Au chevet du Niger

Le troisième plus grand fleuve du continent, qui fait vivre plus de 100 millions de personnes, est menacé d’assèchement. Sept des neuf chefs d’État et de gouvernement des pays concernés se sont décidés à agir contre une mort annoncée .

Publié le 4 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

A l’exception du Guinéen Lansana Conté, malade, et de l’Ivoirien Laurent Gbagbo, en butte à des difficultés au plan intérieur, tous les dirigeants des États membres de l’Autorité du bassin du Niger (ABN, voir encadré) ont fait le déplacement. Le Malien Amadou Toumani Touré, son homologue et voisin nigérien Mamadou Tandja, tout comme le Camerounais Paul Biya, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Béninois Mathieu Kérékou, le Tchadien Idriss Déby et le Nigérian Olusegun Obasanjo, seul anglophone du groupe. En tout, sept chefs d’État africains, auxquels il convient d’ajouter le président français Jacques Chirac, le Premier ministre guinéen François Lonsény Fall et le ministre d’État ivoirien Théodore Meg El. Ils se sont retrouvés fin avril à Paris pour discuter pendant deux jours (une journée, pour certains, pressés de se rendre à l’investiture de Thabo Mbeki à Pretoria) d’un sujet vital pour l’Afrique, mais qui n’a – hélas ! – pas mobilisé au-delà des médias spécialisés : le Niger, troisième plus grand fleuve du continent et cours d’eau capricieux, mais essentiel à la survie de neuf pays d’Afrique occidentale et centrale et de quelque 110 millions de riverains.
« L’eau ! Tu n’es pas nécessaire à la vie, tu es la vie ! Tu es la plus grande richesse qui soit au monde et tu es aussi la plus délicate. » Avec force citations d’Antoine de Saint-Exupéry, Jacques Chirac, initiateur de ce minisommet Afrique-France pour le moins atypique, a, d’emblée, posé les contours du débat : « L’accès à l’eau reste encore, pour de nombreuses populations de l’Afrique subsaharienne, un défi journalier. Accès à une eau en quantité suffisante pour l’agriculture, à une eau de qualité, nécessaire pour la santé, à une eau aisément disponible, évitant aux enfants des corvées qui les privent d’école. […] Dans le monde, près de un milliard et demi de personnes sont privées d’eau potable, et, si rien n’est fait, leur nombre sera multiplié par deux dans les vingt ans à venir. »
Le Niger, qui prend sa source au Fouta Djallon, en Guinée, et termine sa course, par le biais de l’un de ses nombreux affluents, au Cameroun, pose, comme d’autres fleuves, une série d’enjeux. D’abord, politiques et géopolitiques, à cause, justement, de sa dispersion :
« L’eau, inégalement répartie et toujours convoitée, génère des antagonismes et des conflits », a poursuivi le président français, pour qui « les risques de guerre pour l’eau paraissent avoir été surmontés en Afrique, grâce à des instances de concertation telles que l’Autorité du bassin du Niger et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal ». Enjeux économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux ensuite : essentielle pour le développement des cultures vivrières, l’eau est également, de façon directe et indirecte, la première source de mortalité et de « morbidité » du continent – la plupart des fleuves et des lacs sont pollués et la biodiversité diminue de façon inquiétante dans les eaux douces.
Par son étendue (1 500 000 km2), par les ressources en eau qu’il draine, le bassin du Niger offre un potentiel considérable pour un développement des activités agricoles et pastorales. Alors que les aménagements actuels portent seulement sur 300 000 malheureux hectares, les superficies utiles pourraient être doublées et même portées à 2,5 millions d’hectares, à condition de reboiser les berges, de renforcer les cultures en terrasses le long du fleuve et de ses affluents. Dans ces conditions, on peut s’étonner du fait que l’objet de ces brèves retrouvailles franco-africaines ait été moins de réunir des fonds que de dégager (fallait-il, pour cela, venir à Paris ?) une « vision partagée » pour le développement du bassin du Niger. La « Déclaration de Paris », paraphée par les participants, énumère en tout cas quelques principes pour y parvenir : coopération entre États membres de l’ABN, partage des ressources en eau entre « ses divers usages », leur gestion et leur mise en valeur en tenant compte des « objectifs de développement durable », consultation préalable avant tout projet ou programme devant affecter de « manière significative » le régime des eaux, recours à la conciliation et à la médiation pour résoudre d’éventuels différends. Bref, rien de vraiment nouveau !
« On aurait pu tout aussi bien rédiger ce catalogue de bonnes intentions à Niamey, Abuja ou Yaoundé », commente un responsable africain. Il reste qu’au-delà du protocole, des petits fours, des flonflons et du cadre enchanteur des palaces parisiens, les dirigeants africains et, surtout, leurs conseillers techniques, ont profité de l’opportunité pour entamer ou poursuivre des échanges avec leurs traditionnels « partenaires au développement », l’Union européenne en tête. Et, comme toujours en pareille occasion, les chefs d’État ont eu des discussions bilatérales, qui ont porté sur la crise ivoirienne et d’autres sujets moins consensuels que le fleuve Niger. Pour cela, le protocole (ou le hasard) avait parfois bien fait les choses. Le Camerounais Biya et son pair nigérian Obasanjo, tous deux logés à l’hôtel Meurice, se sont entretenus, dit-on, de leur différend territorial sur la presqu’île de Bakassi, tranché en faveur du Cameroun par la Cour international de justice de La Haye, mais dont la résolution requiert un engagement politique plus ferme du Nigeria. Logé au Bristol, le Tchadien Idriss Déby a, pour sa part, rendu une visite remarquée à son « grand frère » Biya, le 27 avril, pour évoquer, entre autres, l’épineux dossier centrafricain et la coopération entre les deux pays en matière de pétrole.
Jacques Chirac, lui, en a profité pour répondre au président sénégalais Abdoulaye Wade, lequel proposait récemment d’organiser une nouvelle conférence à Yamoussoukro, capitale de la Côte d’Ivoire, pour « réexaminer » et « rendre applicable » l’Accord de Marcoussis, signé en janvier 2003 par les protagonistes de la crise ivoirienne. « Réexaminer Marcoussis risquerait d’être une erreur dangereuse », a-t-il indiqué en faisant valoir que l’accord avait été adopté à l’unanimité par les parties ivoiriennes, puis entériné par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

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