L’espoir kényan déçu

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Dans l’euphorie de sa victoire historique à la présidentielle de décembre 2002, Mwai Kibaki avait promis que « l’ère du laisser-aller disparaîtrait à jamais ». Son arrivée au pouvoir devait être une « seconde libération du Kenya ». Mais, début mars à Nairobi, le raid policier contre un groupe de presse de premier plan est venu confirmer aux yeux des Kényans que les trois premières années de sa présidence n’ont pas changé grand-chose. La descente des forces de l’ordre, qui a contraint une chaîne de télévision à cesser ses retransmissions pendant douze heures, a déclenché une vague de protestations. Les mesures autocratiques utilisées pour faire taire les voix discordantes pendant les vingt-quatre années de pouvoir de Daniel arap Moi seraient-elles toujours à l’ordre du jour ?
Il y a trois ans, tous les ingrédients semblaient réunis pour que le Kenya devienne un modèle de développement et de démocratie : bienveillance générale à l’égard du nouveau gouvernement, presse libre, naissance d’institutions de défense des droits de l’homme, appétit de la population pour le changement.

Le bilan des trois années au pouvoir de Kibaki est bien pâle au regard des espoirs que son élection avait suscités. L’expérience kényane montre qu’une transition politique ne garantit pas le respect de la démocratie, même si des « réformateurs » sont portés au pouvoir. Elle révèle aussi l’ampleur de la tâche que représente la réforme des institutions existantes, quand les hommes politiques, qui arrivent aux affaires ont, dans bien des cas, pris part aux systèmes fondés sur la corruption et le népotisme, qu’ils se sont pourtant engagés à éradiquer. « Tout ce que nous avons eu après 2002, c’est du Moi sans Moi », affirme Maina Kiai, la présidente de la Commission nationale kényane des droits de l’homme. « Les dirigeants actuels n’ont qu’un seul but : protéger un système favorable aux élites, aux dépens du citoyen lambda. »
Les attaques policières contre le groupe de presse Standard arrivent au moment où le gouvernement est sous le feu des critiques. Depuis plusieurs semaines, les scandales se suivent et ont déjà provoqué la démission de trois ministres. Le gouverneur de la Banque centrale du Kenya est, par ailleurs, accusé d’avoir abusé de ses prérogatives. Il est soupçonné d’avoir accordé à son fils et à trois de ses associés de très lucratifs honoraires de conseiller.
Selon les experts, la corruption généralisée qui sévit au Kenya a tendance à être plus subtile que dans des pays comme le Nigeria, assis sur un gigantesque baril de pétrole, ou la RD Congo, riche en pierres précieuses. Nairobi est dépourvu de ressources naturelles. Les arnaques passent donc souvent par le commerce, ce qui suppose la collaboration entre hommes d’affaires et politiciens. Elles visent, en outre, des contrats signés dans secteurs stratégiques, ce qui permet au pouvoir d’invoquer le secret défense comme bouclier.
Les autorités ont beau avoir remis au travail la Commission de lutte contre la corruption (que dirigeait John Githongo jusqu’à son départ en exil à Londres en février 2005), aucune condamnation contre une personnalité d’envergure n’a été prononcée. De leur côté, les avocats estiment que le pouvoir judiciaire n’est pas suffisamment indépendant, et les ONG se demandent s’il existe véritablement la volonté politique d’engager des poursuites au plus haut niveau. Déçus, les Kényans attendent donc les élections de 2007. Mais la perspective d’un nouveau changement ne suscite plus le même enthousiasme.

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