Trois bonnes nouvelles

Le Grand Israël n’est plus, le camp de la paix a ressuscité, et Mahmoud Abbas s’affirme plus que jamais comme un homme d’État. Les élections israéliennes du 28 mars ont fait renaître l’espoir.

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 6 minutes.

Une fois n’est pas coutume, de bonnes nouvelles nous viennent d’Israël. Elles pourraient permettre de parler de nouveau de paix sans verser dans les naïvetés de l’irénisme. La première est la fin du Grand Israël avec l’assentiment populaire. L’enchaînement des événements – évacuation de Gaza, éclatement du Likoud et création de Kadima puis disparition politique d’Ariel Sharon – a transformé les élections anticipées du 28 mars en un référendum sur le Grand Israël. Ehoud Olmert, le successeur de Sharon à la tête du gouvernement et du nouveau parti centriste, en avait fait l’essentiel de son programme. Dans un article publié la veille du scrutin, il écrivait : « Nous n’allons pas pouvoir réaliser tous nos rêves. Le temps est venu de faire un autre pas pour façonner notre identité et garantir la pérennité d’Israël en tant qu’État juif avec une nette majorité juive. » Il est aussi clair sur les moyens d’y parvenir : annexer les grands blocs d’implantations en Cisjordanie et démanteler les colonies isolées de l’autre côté du « Mur ».
Cette stratégie fait partie de l’héritage de Sharon. Les lois d’airain de la démographie avaient contraint le « bulldozer » à renoncer au Grand Israël. Son successeur, dès le départ, partageait les mêmes convictions. « Le moment le plus douloureux de ma vie, rappelait-il récemment, a été le jour où j’ai découvert que la comptabilité était plus forte que l’histoire et la géographie d’Israël. J’ai réalisé avec effarement que si nous nous entêtions à tout garder, en 2020, il y aurait 60 % d’Arabes et 40 % de Juifs. »
À défaut du Grand Israël, le plus grand Israël possible. Telle était la stratégie de rechange pour Sharon et Olmert. Elle avait été « négociée » avec les États-Unis, qui ont solennellement donné leur bénédiction. Le retrait de Gaza en était la première étape. Israël s’en retirait pour mieux conserver ce qui l’intéressait en Judée Samarie (Cisjordanie).
En proclamant son intention de fixer « définitivement », s’il était élu Premier ministre, les « frontières » d’Israël, Olmert donnait au scrutin un enjeu historique. Et, bien entendu, l’unilatéralisme, qui excluait toute négociation avec les Palestiniens, demeurait le corollaire de cette politique. En d’autres termes, les Israéliens étaient invités à se prononcer, le 28 mars, non sur la paix avec les Palestiniens, qui n’est plus à l’ordre du jour, mais sur la « séparation » présentée comme un moindre mal. Comment ont-ils répondu ?
D’abord, sans se bousculer : la participation de 63,2 %, respectable par rapport aux autres démocraties, mais la plus faible de l’histoire du pays. Ensuite, d’une manière positive, mais sensiblement nuancée. Un oui assorti de conditions, de restrictions qui méritent examen. Première constatation : l’éclatement des suffrages provoqués classiquement par le système proportionnel et accentué, cette fois, par des facteurs politiques. La victoire étriquée de Kadima (28 sièges sur les 120 que compte la Knesset, au lieu de la quarantaine escomptée) réduit la marge de manuvre d’Ehoud Olmert, qui devra conclure des alliances contraignantes. L’arrivée du Parti travailliste en deuxième position avec 20 sièges est tout aussi importante. Mais c’est l’effondrement du Likoud (11 sièges) qui constitue peut-être l’événement majeur. Benyamin Netanyahou avait pourtant utilisé les recettes éprouvées, instrumentalisant la victoire du Hamas, mais ça ne marche plus. À 57 ans, il a désormais son avenir derrière lui, et son effacement probable illustre la fin du Grand Israël.
La deuxième bonne nouvelle est l’émergence du « camp de la paix » autour d’Amir Peretz. L’affaissement de la gauche avait été provoqué par l’échec des négociations de Camp David en 2000 et par la seconde Intifada qui a suivi, laissant la voie libre à Sharon et au sharonisme. En conquérant le Parti travailliste en novembre 2005, ce Marocain, qui visiblement ne regrette pas ses origines, détonne dans l’establishment ashkénaze ; on lui prédisait une carrière éphémère. Et voilà qu’il occupe une place centrale sur l’échiquier politique. Ce syndicaliste a provoqué une « révolution », comme l’écrit Haaretz, en plaçant la question sociale au cur des élections et en dénonçant les effets de l’ultralibéralisme cher à Netanyahou, ancien ministre des Finances, qui a favorisé les classes aisées et laissé sur le carreau les déshérités. Résultat : 1,5 million d’Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Parallèlement, Peretz, homme de paix depuis toujours, continue à plaider pour la négociation avec l’Autorité palestinienne, établissant une relation stratégique entre justice sociale et réconciliation avec les Arabes (lire pages suivantes).
Avec la dispersion des suffrages, Olmert a, semble-t-il, le choix entre plusieurs combinaisons. En fait, l’écroulement du Likoud et de la droite ultranationaliste l’oblige à s’appuyer sur les travaillistes et la gauche, quitte à rechercher un soutien d’appoint auprès des autres : les partis religieux, arabes, russe, sans oublier les « retraités ». Du coup, l’unilatéralisme prôné par Kadima devrait recevoir quelque infléchissement. Ce sera, si l’on peut dire, l’unilatéralisme tempéré par la négociation
Le premier discours du chef du gouvernement, après sa victoire, va dans ce sens : « Je suis prêt à renoncer au rêve du Grand Israël. Nous sommes prêts à évacuer des Juifs qui vivent dans des implantations pour permettre aux Palestiniens de réaliser leur rêve d’avoir un État. Si les Palestiniens acceptent d’agir dans ce sens, nous nous assoirons avec eux à la table des négociations afin de créer une nouvelle réalité dans la région. S’ils ne le font pas, nous prendrons notre destin en mains. » En clair : oui à la négociation, et l’unilatéralisme comme épée de Damoclès.
La troisième bonne nouvelle, qui a bifurqué par Ramallah, nous vient de Mahmoud Abbas. Le président de l’Autorité palestinienne a pris toute la mesure de la nouvelle donne après la maladie de Sharon et s’affirme comme un homme d’État – et de paix. Ni la victoire du Hamas, ni l’unilatéralisme ou les provocations, comme celle de Jéricho, ne le font dévier de son chemin. Il s’est invité aux élections israéliennes en donnant une longue interview à Haaretz. Morceaux choisis.
« J’étudie les Israéliens et le mouvement sioniste depuis trente-six ans et je pense que je comprends votre mentalité et que je sais ce que vous attendez de nous. [] Vous allez avoir des élections très importantes. Nous vivons une période historique où nous devons décider si nous allons vers la paix et un meilleur avenir pour nos enfants. Je peux vous assurer que vous avez un partenaire pour la paix. Dès après les élections, vous nous trouverez prêts à négocier sans aucun préalable. [] Si je ne suis pas un partenaire, demandez-vous qui le sera jamais. » Le Hamas ? « Je préfère l’amener à la modération plutôt que de le pousser vers les extrêmes. »
L’unilatéralisme ? « Le plan Olmert vous apportera dix ans de trêve et un État avec des frontières provisoires. Mais pas la paix. Un tel plan laisse le problème ouvert et ne le résout pas. Nous savons peut-être ce qui arrivera à terme si le règlement du conflit est différé, mais nous ne savons pas ce que feront les futures générations. » Abbas n’élude aucun sujet : ni les réfugiés ni l’échange de territoires, et ne se fait aucune illusion : « Vous êtes la partie forte, et la fin du conflit est entre vos mains. »
En conclusion : « Nous devons aller à la table des négociations avec bonne foi et le désir authentique de régler le conflit. Je dois me mettre à votre place et vous devez vous mettre à la mienne. C’est lorsque chacun comprend les droits de l’autre qu’on a une chance de trouver une solution. »
Alors qu’on célèbre le cinquantenaire de l’indépendance de la Tunisie et du Maroc (lire pp. 100-101), le président palestinien fait penser à ces patriotes maghrébins qui ont su séduire et convaincre la classe politique française pour obtenir la libération de leurs pays. Donc, Mahmoud Abbas dans la peau de Habib Bourguiba ou d’Abderrahim Bouabid Reste à savoir s’il y a un Pierre Mendès France et un Edgar Faure en Israël. On se prend à espérer qu’Amir Peretz réponde oui. Plus qu’une bonne nouvelle, ce serait un miracle.

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