Les recettes des opérateurs

Ils sont aux petits soins avec leurs clients, créent des emplois et affichent d’excellentes performances financières. Quel est leur secret ?

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique fait rêver les opérateurs de téléphonie mobile. Dans tous les pays, ou presque, la croissance du nombre d’abonnés a été fulgurante. En Mauritanie, ils étaient 15 000 en l’an 2000 et 524 000 en 2004, soit 35 fois plus nombreux ! Les deux opérateurs du Sénégal ont conquis 640 000 nouveaux clients en 2005, près de deux fois plus qu’en 2004. À la fin de l’année dernière, le pays comptait plus de 1,8 million d’abonnés au portable, environ 18 % de la population, un record dans la sous-région. Et l’on pourrait multiplier les exemples. En conséquence, les revenus des opérateurs connaissent également une rapide ascension. L’égyptien Orascom a quasiment doublé son chiffre d’affaires, passé de 945 millions à 1,8 milliard d’euros entre 2003 et 2004. Ses résultats 2005 ne sont pas encore connus. Le sud-africain MTN a, quant à lui, multiplié ses ventes par plus de trois entre 2001 et 2005. Des bonds qui font rêver les opérateurs en Occident Et qui surprennent le profane, les marchés africains étant plutôt connus pour d’autres caractéristiques : faible pouvoir d’achat, risques financiers, investissements gigantesques, rentabilité médiocre. Les opérateurs panafricains, Celtel et MTN en tête, ont tordu le cou à ces idées reçues. Les européens comme Orange, Vodafone et France Télécom ont découvert qu’en matière de téléphonie mobile les règles du jeu africain sont intéressantes. C’est peu dire.
Pourquoi un tel succès ? Si l’on revient dix ans en arrière, le changement est saisissant. Aujourd’hui, au Cameroun, au Bénin ou au Sénégal, pas un chauffeur de taxi ni un marchand qui n’ait son, voire ses téléphones portables. Le mobile est la norme. Hier, même les appareils fixes étaient un privilège. Partis de zéro, ou presque, et proposant un produit dont l’utilité est évidente quand le seul téléphone disponible est dans un centre d’appels à plusieurs kilomètres, les opérateurs ne pouvaient que réaliser des progressions vertigineuses. Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’en valeur absolue, les activités de téléphonie mobile en Afrique se révèlent tout à fait rentables. En 2005, MTN pouvait se targuer d’offrir à ses actionnaires un taux de retour sur investissement de 35,1 %, contre 22 % en 2001.
Une des clés du succès des opérateurs, c’est leur taille. Celtel est présent dans quatorze pays, de la Sierra Leone au Soudan en passant par le Niger. On retrouve le sud-africain Vodacom en Tanzanie, au Lesotho, au Mozambique et en République démocratique du Congo (RDC). Sur le continent, Orascom ne s’est pas cantonné à l’Égypte ; il est actif en Tunisie et en Algérie, où il opère désormais le second réseau national (téléphone fixe et Internet), en partenariat avec Telecom Egypt. De telles dimensions permettent à ces sociétés d’inviter leurs fournisseurs, les Ericsson, Siemens ou Alcatel, à pratiquer des « tarifs de groupe » Ce rapport de force n’est toutefois pas éternel : « Les équipementiers sont capables de se regrouper plus rapidement que les opérateurs », nuance Serge Thiémélé, associé au bureau d’Abidjan du cabinet Ernst & Young.
En aval, le « panafricanisme » permet de mettre en application une autre règle de base de la performance : les économies d’échelle. « Un certain nombre d’opérateurs font des campagnes de publicité identiques », poursuit Serge Thiémélé. Une communication unique quel que soit le pays : pour réduire les coûts, l’astuce est imparable. Au passage, c’est aussi le moyen de construire une marque puissante et transnationale. C’est le choix fait par Celtel, dont l’identité visuelle est la même au Congo-Brazzaville, au Kenya et partout ailleurs. À l’inverse, Orascom, partiellement propriétaire de Tunisiana, le second opérateur tunisien après Tunisie Telecom, et de Djezzy, en Algérie, est contraint de réaliser deux campagnes bien différentes. En revanche, les produits lancés par Tunisiana sont toujours testés en amont par Orascom. Tasshil, par exemple, un service qui permet au consommateur d’acheter une ligne avec des facilités de paiement, a été lancé en Égypte avant d’être mis en pratique en Tunisie, en 2003. Les filiales profitent des bonnes expériences de la maison mère. Il arrive également qu’elles en subissent les mauvaises idées… Pourquoi ne pas vendre deux appareils pour le prix d’un ? s’était demandé un opérateur dont on taira le nom. A priori séduisante, l’opération fut un flop total. Et un bon test, qui n’a pas été renouvelé sur les autres marchés.
Paradoxalement, la faiblesse du pouvoir d’achat est un atout dont les opérateurs savent tirer parti. L’obstacle de l’achat de l’appareil, dont le premier prix est resté longtemps prohibitif, est désormais en voie d’être contourné par l’avènement d’appareils dont le prix ne dépasse pas 30 dollars. Le problème du forfait d’abonnement au service téléphonique – rares sont les Africains qui peuvent le financer – est résolu grâce à une trouvaille simple et ingénieuse : le prépayé. D’après Celtel, 95 % de ses clients ont choisi cette formule. L’utilisateur paie avant d’engager la dépense, le fournisseur empoche la monnaie. Comme si le consommateur faisait crédit à l’opérateur. « Il dispose ainsi d’un formidable fonds de roulement », explique Serge Thiémélé. Cela fonctionne comme une avance, qui permet d’avoir de l’argent dans les caisses sans passer par une banque pour financer en partie les équipements, dont le coût est trop exorbitant pour être uniquement supporté par des investisseurs externes.
Il faut bien ça aux acteurs privés pour contrer les mastodontes que sont les opérateurs historiques. Disposant de capitaux faramineux et présents depuis toujours dans la tête du consommateur, ils sont indétrônables. Ou presque : le monopole qu’ils ont tenu pendant des années ne les a pas bien préparés à l’arrivée de la concurrence. Lors de la libéralisation du secteur, beaucoup d’entre eux ont couru le risque de se faire doubler par les nouveaux venus. Ceux-ci, élevés à l’école de l’entreprise privée et de la performance, contrairement à leurs concurrents, ont parfois les griffes acérées. Internet mobile lancé en mars dernier, MMS en novembre 2005 en matière de technologie, Tunisiana double son unique concurrent, Tunisie Telecom. « Nous jouons sur les services à valeur ajoutée, confie un de ses cadres. Grâce à quoi des abonnés de l’opérateur historique commencent à nous acheter une ligne pour tester nos nouveautés. » Dopés par la concurrence et dotés d’une culture d’entreprise, les opérateurs privés essaient ainsi de faire changer les habitudes des consommateurs. « L’activité mobile en Afrique a été développée dans un contexte de concurrence, qui a rendu les opérateurs privés très performants », conclut Serge Thiémélé. La conquête n’est pas terminée, un Africain sur dix seulement étant équipé d’un mobile.

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