1 562 futurs enseignants de deuxième année, pour mesurer la place tenue par les Français d’origine maghrébine. « Le critère de nationalité n’a pas de sens puisqu’il faut être de nationalité française ou d’un pays de l’Union européenne pour être candidat au concours de professeur des écoles. Mais il m’est apparu significatif de mesurer le nombre de prénoms caractéristiques d’Afrique du Nord pour voir si ce concours est un débouché pour les jeunes de la deuxième ou troisième génération. » Résultats : 11,53 % des professeurs stagiaires portent un prénom d’origine maghrébine, soit 153 élèves. « Un professeur des écoles stagiaire sur huit semble donc être, dans l’académie de Créteil, un « enfant de l’immigration », explique Jean-Louis Auduc. Ces jeunes, en majorité des filles, montrent que l’école est encore un outil de promotion sociale pour un certain nombre d’entre eux. »
Les parcours exceptionnels, comme ceux de Rachid Ahrab, ancien présentateur du Journal télévisé de France 2 d’origine algérienne, et de Kofi Yamgnane, d’origine togolaise, ancien ministre de l’Intégration, relèvent de « l’exemplaire unique auquel on se réfère pour contrer le constat de la sous-représentation des minorités ethniques à la télévision et en politique. […] C’est le principe que nous avons nommé « l’Arabe qui cache la forêt » », écrit Azouz Begag dans L’Intégration. L’auteur explicite : « J’aimerais voir demain à la télévision, à l’Assemblée nationale, des Noirs, des Arabes, des Antillais représenter légitimement la société française de la rue. » De fait, même si la sphère politique reste blanche, certains espaces, longtemps réservés aux Français de souche, commencent à se colorer. C’est le cas de l’armée, comme l’a montré Yamina Benguigui dans son documentaire Aïcha, Mohamed, Chaïb… engagés pour la France, diffusé en octobre 2003 sur France 3. Son film analyse comment l’engagement de jeunes Beurs leur permet de s’affirmer en tant que Français, mais aussi de trouver le respect au sein de la société française.
Des Beurs dans l’armée. D’autres qui créent leur société, même modestement, comme Fatima Nassiri, blanchisseuse dans la banlieue d’Angoulême (Charente), née à Agadir, au Maroc et colauréate du concours Talents des cités 2003. Ce dernier, créé il y a deux ans, récompense les parcours de créateurs d’entreprise issus des quartiers défavorisés. Aziz Senni, lauréat 2002, est devenu à 28 ans le chouchou des médias avec son entreprise de taxis collectifs située au pied de la cité du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie. Fils d’un cheminot marocain, aîné d’une famille de six enfants, il a, après avoir reçu son prix, monté avec un ami l’association des Jeunes Entrepreneurs du Mantois, qui compte aujourd’hui plus de quatre-vingts membres et a aidé à faire naître une dizaine de nouvelles entreprises. Une structure qui a donné naissance à une fédération nationale des Jeunes Entrepreneurs de France.
Malgré les blocages et les fortes discriminations dont sont encore victimes les Français d’origine maghrébine et subsaharienne en France, « il ne faut pas perdre de vue que l’intégration fonctionne aussi », affirme Abdel Aïssou, énarque, sous-préfet de Nice, né à Sétif, en Algérie, en 1959, et arrivé en France en 1960. « Un peu partout, des enseignants, artistes, journalistes issus de l’immigration s’insèrent dans le paysage français. Cela souligne l’urgence qu’il y a à accompagner ce mouvement : les diplômés des quartiers « sensibles » doivent pouvoir trouver un emploi », note le sous-préfet dans le livre de Nora Barsali, dont il est l’un des portraits. Tentant d’expliquer son parcours, il confie : « J’ai eu une enfance prolétaire comme celle d’un prolétaire français de souche. J’ai voulu sortir de ma condition non par haine d’un milieu, mais comme un enfant d’ouvrier voulant rêver plus haut. […] Je ne suis pas tourné vers le passé, j’ai mis le couvercle sur les blessures, j’avance… Une phrase de René Char guide mes pas d’homme et de fonctionnaire : « Va ta chance, serre ton bonheur, à te regarder ils s’habitueront » ».

L’Intégration, Azouz Begag, éditions Le Cavalier Bleu.
Générations Beurs, Français à part entière, Nora Barsali, François-Xavier Freland, Anne-Marie Vincent, éditions Autrement.

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