Entre abondance et pénuries

L’énergie reste un produit de luxe pour les Africains. Pourtant, le conti nent est loin de manquer de ressources.

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

Délestages sauvages, coupures intempestives, appareils électriques « grillés » par les sautes de tension : la pénurie d’énergie fait partie de la vie quotidienne en Afrique. Difficile de croire aux prédictions des experts qui nous annoncent l’arrivée prochaine de l’Internet dans le moindre village de brousse. Encore faudrait-il que ces villages disposent de l’électricité nécessaire ! Au sud du Sahara, seulement 15 % de la population est raccordée à un réseau électrique. Dans les pays du Maghreb, la situation est plus favorable, mais dans de nombreux villages de montagne les ténèbres s’installent dès que le soleil se couche.
L’essor démographique et la croissance de l’activité économique entraînent de nouveaux besoins. La consommation d’énergie va doubler dans les dix prochaines années, et ce dans la plupart des États africains. Actuellement, ceux-ci recourent essentiellement au pétrole, au gaz ou à la force de l’eau pour produire du courant électrique. Mais si les centrales électriques thermiques utilisent généralement du fuel, sous-produit de l’exploitation pétrolière, le brut n’est toutefois pas le seul combustible susceptible de produire de l’énergie. Un autre hydrocarbure, le gaz naturel, s’impose dans le monde entier comme la nouvelle ressource stratégique.
Qualifié « d’énergie de l’avenir », le gaz naturel est une source énergétique moins polluante que le brut. En outre, les réserves mondiales sont considérables, alors que celles de pétrole sont en voie d’épuisement. L’Algérie possède, par exemple, de grandes disponibilités, tant pour alimenter son marché intérieur que celui de ses voisins, à condition d’intensifier la coopération régionale. Le pays est le deuxième exportateur mondial de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et de gaz naturel liquéfié (GNL), après la Russie. Il prévoit d’exporter 85 milliards de m3 en 2010, au lieu de 62 milliards actuellement. Cette production s’appuie sur trois sites majeurs, notamment celui d’Aïn Salah, situé à 2 500 km dans le Sud algérien. Au niveau de l’écoulement, la capacité du réseau de gazoducs Algérie-Maroc-Espagne augmentera de près de 8 milliards de m3, pour passer à près de 12 milliards dès cette année. Deux nouveaux gazoducs sous-marins, l’un vers l’Espagne (Medgaz) et l’autre vers l’Italie (Galsi), vont renforcer ce dispositif.
Autre grand producteur de gaz, le Nigeria prévoit d’en faire profiter ses proches voisins. Le projet du « gazoduc de l’Afrique de l’Ouest », d’une longueur prévue de 617 km entre Lagos au Nigeria et Takoradi au Ghana, comportera des embranchements à Cotonou (Bénin), à Lomé (Togo) et à Tema (Ghana), avec un tracé essentiellement maritime. Le Ghana, consommateur de 84 % du gaz prochainement transporté, le Togo (9 %) et le Bénin (7 %) bénéficieront d’un approvisionnement régulier de combustible pour leur production électrique. En outre, leur facture énergétique sera ainsi réduite d’un tiers ! De surcroît, ce gazoduc est aussi un véritable projet d’intégration économique pour l’Afrique de l’Ouest, car il devrait, à plus long terme, être prolongé jusqu’au Sénégal. Si le Ghana, le Togo et le Bénin attendent avec impatience le gaz du Nigeria, c’est parce que les grands barrages d’Akosombo (Ghana) et de Nangbéto (Togo) ont souffert en 1998 d’une grave pénurie d’eau. La sécheresse, entraînant la chute de l’étiage de la Volta et du Mono, avait alors provoqué des délestages considérables de la production électrique.
Néamoins, l’énergie hydroélectrique a encore de beaux jours devant elle. Selon les experts, seulement 8 % du potentiel africain serait actuellement exploité ! C’est en Afrique centrale que se trouvent les possibilités de développement hydroélectrique les plus importantes. Le groupe sud-africain Eskom, septième producteur mondial d’électricité, l’a bien compris. Son ambition est de devenir le premier opérateur du continent : après avoir investi l’Afrique australe, il continue sa progression vers les pays du Centre et du Sud. Il prévoit notamment de porter la capacité de production d’électricité des centrales hydroélectriques d’Inga, situées sur le fleuve Congo à 300 km en aval de Kinshasa, de 1 800 à 3 500 mégawatts d’ici à 2010. Eskom et ses alliés ont surtout l’ambition de développer des interconnexions géantes à partir d’Inga, en créant de véritables « autoroutes de l’énergie », qui approvisionneront aussi bien le Nigeria que le Kenya, le Congo, le Gabon, l’Angola et l’Afrique du Sud.
Toutefois, les projets gigantesques ne sont pas la seule solution. L’Afrique a aussi besoin de sources d’énergie décentralisées, bon marché et renouvelables, adaptées à des communautés locales et rurales. Deux types d’énergies « alternatives » devraient connaître, pour ces raisons, un essor considérable : l’éolien et, surtout, le solaire. Ces deux sources sont adaptées aux pays du Sahel, qui généralement ne disposent ni d’hydrocarbures ni de ressources en devises abondantes… mais qui ne manquent pas de soleil (et de vents réguliers sur certains sites).
D’ici à la fin de la décennie, la donne énergétique mondiale devrait aussi être modifiée par la mise au point de « piles à combustibles » de forte puissance et de faible encombrement, bon marché et rechargeables à partir de l’hydrogène. Les groupes pétroliers mondiaux, comme l’américain ExxonMobil, y travaillent activement. De même, les constructeurs automobiles Ford et Toyota investissent des sommes considérables pour mettre au point la voiture du futur, fonctionnant avec de telles « piles ». L’Afrique pourrait en profiter et combler ainsi une partie de son retard énergétique.
Ces nouvelles sources d’énergie, mieux adaptées à la situation de chaque pays, devraient ainsi permettre de faire baisser les factures. Ce qui constitue une bonne nouvelle autant pour les consommateurs que pour les industriels. Le coût très élevé de l’énergie est l’un des principaux facteurs qui découragent les entreprises d’investir sur le continent. De ce côté-là, des progrès sont également possibles en améliorant la gestion des entreprises de production et de distribution d’électricité. Au cours des années 1990, décennie de l’ajustement structurel, le FMI et la Banque mondiale ont poussé les États à privatiser leurs entreprises nationales, en premier lieu les monopoles liés au secteur énergétique. Quelques années plus tard, le bilan est contrasté. Au Cameroun, le rachat de la Société nationale d’électricité (Sonel) par l’américain AES a été très critiqué : mal préparé aux réalités du terrain africain, le groupe américain est accusé de ne pas avoir investi suffisamment dans ce pays. Au Sénégal, où il est également implanté, il semble vouloir tirer les leçons de cet échec, même si son succès reste mitigé. En revanche, la mutation de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), rachetée en 1990 à hauteur de 51 % de son capital par le groupe français Saur (filiale de Bouygues), est un réel succès. Le groupe français a su faire payer les abonnés récalcitrants tout en investissant fortement dans les activités de production. Résultat : le nombre d’abonnés a doublé, et l’entreprise a pu embaucher (1 900 salariés aujourd’hui) tout en améliorant ses prestations de services.
Toutefois, la privatisation n’est pas forcément la panacée. Sa réussite dépend de la qualité de la gestion des opérateurs. Le secteur a besoin d’entreprises efficaces, bien administrées et qui engagent des stratégies de long terme. Qu’elles soient privées ou publiques. Parallèlement, les États ont un rôle à jouer pour préparer l’avenir. Dans cette démarche d’anticipation, l’interconnexion des réseaux électriques entre les pays d’une même sous-région est indispensable.

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