Halte au calvaire des enfants !

Un rapport de l’Unicef dénonce le trafic d’êtres humains en Afrique, qui atteint des proportions inquiétantes.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

C’est à Cotonou que le Fonds des Nations unies pour l’Enfance (Unicef) a choisi de rendre publique, le 23 avril, une étude(*) sur le trafic des êtres humains, en particulier celui des femmes et des enfants, sur le continent africain. La capitale économique béninoise est effectivement un lieu symbolique lorsqu’il s’agit d’évoquer la tragédie des enfants réduits à l’esclavage. C’était à Cotonou que s’achevait, dans la nuit du 17 au 18 avril 2001, après deux semaines d’errance dans le golfe de Guinée, la triste saga de l’Etireno, un navire battant pavillon nigérian qui transportait clandestinement 43 mineurs. L’affaire avait fait l’ouverture des journaux télévisés. Le monde feignait de découvrir un nouveau fléau des pays pauvres : le trafic d’enfants destinés à servir de bêtes de somme dans des plantations, de « boy » ou de « bonne à tout faire », voire d’objets sexuels, pour les ménages aisés.
Le battage médiatique autour de l’Etireno a suscité en Afrique de l’Ouest une prise de conscience de l’ampleur du phénomène. Au Bénin, les moyens d’intervention de la brigade des mineurs ont été renforcés, le nombre des « comités de vigilance » actifs dans les régions les plus concernées ainsi que les actions de sensibilisation de la population ont été multipliés.
C’est pour maintenir la pression que, trois ans après l’Etireno, l’Unicef et l’Union européenne, appuyés par de nombreux partenaires, organisent à Cotonou, du 20 avril au 15 mai, un ensemble de manifestations – projections de films et de documentaires, débats, concerts, expositions – rappelant que le trafic ne s’est jamais tari. Depuis septembre 2003, près de 300 enfants béninois, âgés de 7 ans à 17 ans, employés dans les carrières de pierre à Abeokuta, au sud-ouest du Nigeria, pour un subside annuel de 40 000 F CFA (61 euros), ont été rapatriés dans leur pays et rendus à leurs familles.
Selon l’étude menée par le centre de recherche de l’Unicef basé à Florence (Italie), tous les pays africains sont concernés par le trafic des enfants, soit comme pays d’origine, soit comme pays de destination, soit comme pays de transit. Si le rapport souligne qu’il n’y a toujours pas d’estimations fiables quant au nombre des victimes, il note qu’il y a deux fois plus de pays qui reconnaissent l’existence du trafic d’enfants sur leur territoire que de pays qui admettent la réalité d’un trafic de femmes. Et dans huit pays africains sur dix, l’exploitation des mineurs à l’intérieur des frontières nationales est très répandue.
C’est peut-être au Bénin et dans les pays voisins, le Togo et le Nigeria notamment, que la banalisation de cette exploitation est le mieux cernée. Dévoyée, la coutume du « placement » d’un enfant par des parents pauvres chez un autre membre de la famille élargie, pour lui assurer gîte, couvert, éducation et formation professionnelle, est parfois devenue un prétexte pour exploiter les vidomégons (« enfants placés auprès d’un tiers », en fon). Malgré la campagne virulente de l’Unicef et de nombreuses ONG, il n’est pas certain que le chiffre de 500 000 enfants travailleurs de 5 ans à 14 ans, avancé en 2000, ait vraiment diminué.
L’étude de l’Unicef met davantage l’accent sur les contours du trafic international. Comme le laissaient supposer les informations éparses disponibles jusque-là, c’est en Afrique de l’Ouest et centrale que le commerce des enfants est devenu endémique. En Afrique de l’Ouest, un pays « approvisonne » en moyenne quatre destinations. Le Togo, le Bénin et le Nigeria fournissent ainsi de la main-d’oeuvre servile à plus de neuf pays de la sous-région – dont traditionnellement la Côte d’Ivoire d’avant la crise – et au-delà, comme le montre la filière gabonaise.
En Afrique australe et orientale, les flux sont moins diversifiés puisque chaque pays d’origine « approvisionne » en moyenne deux destinations. Au premier rang desquelles l’Afrique du Sud, où l’on trouve des enfants provenant des pays frontaliers, mais aussi d’autres plus éloignés, comme l’Éthiopie. L’Unicef relève également que le trafic n’est pas uniquement sous-régional et continental : le commerce de femmes et d’enfants en direction de l’Europe, surtout des filles destinées aux réseaux de prostitution, concerne 34 % des pays africains, tandis que dans 26 % d’entre eux des enfants sont envoyés au Moyen-Orient. Des cas de trafic de mineures destinées à la prostitution entre l’Afrique du Sud et les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, la Thaïlande en particulier, sont rapportés.
La lutte contre ce fléau est d’autant plus difficile que ses racines sont complexes et que chaque pays présente des caractéristiques spécifiques. L’étude de l’Unicef tente d’établir les causes de « l’offre » et de « la demande » d’enfants à des fins d’exploitation. Du côté de l’offre, il y a bien sûr la pauvreté, mais aussi et surtout la vulnérabilité particulière des femmes et des enfants. Le trafic apparaît comme « moralement acceptable » dans un contexte social et culturel marqué par une discrimination à l’égard des plus faibles, femmes et jeunes filles en particulier. L’Unicef cite la banalisation de la violence dans la sphère publique et privée – entre 32 % et 42 % des femmes interrogées en 2000 au Kenya, en Ouganda et au Zimbabwe confiaient subir régulièrement des agressions physiques – et les mariages précoces – qui concernent respectivement 40 % et 49 % des filles de moins de 19 ans en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, contre 27 % en Afrique de l’Est et 20 % en Afrique australe et en Afrique du Nord. Le rejet des enfants malades et/ou orphelins du sida ainsi que les lacunes criantes de l’état civil dans beaucoup de pays, où bon nombre de naissances ne sont pas enregistrées, sont également des facteurs dont savent profiter les trafiquants.
Quant à « la demande », il ne faut pas négliger son rôle dans l’expansion du trafic. L’Unicef incrimine la forte demande locale d’esclaves sexuels, qui peut être exacerbée par la présence de complexes touristiques, comme c’est le cas au Malawi. Vient ensuite le besoin de petites mains dociles et industrieuses pour le travail domestique et dans les plantations de coton, de cacao et les mines en Afrique de l’Ouest. Les ravages du sida alimentent aussi la demande, par des hommes âgés, d’épouses jeunes et vierges : dans l’ouest du Kenya, au Zimbabwe et dans certaines régions du Ghana, des filles sont sélectionnées dès l’âge de 8 ans comme « enfants fiancées ». Il y a également un trafic d’enfants voués à l’adoption, dont l’ampleur est inconnue. Seuls trois pays africains (Burkina, Burundi et Maurice) ont ratifié la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Enfin, outre la demande d’enfants-soldats dans les pays en proie aux conflits, le rapport de l’Unicef évoque les pratiques rituelles qui nourrissent le trafic d’organes. En Afrique du Sud, on parle de mutti killings. On sait que le phénomène existe aussi dans un pays comme le Nigeria.

* Trafficking in Human Beings, Especially Women and Children, in Africa, Unicef Innocenti Research Centre, www.unicef.org.

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