Chirac à Bush : « Nous n’avons pas la même approche morale »
La relation très tendue entre Français et Américains pendant les mois qui ont précédé l’intervention en Irak est évidemment l’un des thèmes abordés par Bob Woodward dans Plan of Attack. On y apprend notamment que la Maison Blanche a tenté d’utiliser l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington, le très influent prince Bandar, comme médiateur et intermédiaire avec Paris afin d’assouplir les positions de la France. À une date non spécifiée, située au tout début de 2003, Bandar est ainsi reçu par Jacques Chirac à l’Élysée. Selon le rapport fait par le Saoudien à George W. Bush et à Condoleezza Rice, le président français se serait plaint du manque de considération et de respect de son homologue américain à son égard, ainsi que de l’absence de coopération de la CIA avec la DGSE, alors même que ce dernier service fournit des informations régulières à la Centrale de Langley. Bref, on se méfierait de lui. Pour le reste, Bandar estime que Chirac peut encore changer de position – pour peu qu’on tienne compte de ses avis – et même soutenir la guerre. « En êtes-vous sûr ? » interroge Rice, sceptique. L’ambassadeur répond qu’il ne s’agit pas là de sa seule impression, mais qu’elle est aussi celle de deux amis du président français qu’il a eu à interroger dans le cadre de sa « mission » : le Premier ministre libanais Hariri et le président égyptien Moubarak.
Le 7 février 2003 au matin, George W. Bush lui-même tire une conclusion identique à l’issue d’une longue conversation téléphonique avec Jacques Chirac. « Je ne partage pas les raisons qui sont les vôtres à propos de cette guerre, lui a dit le président français, la guerre n’est pas inévitable. Il y a des alternatives. C’est une question de morale. Je suis contre les guerres, sauf quand elles sont inévitables et nécessaires. » Réponse de Bush : « Moi aussi, je déteste la guerre. Mais, selon moi, un Saddam Hussein, tel qu’il est, représente une menace pour le peuple américain. Cela explique sans doute que nos agendas ne soient pas les mêmes. Vous êtes un homme qui a de la consistance, un homme compatissant. Notre relation est importante à mes yeux. Je tiens à vous remercier pour les renseignements que nous procurent vos services secrets. »
Après avoir exprimé l’espoir qu’un départ en exil de Saddam et de sa famille, ainsi que l’ont proposé les Saoudiens, puisse permettre de faire l’économie d’un affrontement armé, Jacques Chirac se montre conciliant : « Si la guerre a lieu malgré tout, nous travaillerons ensemble à la reconstruction de l’Irak, tous nous y contribuerons. » Puis il ajoute : « Je comprends parfaitement que votre position soit différente. Il y a deux approches morales différentes du monde, et je respecte la vôtre. » En raccrochant le téléphone ce jour-là, George W. Bush est optimiste : la France ne bloquera pas une nouvelle résolution de l’ONU en faveur de la guerre. C’est aussi ce que pense Colin Powell.
Trois jours plus tard, le 10 février, alors que Chirac, Vladimir Poutine et le chancelier Schröder s’apprêtent à publier une déclaration commune très hostile à la guerre, Condoleezza Rice téléphone au prince Bandar. « Votre ami de l’Élysée, lui dit-elle, presque triomphante, a pris une direction différente ; il vient d’inviter Schröder et Poutine à le rencontrer. » Désormais, Bush est persuadé qu’il n’y a plus rien à attendre de la France. En marge du sommet des Açores, le 16 mars, il confiera au Premier ministre britannique Tony Blair : « J’aimerais bien balancer un veto à l’ONU sur quelque chose qui tienne à coeur aux Français. Vraiment, ça me ferait plaisir. »
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