Roger Bismuth : « Oui, il y a une exception tunisienne »

Le président de la communauté juive de Tunisie répond aux questions de Guysen TV, l’agence de presse israélienne francophone.

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

A l’occasion de la réunion, au mois de janvier à Jérusalem, du Conseil des parlementaires juifs, Guysen TV, l’agence de presse francophone d’Israël, a rencontré Roger Bismuth, le président de la communauté juive de Tunisie, par ailleurs membre de la Chambre des conseillers. Dans un entretien accordé à Ugo Rankl, celui-ci décrit ce qu’il appelle « l’exception tunisienne » dans le monde arabe et y évoque la personnalité du président Ben Ali, l’attentat de Djerba et les moyens mis en uvre pour juguler l’islamisme.

Guysen TV : Je vais vous poser ma question brutalement : quel avantage avons-nous à aider les Arabes ?
Roger Bismuth : Cela leur donnera de nous une image positive. Je ne vous apprends rien en vous disant que l’image négative des juifs ne date pas des Arabes. Elle date de deux mille ans, des chrétiens. Il faut que nous parvenions à modifier cette image. Ce sera moins difficile en Tunisie, parce que nous avons toujours développé d’excellentes relations avec ce pays, en dépit de quelques petits incidents survenus à la suite d’événements moyen-orientaux.
L’attentat de Djerba était-il un événement exogène ou autochtone ?
Complètement exogène. Je pense qu’un groupe, je ne peux pas dire s’il s’agit d’al-Qaïda ou d’un groupe similaire, a voulu porter un coup à la Tunisie, qui a toujours eu une image de pays modéré, ouvert. Du reste, l’attentat de Djerba a été très néfaste pour le tourisme. La synagogue a été très peu touchée, mais cela a porté un coup à la Tunisie. Les Allemands, par exemple, ont boycotté le pays.
Les relations entre juifs et Arabes en Tunisie sont-elles vraiment aussi harmonieuses que vous l’espériez ?
Absolument. J’ai commencé à travailler en 1940, cela fait donc soixante-six ans. De toute ma vie, je n’ai jamais été confronté à un incident.
Pourquoi la Tunisie est-elle le pays le plus attaqué en France après Israël ?
C’est la discussion que j’ai eue avec le précédent ambassadeur de France, une semaine avant son départ. Il m’a posé une question sur l’antisémitisme. Je lui ai répondu que l’antisémitisme en Tunisie avait disparu avec l’indépendance. C’était un peu exagéré, mais la presse française, pour différentes raisons…
Que vous allez m’expliquer…
Lorsque l’ambassadeur m’a demandé : « Que pensez-vous de la démocratie en Tunisie ? », je lui ai répondu que je pensais simplement une chose : demandez à vos médias de nous lâcher les baskets, parce que vraiment, vous nous pourrissez la vie. Malheureusement, la presse tunisienne est très liée à la culture française et elle reprend beaucoup ce que disent les Français, lesquels disent parfois des choses qu’ils ne devraient pas dire. Même si nous avons quelques imperfections, ce n’est pas à eux de les dénoncer.
Si la Tunisie est attaquée par les médias français, n’est-ce pas parce qu’elle va nouer des relations avec Israël ?
Non, pas du tout. La France nous attaque pour de nombreuses raisons. Pas pour une seule.
À quand l’établissement de relations diplomatiques entre la Tunisie et Israël ?
Ce n’est pas l’existence d’Israël qui pose problème, ce sont les relations et les réactions interarabes. Les gens sont gênés de ce que va dire le voisin. La géographie est ce qu’elle est, nous avons les voisins que nous avons. Nous devons vivre avec.
Israël et la Tunisie peuvent-ils se rencontrer sur le terrain de la modernité ?
Je pense que nous partageons beaucoup d’idéaux communs, avec un peu plus de réussite d’un côté ou de l’autre. Quand nous avons ouvert le bureau israélien à Tunis [de 1996 à 2000], dans des conditions difficiles, j’avais plusieurs amis tunisiens qui venaient régulièrement aux réceptions que donnait Shalom Cohen, qui était à l’époque à la tête du bureau et est aujourd’hui ambassadeur au Caire. Nous avons la même volonté de développement. Je ne sais pas si vous êtes allé récemment à Tunis. Regardez la ville. Depuis cinq ou dix ans, les infrastructures sont absolument méconnaissables.
Vous êtes membre d’une nouvelle Chambre législative…
Elle s’appelle la Chambre des conseillers. Ses membres sont élus par les grands électeurs, membres du Parlement et maires des grandes villes. La Chambre des députés est, elle, élue directement par la population.
La fonction des conseillers est-elle de faire passer des idées et des messages dans les hautes sphères du pouvoir, de défendre les dossiers ?
Pas tout à fait. Cela fonctionne vraiment comme le Sénat français. Les projets de loi passent devant la Chambre des députés, sont examinés, commentés. Ils sont ensuite transmis au Sénat. Nous examinons, discutons, émettons des critiques. Ça repart ensuite… Il nous arrive aussi de recevoir directement certains projets de la présidence, avant les députés.
Comment définiriez-vous le président Ben Ali ?
C’est un homme que je respecte énormément parce qu’il a vraiment fait de la Tunisie un pays très bien. Il a surtout, de mon point de vue, une qualité rare, c’est qu’en arrivant au pouvoir il n’a pas cherché à déprécier ce qui a été fait avant lui. Il l’a repris, puis l’a amélioré, développé. Et alors, de très grande manière. Par exemple, il a amplifié le statut personnel de la femme, instauré dès l’indépendance. Aujourd’hui, nous avons des femmes ministres, des femmes ambassadeurs… Le ministre des Travaux publics est une femme, qui est par ailleurs ingénieure. Nous avons une société très développée. Je suis sidéré chaque fois que je vois le curriculum vitae des ministres, des gouverneurs et de ceux qui travaillent au gouvernement. Ils ont tous fait des études de haut niveau.
Peut-on vraiment parler d’exception tunisienne dans le monde arabe ?
Oui, je n’hésite pas à parler d’exception tunisienne. C’est une société très ouverte au progrès, à la modernisation. Ici, on fait beaucoup pour les enfants, les femmes, les familles… Et puis, les gens sont industrieux, commerçants. On a beaucoup développé le tourisme. Nous recevons 6 millions de visiteurs par an et aimerions arriver à 10 millions. Ce n’est peut-être pas pour demain ou après-demain, mais ça viendra.

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