Explosion imminente

Exacerbées par la politique agressive des États-Unis et d’Israël, la colère et les frustrations du monde arabo-musulman laissent craindre, à court terme, une réaction extrêmement violente.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 6 minutes.

Sans être inconsidérément alarmiste, il est permis de prévoir que les semaines et les mois à venir seront particulièrement lourds de dangers. On a le sentiment que la planète entière est menacée par une imminente éruption volcanique. La soif de vengeance et le niveau de frustration sont tels dans le monde arabo-musulman qu’il faut s’attendre à des explosions de violence en des lieux très divers. Les responsables de la sécurité et du renseignement sont convaincus que de nouveaux actes de terrorisme de grande ampleur sont en préparation dans plusieurs pays, notamment, mais pas seulement, en Amérique, en Israël et au Royaume-Uni. Dans un moment de franchise, le chef de la police britannique a déclaré récemment qu’un attentat terroriste à Londres était « inévitable ».
Les décisions et des déclarations récentes du président George W. Bush et du Premier ministre israélien Ariel Sharon, ainsi que du Premier ministre britannique Tony Blair ont été à ce point agressives à l’égard d’une importante partie de l’opinion arabo-musulmane qu’elles ne peuvent que provoquer une réaction violente. En recourant à la force et en écartant un règlement pacifique des conflits régionaux, que ce soit en Irak ou en Palestine, ces responsables politiques ont légitimé le terrorisme. Consciemment ou non, ils l’ont en fait encouragé. Il n’est pas exagéré de dire que Bush et Sharon utilisent le terrorisme pour consolider leur position. Sans les attentats du 11 septembre 2001, Bush serait resté un président faible, marqué par le fait d’avoir conquis la Maison Blanche de manière discutable. Son image de « dur » s’attaquant au « terrorisme » peut être son meilleur atout pour obtenir un second mandat. En Israël aussi, c’est le « terrorisme » qui a permis à Sharon d’accéder au pouvoir et d’y rester. On peut se demander ce qu’ils seraient sans lui.
De petits signes sont annonciateurs de la tempête. Quand un policier jordanien ouvre le feu, au Kosovo, sur un car transportant des gardiens de prison américains, faisant deux morts et huit blessés, on doit s’interroger. À Amman, on a découvert une bombe « chimique » qui aurait pu tuer 20 000 personnes et détruire l’ambassade des États-Unis et l’immeuble des services de renseignements jordaniens. Autre signe d’un climat délétère, le département d’État a rapatrié son personnel diplomatique non indispensable en Arabie saoudite. Les Américains ne sont pas à l’abri. Lorsque la provocation est forte, certains individus sont poussés à des actes de désespoir.

L’effondrement du système international. Effrayés par la fureur rentrée de leur peuple, des leaders arabes généralement proaméricains ont été obligés de prendre leurs distances. Le roi Abdallah de Jordanie a été jusqu’à annuler une rencontre avec le président Bush. L’Arabie saoudite a vivement critiqué la récente conférence de presse Bush-Sharon où le président américain a salué les décisions « historiques et courageuses » de son ami, le Premier ministre israélien. Des propos proprement scandaleux. Dans une interview au quotidien français Le Monde, le président égyptien Hosni Moubarak a déclaré que les Américains n’avaient jamais été autant détestés.
Le système international, qui est fait de lois et d’institutions, de réserve et de diplomatie, d’alliances et de respect mutuel, a volé en éclats sous les coups qui lui ont été portés par la guerre illégale et illégitime menée en Irak, comme par le martyre du peuple palestinien et l’assassinat de ses dirigeants, toléré et même encouragé par les États-Unis.
L’administration Bush ne semble pas avoir compris à quel point la perte de confiance dans les États-Unis a été aggravée par l’anarchie. Comme le dit le sénateur John Kerry, le candidat démocrate à la Maison Blanche, « jamais les États-Unis n’ont eu dans l’opinion internationale une image aussi mauvaise qu’aujourd’hui ».
De son côté, Tony Blair a fortement terni la réputation de franchise et d’impartialité du Royaume-Uni et prêté le flanc à la critique. Il a claironné sa détermination à « garder le cap » en Irak et à éliminer « les fanatiques et les terroristes ». Une telle attitude colonialiste passée de mode oublie la force du nationalisme irakien. Blair affirme que le plan Sharon d’évacuation de Gaza permettra d’en revenir à la « feuille de route » du Quartet. C’est une hypocrisie éhontée, puisque chacun sait que l’annexion par Sharon d’importantes colonies de Cisjordanie et son sinistre « mur de sécurité » l’ont définitivement enterrée.
En Europe aussi, la crédibilité de Blair est au plus bas. Ayant ruiné la politique étrangère commune de l’Europe et sa politique de sécurité en participant à la guerre de Washington contre l’Irak, il a maintenant le toupet d’affirmer que le destin du Royaume-Uni se situe « au coeur de l’Europe ». Son discours au Parlement, où il a annoncé que les Britanniques seraient invités à se prononcer par référendum sur la Constitution européenne l’année prochaine a été tourné en dérision dans certains milieux parisiens.
L’ingagnable guerre d’Irak reste un projet américano-britannique voué à l’échec. Les autres pays de la Coalition quittent le navire aussi vite qu’ils le peuvent. La décision de l’Espagne de rapatrier ses 1 400 hommes a été imitée par le Honduras (370 hommes) et la République dominicaine (150). Le Portugal (150 hommes), le Salvador (380) et la Thaïlande (440) ne devraient pas tarder à en faire autant. Même la Pologne, qui tient généralement à jouer les fidèles alliés de l’Amérique, pourrait ne pas renouveler la mission de ses 2 400 soldats lorsqu’elle prendra fin en septembre. La Coalition part en morceaux.
Rares sont les pays qui veulent être associés à une catastrophe qui remet en question la volonté impériale de l’Amérique et creuse de profondes divisions dans l’administration Bush et l’opinion publique américaine. Plan of Attack, de Bob Woodward, le dernier ouvrage du célèbre journaliste d’investigation du Washington Post, jette une lumière crue sur la querelle de longue date qui a opposé le secrétaire d’État Colin Powell au vice-président Dick Cheney et au secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, et aussi aux likoudniks du Pentagone que Powell appelle la « Gestapo ». La tragédie de Powell est qu’il a décidé de servir loyalement un président ave lequel il est fondamentalement en désaccord.

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La tortueuse stratégie de Sharon. Israël est au coeur du désordre international actuel. Ses soutiens de Washington ont conçu la guerre contre l’Irak et fait campagne pour qu’on la fasse dans la conviction erronée qu’elle permettrait à Israël de vaincre les Palestiniens. Le désaccord sur la manière de régler le conflit israélo-arabe est devenu le principal sujet de discorde entre l’Europe et les États-Unis. L’Europe a été dans l’incapacité de se faire entendre, en grande partie en raison de la pénétration, au plus haut niveau, du gouvernement américain par les « amis d’Israël ». C’est une caractéristique marquante de la politique contemporaine. Cependant, le massacre quotidien des Palestiniens par les Israéliens continue de scandaliser le monde civilisé, mais personne ne sait comment l’arrêter. Le souvenir de l’Holocauste, plus un appareil de propagande mondial sans égal, garantissent à l’État hébreu une large immunité.
Pourtant, la stratégie de Sharon est claire comme de l’eau de roche. Pour s’emparer de davantage de terres en Cisjordanie, il exploite au maximum le soutien d’un président américain faible qui a le plus grand besoin, en année électorale, des voix des juifs américains et des « sionistes chrétiens » fondamentalistes.
Décidé à éviter à tout prix des négociations avec les Palestiniens – qui signifieraient inévitablement rendre de la terre à un éventuel État palestinien -, Sharon a tout fait pour détruire l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat. Il a ensuite accusé cette institution affaiblie et brisée d’être incapable de mater les extrémistes. Pour « se défendre », Israël doit donc assassiner les leaders palestiniens et passer au bulldozer ce qui reste de la société palestinienne. Comme une leçon bien apprise, Sharon et ses alliés de droite se plaignent alors de ne pas avoir d’interlocuteur palestinien avec lequel parler de la paix – ce qui est exactement l’objectif que Sharon a cherché à atteindre !
Personne n’est dupe d’une aussi éclatante mauvaise foi, mais personne – et certainement pas George W. Bush ni Tony Blair – n’est disposé à intervenir pour détourner Israël de ses instincts meurtriers ou protéger ce qui reste d’une Palestine à l’agonie.

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