Pape Diouf

Président de l’Olympique de Marseille

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Depuis le mois de janvier 2005, le Sénégalais Pape Diouf, 55 ans, dirige l’Olympique de Marseille, le club de football le plus titré de France. Il est le seul Noir à occuper d’aussi hautes fonctions au sein d’une équipe de l’Hexagone. Ancien journaliste sportif et agent de joueurs africains – il a géré, notamment, les carrières de Joseph-Antoine Bell et de Basile Boli avant de s’occuper de celles de Didier Drogba et de William Gallas -, Pape Diouf arpente les stades européens depuis plus de trente-cinq ans.

Jeune Afrique : Avez-vous connu, durant votre carrière de journaliste sportif, des débordements racistes au stade-vélodrome de Marseille ?
Pape Diouf : Je n’ai pas souvenir d’actes de racisme délibérés. Dans les années 1960, le Camerounais Joseph Yegba Maya avait été la cible d’injures racistes à la suite de mauvaises performances. Plus tard, en 1990, le public a jeté des peaux de banane au gardien de Bordeaux, Joseph-Antoine Bell. Jo était le chouchou des supporteurs phocéens, mais il avait quitté l’Olympique de Marseille et rejoint le rival bordelais. Des manifestations de racisme telles qu’on les voit aujourd’hui dans certains stades d’Europe ne peuvent pas se produire à Marseille. La ville, de par son histoire, a été un carrefour. Elle est cosmopolite et multiethnique. L’OM a toujours fait appel à des joueurs venus de toutes les régions d’Afrique. Au sein de nos huit associations de supporteurs, il existe un tel brassage de races qu’il est difficile d’envisager des actes délibérés de racisme.
L’Espagne et l’Italie ne sont pas épargnées par le racisme dans les stades. Peut-on expliquer le phénomène par leur « modeste » passé colonial ?
Cela pourrait être l’explication. Mais ces deux pays connaissent depuis peu une arrivée importante d’émigrants d’Afrique subsaharienne. Le phénomène altère quelque peu le tissu social et provoque une réaction de rejet chez des franges de la population qui manifestent leur mécontentement dans les stades. Et puis, les supporteurs ne sont pas regardants sur la morale : les injures et les cris racistes leur servent à déstabiliser l’adversaire. N’oublions pas enfin qu’en Italie l’extrême droite fasciste a infiltré les rangs des tifosi. Les stades de foot sont le miroir des sociétés occidentales.
Les foules d’Espagne et d’Italie changeraient-elles d’attitude si des Noirs étaient intégrés dans leurs sélections nationales ?
Cela me paraît fondamental. L’Espagne et l’Italie sont deux pays latins et deux grandes nations de football. Leurs joueurs émigrent rarement. Les clubs protègent l’identité nationale, et, pour les supporteurs de base, tout élément non espagnol ou non italien est un intrus.
On a beaucoup parlé des malheurs de Samuel Eto’o lors du match Saragosse-Barcelone. Les sanctions décidées le 16 mars par la Fifa après cet incident pourront-elles être appliquées avec effet immédiat ?
Je retiens la volonté de la Fifa de combattre le fléau. L’application dépend de la fermeté des fédérations. Les complications juridiques et pratiques ne vont pas manquer. Ne va-t-on pas refiler le bébé à des dirigeants de club qui n’ont pas toujours les moyens de combattre les dérives racistes ?
Supposez qu’un jour, au stade-vélodrome, se produisent des manifestations racistes. Le président de l’OM trouvera-t-il normal que son club soit sportivement sanctionné à cause de débordements qu’il ne contrôle pas ?
C’est là toute la difficulté. Certes, le club aura du mal à nier sa responsabilité morale, mais pourra-t-on tout lui imputer aux plans civil et juridique ? Ne risque-t-on pas de voir des supporteurs mécontents de leur équipe commettre des actes répréhensibles pour la faire punir ? Que les clubs soient sur le pont, admettons, mais qu’ils reçoivent alors le plein soutien des pouvoirs publics. À l’exemple de l’Angleterre, où la surveillance électronique dans les stades a permis de localiser les foyers de tension et de réagir avec efficacité contre les fauteurs de troubles.
Les règlements sportifs peuvent-ils prévaloir sur les lois civiles ?
Sans une alliance objective autorité sportive-?pouvoirs publics, la lutte risque d’être vaine. La Fifa a pris l’initiative d’un combat qui ne pourra jamais être gagné si les lois antiracistes (quand elles existent) ne sont pas aussi appliquées dans les stades. La balle est dans le camp du pouvoir politique. Il faut revenir à la base : l’éducation, pas uniquement dans le sport, mais dans la société. Tout part de l’école.
Les joueurs sont les premiers concernés. Par le jeu, ne peuvent-ils pas faire évoluer les mentalités ?
Déjà, il faut bannir tout comportement raciste sur la pelouse. Certains joueurs, quand ils sont en difficulté face à un adversaire noir, lui lancent des propos racistes. Sur la pelouse, l’esprit du jeu, la joie de jouer et le respect de l’adversaire doivent prévaloir. Quand le foot devient une guerre qu’il faut gagner à tout prix, alors tous les débordements sont permis. Y compris les manifestations racistes.

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